» Aux côtés de la Pasionaria, les armes à la main contre Franco « 

 » No pasaran ! « ,  » Ils ne passeront pas !  » Le cri de guerre immortalisé par Dolores Ibarruri, la Pasionaria, électrise Anne Morelli. L’historienne de l’ULB s’engage dans les Brigades internationales, au secours des républicains espagnols, pour faire mordre la poussière aux nationalistes de Franco.

Le Vif/L’Express : A quelle période de l’Histoire auriez-vous aimé vivre ?

Anne Morelli : J’aime passionnément le temps qui est le nôtre. Mais si je devais plonger dans une autre période de l’Histoire, toutes celles qui précèdent le xxe siècle me semblent impossibles à choisir.

Comme femme d’abord : avant le xxe siècle, je n’aurais jamais pu librement choisir mes études, mon (mes) mari(s) ou compagnon(s), le métier que j’exerce et que j’adore, le nombre de mes enfants. Je n’aurais pu demander le divorce, me débarrasser d’un mari (même devenu violent ou alcoolique), je n’aurais pas pu librement gérer mon salaire, acheter une maison, voyager seule à mon gré. En outre, si de charmantes naïves rêvent d’être princesses au Moyen Age, n’oublions pas que nous aurions eu 99 risques sur 100 (pour ne pas dire 999 sur 1 000) d’être plutôt serve que princesse, accablée de corvées diverses, pieds nus dans nos sabots. Et que nous serions très probablement mortes jeunes, en couches, d’une mauvaise blessure ou de l’une ou l’autre maladie infectieuse aujourd’hui bénigne. Aucune période précédant le xxe siècle ne me tente donc. Pour nous qui connaissons tant de progrès scientifiques et sociaux et qui avons vécu l’émancipation des femmes, elles seraient horribles à vivre.

Quel est l’événement historique auquel vous auriez aimé assister ? En témoin ou acteur ?

Dans le xxe siècle, c’est la période de lutte ouverte contre le fascisme et le nazisme qui me semble déterminante. Sans tous ceux qui se sont mobilisés, se sont levés et ont lutté contre ce que Bertolt Brecht appelait  » la bête immonde « , que serions-nous devenus ?

Entre 1922 et 1945 se sont déroulés mille combats que j’aurais aimé appuyer. Depuis mon adolescence, la guerre à laquelle j’aurais voulu participer de toutes mes forces est la guerre d’Espagne. Elle préfigure la Seconde Guerre mondiale, les mêmes camps sont en présence, mais si la République espagnole avait gagné, la balance de l’histoire aurait penché différemment.

Les démocraties (essentiellement la France et l’Angleterre) ont prétendu ne pas vouloir intervenir dans le conflit et ont refusé de soutenir le gouvernement républicain – légal et issu des élections – auquel s’attaquaient militairement les forces nationalistes.

De l’autre côté, cette  » non- intervention  » n’a pas du tout été respectée par les fascistes italiens et les nazis allemands qui ont mis dans cette guerre tout leur poids militaire, notamment celui de leurs aviations. Le déséquilibre des forces armées a ainsi été manifestement en faveur des nationalistes, alors que les républicains manquaient totalement d’armes et de munitions, les seuls pays leur en fournissant étant (tardivement) l’Union soviétique et le Mexique.

Bien sûr, je ne me serais pas contentée d’être témoin de cette guerre ! Mais, comme des milliers de volontaires étrangers, pour beaucoup des hommes mais aussi quelques femmes, j’aurais rejoint les Brigades internationales qui se battaient contre Franco et ses alliés fascistes italiens et nazis allemands.

Quel est le personnage historique que vous auriez aimé rencontrer ?

J’aurais aimé rencontrer Dolores Ibarruri, plus connue par son surnom de la Pasionaria, qui devint pendant la guerre d’Espagne l’emblème international de la lutte antifasciste. La puissance de sa voix et le contenu épique de ses discours enflammaient les combattants républicains. Seule femme parmi les dirigeants du parti communiste d’Espagne, sa silhouette vêtue de noir représentait symboliquement la souffrance et la détermination des mères et des femmes des combattants.

Sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille. Femme de mineur, elle avait commencé dans les années 1920 ses activités politiques en organisant des manifestations de femmes, en appelant les hommes à la grève. D’un caractère énergique, elle devient une cadre politique trempée dans la lutte et députée du Front populaire en 1936. La défaite républicaine signifia pour elle le début de trente-huit ans d’exil politique.

Elle avait perdu quatre petites filles en bas âge, s’était séparée de son mari et avait peu pu s’occuper de ses deux enfants survivants, dont l’un des deux mourra sur le front soviétique en combattant les nazis dans la défense de Stalingrad.

Elle a lutté pour l’émancipation des femmes mais, devenue secrétaire générale du parti communiste espagnol avant d’en être la présidente, elle s’est vu reprocher sa liaison avec un camarade beaucoup plus jeune qu’elle.

Elle a vécu jusqu’à l’âge de 94 ans et a eu l’immense bonheur de voir la chute du franquisme et de rentrer en Espagne en 1977. Lors des premières élections de la nouvelle Espagne démocratique, elle a été réélue députée. La photo encadrée que j’ai de la Pasionaria me vient de ma professeure d’histoire dans le secondaire. Alors que j’étais dans une section de latin-maths (9 heures de maths par semaine agrémentées de deux heures supplémentaires de dessin scientifique ! ), cette enseignante m’a transmis le goût de l’histoire critique et politique. Elle m’a fait changer de voie et, passionnée par ses cours, je me suis inscrite en histoire contemporaine à l’ULB alors que  » normalement  » la voie qui m’était tracée devait plutôt être scientifique.

Dans quelle figure historique vous seriez-vous bien vue ?

Je n’imagine pas me comparer à la Pasionaria, mais j’aurais voulu dans la guerre d’Espagne jouer un autre rôle qu’elle.

J’aurais voulu rassembler TOUT le camp républicain : des libéraux laïques aux anarchistes en passant par les socialistes, les communistes, les Catalans et les Basques. Ce n’est qu’en surmontant leurs divisions intestines que les antifascistes pouvaient espérer gagner contre Franco, Hitler et Mussolini.

Et tant qu’à rêver, j’aurais bien sûr réussi à persuader l’Angleterre et la France de l’inanité de leur politique de non-intervention. Ces puissances auraient donc appuyé le gouvernement légitime espagnol contre les putschistes de Franco, qui auraient été défaits. J’aurais ainsi, finalement, évité la Seconde Guerre mondiale !

Entretien : P. Hx

 » J’aurais voulu participer de toutes mes forces à la guerre d’Espagne, contre Franco et ses alliés fascistes et nazis « 

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