Autriche Le Krone, faiseur de rois

Lors des prochaines législatives, le quotidien populiste Kronen Zeitung et son directeur joueront un rôle déterminant. Comme à chaque scrutin.

De notre envoyé spécial

Citizen Kane est toujours vivant. Il a pour nom Hans Dichand. Réside à Vienne, en Autriche. Règne depuis un demi-siècle sur le Kronen Zeitung (le Journal de la Couronne), un quotidien populaire et populiste au tirage phénoménal. Chaque jour, Die Krone, comme on l’appelle communément, est imprimé à 1 million d’exemplaires et se flatte d’être lu, ou feuilleté, par 3 millions de lecteurs. Dans un pays de 8,5 millions d’habitants, cela représente près de 1 adulte sur 2 ! De quoi faire rêver des tabloïds comme The Sun, en Angleterre, et Bild, en Allemagne, qui ne sont pourtant pas des feuilles de chou confidentielles…

La recette du Krone ? Des manchettes chocs sur les dangers de l' » immigration de masse « . Des éditos au vitriol contre la  » dictature des eurocrates de Bruxelles « . Mais également des faits divers. Des pages pratiques. Sans oublier la pin-up de la page 7. Ni les trois pages de petites annonces érotiques.

 » Issu d’un milieu modeste et doté d’un instinct remarquable qui lui permet de détecter les sujets porteurs et d’exacerber les traits négatifs du petit peuple autrichien, Hans Dichand est assurément l’homme le plus influent d’Autriche « , assure le journaliste Georg Hoffmann-Ostenhof, un vétéran de la presse viennoise qui n’a toujours pas digéré les relents antisémites des éditos des années 1980, quand, au moment de l’affaire Waldheim, le Krone prenait la défense de l’ex-secrétaire général de l’ONU, accusé d’être impliqué dans des massacres pendant la Seconde Guerre mondiale.

Chauvinisme et xénophobie

Surtout, Dichand, habile faiseur de rois, n’hésite pas à orienter les scrutins électoraux.  » Son journal influence directement de 2 à 3 % de l’électorat, estime le politologue Hubert Sickinger. Et il maîtrise l’art de créer un climat politique favorable à tel ou tel parti.  » En 1994, lors du référendum sur l’adhésion à l’Europe, le Krone (qui est, depuis lors, redevenu eurosceptique) joue un rôle décisif pour faire basculer l’Autriche dans le camp du oui. En 1999, la tonalité xénophobe du journal fait le lit du parti d’extrême droite de Jörg Haider, dont c’est alors le triomphe. Aujourd’hui, c’est le social-démocrate Werner Faymann qui bénéficie de l’appui total de la rédaction. En prévision des élections générales anticipées du 28 septembre, Faymann est couvert d’éloges et présenté à chaque page comme le meilleur chancelier possible pour l’Autriche. Au point que le Krone s’est quasiment mué en organe officiel du Parti social-démocrate.

Le 25 juin dernier, Werner Faymann et le chancelier en exercice, Alfred Gusenbauer, écrivent une lettre au  » courrier des lecteurs  » du Krone (la rubrique la plus lue) en annonçant un changement d’orientation sans précédent de la politique européenne de leur parti, le SPö. Ils s’engagent à soumettre à référendum toute future modification des traités européens. Ce qui, en Autriche, l’un des pays les plus eurosceptiques, revient à bloquer toute avancée en matière d’intégration. Cela tombe bien : c’est précisément ce que voulait Hans Dichand.  » Faymann s’est mis à genoux devant lui, comme les prostituées qui vendent leurs services dans les pages du Krone « , ironise Armin Thurner, rédacteur en chef de Falter, un hebdomadaire politique et culturel de qualité (et de gauche). Il définit ainsi Hans Dichand :  » Sa grande différence avec les éditeurs de The Sun ou de Bild, qui sont simplement des cyniques désireux de gagner de l’argent, c’est que lui est sincèrement convaincu que le chauvinisme de son journal rend service à l’Autriche. « 

Axel Gyldén

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