Au service secret de Sa Majesté le renseignement

Ancien rédacteur en chef de l’agence Belga, Paul Thomas signe L’Espionnage en Belgique, une passionnante chronique des guerres de l’ombre qui se déroulent depuis plus de soixante ans sur notre territoire.

En 1966, l’Alliance militaire atlantique implante son nouveau QG à Evere et le Shape (GQG des forces alliées en Europe) s’installe à Casteau, près de Mons. La Belgique se voit promue au rang de plaque tournante stratégique majeure, objet de toutes les convoitises, notamment pour les espions  » venus du froid « . Signe qui ne trompait pas, Mikhaïl Tsimbal, à l’époque chef de la section  » S  » du KGB, responsable du renseignement extérieur, avait multiplié, depuis la fin de 1965, ses  » visites  » à l’ambassade soviétique de l’avenue De Fré, à Uccle.  » A l’époque, explique Paul Thomas, les ambassades jouaient un rôle de clé de voûte dans le système de renseignement, c’est-à-dire d’espionnage, soviétique. Chacune disposait d’une pièce sécurisée, notamment contre les écoutes extérieures, où le « re- zident « (chef du réseau KGB opérant dans un pays donné) pouvait en toute tranquillité élaborer sa stratégie et donner ses instructions.  » On a pu estimer qu’entre un tiers et la moitié du personnel de l’ambassade, des délégations commerciales ou des consulats soviétiques, bénéficiant tous de l’immunité diplomatique, travaillaient en fait directement et principalement pour le KGB ou le GRU (service de renseignement militaire).

Parmi les grandes affaires, le cas Nahit Imre, haut fonctionnaire turc travaillant au siège de l’Otan : en 1968, il est pris la main dans le sac, en train de photographier des documents top secret relatifs aux infrastructures de l’Alliance, qu’il s’apprêtait à remettre à des contacts soviétiques.  » Ce qui avait mis la puce à l’oreille, précise Paul Thomas, c’étaient notamment ses longues heures supplémentaires, en dépit d’une charge de travail qui ne le justifiait nullement. « 

Dans leur guerre de l’ombre, nos services de renseignement ont fréquemment bénéficié d’informations révélées par des transfuges désireux de refaire leur vie à l’Ouest. Pour Paul Thomas,  » le cas Igor Tcherpinski, diplomate soviétique en poste à Bruxelles qui décida de faire le grand saut en avril 1990, paraît emblématique. S’étant mis sous la protection de l’ambassade des Etats-Unis et « débriefé » par la CIA, il livra une impressionnante liste de personnes s’étant adonnées à des activités d’espionnage pour le compte de l’URSS. Cette « liste Tcherpinski » permit, entre autres, de démasquer un membre du cabinet de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne.  » L’indélicat fut renvoyé sur-le-champ et livré aux bons soins de la DST française.

Avec l’effondrement du bloc communiste, début des années 1990, l’espionnage prend de nouvelles formes, comme le  » hacking  » ou le piratage de données informatiques sensibles, sur le plan économique, militaire et technologique avant tout. Face à ces menaces, nos services de sécurité sont-ils suffisamment armés ? Selon Paul Thomas,  » la réponse est loin d’être évidente. De façon récurrente, le comité R insiste dans ses rapports sur la nécessité de doter nos services de l’ensemble des moyens humains et technologiques pour faire front efficacement, notamment dans le domaine sensible de la sécurisation de l’information « . La partie semble loin d’être terminée.

L’Espionnage en Belgique (de la guerre froide à aujourd’hui), par Paul Thomas, Jourdan Editions, 264 p.

ALAIN GAILLIARD

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