Au pays des cyborgs

Guy Gilsoul Journaliste

Jamais une exposition aussi vaste des oeuvres de l’artiste sud-coréenne Lee Bul n’avait été organisée en Europe. Direction : Luxembourg.

Dans le grand hall du Mudam, le superbe Musée d’art moderne grand-duc Jean, à Luxembourg, imaginé par l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei (auteur de la pyramide du Louvre, à Paris), d’étranges êtres suspendus nous attendent. Anges ou démons ? Femmes en tout cas et cyborgs pour le pire. Pour s’en approcher, il faudrait s’aventurer sur les plaques de bois instables disposées au sol par l’artiste sud-coréenne Lee Bul. Ces personnages pétrifiés dans la fragile porcelaine blanche sont faits de greffes et de prothèses associant en un tout organique et inextricable, fragments de mécaniques et protubérances végétales ou marines. Non loin des cinq cyborgs dont la taille gagne parfois les deux mètres, d’autres sculptures ont pris l’apparence de mutants. Au-delà, trois oeuvres, elles aussi en suspension, nous entraînent vers l’escalier en colimaçon qui mène au niveau inférieur. Là, aux personnages succèdent des paysages où germent des architectures flottantes faites d’acier inoxydable, de chaînes et de perles de verre. Des monstruosités à leur tour dans lesquelles on devine des murs, des routes, des portes et des tours mais le tout enfermé dans une multitude de fils arachnéens qui pendent comme des racines ou s’élèvent en stalagmites.

L’une des oeuvres renvoie à l’univers de Bruno Taut, l’architecte utopiste allemand des années 1910-1920. Pour comprendre cette référence, il nous faut revenir au tout début… Quand Lee Bul, née en 1964, intègre le monde de l’art, la Corée du Sud sort de longues années de dictature. L’ivresse d’une liberté retrouvée et des utopies naissantes se heurte alors aux traditions patriarcales auxquelles la jeune femme s’oppose d’emblée dès 1987. Ses premiers opus, aux accents féministes, relèvent de la performance. Quand par exemple, elle se déguise en terrifiante silhouette tentaculaire, elle incarne la rage libertaire qui l’anime et pointe, dans le même temps, l’une des images – la pieuvre -souvent utilisées dans l’art érotique extrême-oriental. Dix ans plus tard, elle est l’invitée du MoMA de New York. Et elle frappe plus fort encore avec une oeuvre très odorante (au point qu’il fallut fermer l’exposition) réalisée à partir de poissons morts ornés de bijoux de pacotille. Peu à peu cependant, après avoir réalisé les Cyborgs et comme on put le voir à la Fondation Cartier, à Paris, en 2007, son propos visa plus frontalement l’univers politique dont ses architectures flottantes deviennent les allégories. Bientôt, comme le révèlent trois pièces monumentales dans un autre endroit du musée, le visiteur est invité à entrer physiquement dans des oeuvres enrichies par l’utilisation de miroirs ou de LED. Enfin, la dernière salle de l’exposition nous livre plus de 200 dessins préparatoires et près de 70 maquettes de tailles diverses. Avec eux, on plonge alors au coeur du processus créatif foisonnant de Lee Bul.

Lee Bul, Mudam, 3, Park Dräi Eechelen, à 1499 Luxembourg. Jusqu’au 9 juin. www.mudam.lu

Guy Gilsoul

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire