Arbitre, « la bête à abattre »

Subissant de plus en plus l’oil des caméras, l’arbitrage est constamment analysé, décortiqué et critiqué. Face à la pression médiatique, l’arbitre se sent bien seul. Des solutions existent. Encore faut-il les accepter.

U n lundi soir dans les couloirs de la RTBF. Les joyeux lurons de l’équipe de Studio 1 dissèquent, comme chaque semaine, le football belge. Face à la caméra, Benjamin Deceuninck et Marcel Javaux, ancien arbitre, analysent les phases litigieuses du week-end. La chronique  » arbitrage  » est devenue l’un des moteurs de l’émission.  » Il y a beaucoup de caméras et on ne va pas passer à côté d’images qui prouvent, parfois, que le résultat d’un match est influencé par l’arbitrage « , commente Benjamin Deceuninck.

Car la télévision a considérablement modifié notre perception du football et de l’arbitrage. Depuis que Belgacom TV a acquis les droits du Championnat de Belgique, les moyens financiers et humains investis pour couvrir les matchs sont devenus énormes. Sur un week-end, 80 caméras scrutent les stades, selon l’importance des rencontres. Elles constituent une fameuse épine dans le pied des arbitres belges. Chaque phase litigieuse est captée par l’objectif et envoyée sur antenne. Libre ensuite au téléspectateur, qui bien souvent ne saisit pas toutes les nuances du règlement, de se faire une opinion.

Contrairement aux joueurs, l’arbitre n’a pas le droit à l’erreur : tout est filmé et il est possible dès lors de contester le moindre hors-jeu.  » On veut faire de l’arbitrage une science exacte « , lance Jean-Claude Jourquin, membre de l’Académie d’arbitrage. Michel Piraux, vice-président de la Commission centrale d’arbitrage (CCA), qui dépend de l’Union belge de football, est du même avis :  » La surmédiatisation est un des facteurs, si pas le principal, de cette perception que l’arbitrage va mal. Alors qu’il n’y a pas crise du tout. « 

Michel Piraux a bien tenté de défendre ses ex-collègues dans les médias. Sur Studio 1, avant l’arrivée de Marcel Javaux, il était lui-même le spécialiste de l’arbitrage. Après six mois de collaboration difficile et peu convaincante, Michel Piraux disparaît de l’écran. Retiré dans son fief montois, il préfère ne pas commenter son éloignement :  » Joker ! Je m’en réfère au président de la CCA pour expliquer mon départ.  » Rendez-vous donc à l’Union belge de football pour y rencontrer Robert Jeurissen, patron des hommes en noir. Lui se montre plus explicite :  » Au début, je me suis dit qu’ilfallait y aller. Mais, progressivement, on a remarqué qu’il y avait un décalage entre les explications de Michel Piraux sur le plateau et celles de l’examinateur, présent au match. Les arbitres ne savaient plus qui écouter. Mais je dois avouer que la goutte qui a fait déborder le vase, ce sont les commentaires de notre ami Stéphane Pauwels. Il va beaucoup trop loin. « 

 » Un curé est mieux loti qu’un arbitre « 

Stéphane Pauwels, l’homme qui irrite le monde du football belge, à cause de ses multiples  » coups de gueule « . Du côté des arbitres, Pauwels fait l’unanimité contre lui. Stéphane Breda parle au nom de ses collègues :  » Sa manière caustique ne nous plaît évidemment pas.  » Le ton du chroniqueur ertébéen suscite le débat. La rédaction des sports de la télévision publique a choisi justement Stéphane Pauwels pour apporter un peu plus de piquant dans l’émission. L’ex-entraîneur est assez difficile à contrôler. Après quelques sorties choquantes l’an dernier, Michel Lecomte, rédacteur en chef et présentateur de Studio 1, a trouvé la parade et maîtrise un peu mieux le personnage en lui attribuant, tel un arbitre, des cartons s’il dépasse les limites.

Face aux critiques et aux commentaires, l’arbitre doit se forger une carapace plus que solide.  » Je l’ai toujours comparé au curé. Tandis que ce dernier a souvent la chance d’avoir une bonne en sa compagnie, l’arbitre, lui, est toujours seul contre tous. C’est un peu humoristique, mais c’est comme ça. L’arbitre est la bête à abattre !  » soutient Marcel Javaux.

Tout le monde ne peut faire de l’humour pour affronter les médias. Pour les arbitres au moral plus fragile, les conséquences peuvent être néfastes.  » Il y a cinq sources de tensions reconnues par les arbitres : la performance, l’appréhension d’entrer en conflit avec les joueurs, le manque de reconnaissance, la peur du conflit physique et la gestion du temps « , indique Damien Brevers, psychologue du sport à l’UCL. La manière dont il perçoit et gère ces sources de stress dépend de sa personnalité. Généralement, plus un arbitre est impliqué dans son activité, plus les critiques l’affecteront. Certains souffrent même de dépressions, comme le syndrome du burnoutà On brûle de l’intérieur, il y a une grosse perte de confiance en soi et un sentiment d’inefficacité. « 

Depuis une dizaine d’années, la CCA fait appel au psychologue Jef Brouwers. Un appui qui paraissait nécessaire au vu des pressions qui pèsent sur l’arbitre. Mais les hommes en noir ne semblent pas preneurs :  » Sur les 27 actifs en D1, seuls 3 viennent régulièrement me voir. Les autres prennent rendez-vous dans des situations désespérées, juste pour une séance. Or l’accompagnement psychologique doit s’inscrire dans la durée. Personne ne met en doute l’importance de l’analyse physique d’un athlète. Les arbitres portent, par exemple, un polar qui mesure leurs pulsations cardiaques. Mais on ignore le travail mental, psychologique « , s’insurge Jef Brouwers.

L’envahissement des images télévisuelles est une réalité. Les moyens techniques se perfectionnent sans cesse alors que l’arbitrage reste immuable. Les sifflets d’élite devront immanquablement s’adapter, notamment en acceptant d’être soutenus psychologiquement. Lors du dernier Championnat d’Europe, plus de la moitié des arbitres qui officiaient consultent un psychologue. Les meilleurs d’Europe ont franchi le cap. Pourquoi les Belges font-ils exception ? l

Jérôme Helguers

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