» Après 2014, il faudra un retour dans la poche des citoyens « 

 » Le gouvernement a atteint 90 % de ses objectifs « , défend la cheffe de groupe CDH à la Chambre. Sans épargner pour autant Elio Di Rupo, qu’elle affrontera dans six mois sur ses terres de Mons-Borinage.

Catherine Fonck, c’est la génération Milquet, le prototype de l’élue CDH qui n’a pas connu l’époque (bénie) du PSC. Médecin spécialiste en néphrologie, habitante de Frameries, dans le Borinage, elle a changé de vie en 2004 pour devenir ministre de l’Aide à la jeunesse. Elle préside aujourd’hui le groupe CDH à la Chambre, où ses interventions inspirent le respect de ses collègues. Depuis 2009, elle est cependant l’éternelle oubliée des castings ministériels centristes.

Le Vif/L’Express : Le gouvernement Di Rupo, auquel participe le CDH, vient de fêter ses deux ans d’existence. Mission accomplie ?

Catherine Fonck : Ce gouvernement a atteint 90 % de ses objectifs. Il y a deux ans encore, on parlait de la fin de la Belgique. On était en passe de subir le même sort que la Grèce et l’Espagne. Aujourd’hui, les Pays-Bas et la France nous envient. On a pu revendre une de nos banques avec un beau petit pactole à la clé, ce que personne n’aurait imaginé. Et maintenant, les écolos nous disent : c’est un bijou de famille, vous auriez pu spéculer… Alors qu’ils ont hurlé quand on a dû assurer l’épargne de plusieurs millions de Belges. On entend tout, quand même !

Qu’est-ce qui vous empêche d’être complètement satisfaite ?

L’heure n’est pas à l’euphorie. Je croise tous les jours des parents qui me disent : mon fils a déjà écrit partout, pour lui, il n’y a pas de job. Là, il reste du pain sur la planche. Benoît Lutgen l’a dit : il faut une révolution fiscale. Des efforts ont été demandés à la population, il faudra un retour vers les citoyens quand la situation budgétaire sera meilleure. Et, je vais le dire platement, un retour dans la poche des citoyens : pension et salaire. Les gens qui travaillent doivent gagner plus. Le différentiel entre les bas salaires et les allocations de chômage doit augmenter. Cela fait des années que tout le monde le dit, mais rien ne bouge.

Justement, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas engagé cette réforme fiscale que tous les partis appellent de leurs voeux ?

En réalité, ce gouvernement a bien travaillé, mais il a eu le nez dans le guidon. Après le 25 mai 2014, on aura cinq années sans élection. Il faut profiter de ce moment exceptionnel pour développer une vision à long terme, notamment sur l’allongement de la vie et le vieillissement de la population. Le gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene, veut augmenter l’âge légal de la pension. Je ne suis pas d’accord. Si vous portez l’âge légal de la retraite à 67 ans, quel sera le résultat ? Rien du tout. Aujourd’hui, l’âge effectif du départ à la pension se situe entre 58 et 60 ans. On est encore loin des 65 ans. On va tous devoir travailler plus longtemps, mais pour y arriver, il faut améliorer la qualité de vie des gens qui restent au travail. Là se situe tout l’enjeu.

Vous avez durement critiqué la proposition de Willy Demeyer (PS), bourgmestre de Liège, de légaliser les salles d’injection de drogue, dans une optique de santé publique. Pourquoi ?

Légaliser les salles de shoot, c’est légaliser l’héroïne et la cocaïne. Pour moi, un Etat n’a pas pour objectif d’organiser, mais de diminuer la consommation de drogues dures. La drogue, c’est l’horreur. Les gens sont brisés. Des overdoses, quand je travaillais en salle d’urgence, j’en ai vu beaucoup. Le modèle que propose le PS à travers cette proposition de loi, c’est un modèle de société sans repères. Bien sûr, il faut entourer les drogués, mais pas leur dire : on va te mettre un peu de musique, et vas-y, shoote-toi. Là-derrière, il y a un débat fondamental : veut-on une société où les drogues sont légales ? Le PS et Ecolo veulent cette société. Nous ne la voulons pas.

Depuis quelques mois, la différence entre le PS et le CDH semble davantage se marquer, non ?

Cette différence se marque sur plusieurs dossiers. Je me rappelle d’un débat très vif autour de la proposition de Rik Daems (Open VLD) de mettre au travail forcé tous les chômeurs après un an. Après un an, c’est du délire ! Dans la vision de l’Open VLD, à droite plein pot, on a l’impression qu’on va envoyer les Daltons casser des cailloux ! Notre position, ce n’est pas celle-là, mais ce n’est pas non plus celle du PS, qui ne veut toucher à rien. Il y a une réflexion à mener concernant les chômeurs de longue durée. Comment les valoriser ? Les besoins sociétaux sont immenses : faire traverser les enfants devant les écoles, aider les personnes âgées, donner un coup de main aux clubs sportifs. Ce sont des propositions positives. Et pour ma part, je crois qu’il faut commencer par un système volontaire, sinon on n’y arrivera pas.

Les sénateurs CDH ont voté contre l’extension aux mineurs de la loi sur l’euthanasie. Tout votre parti suit la même ligne ?

D’abord et avant tout, je crois qu’il faut continuer à débattre sur le fond. Ce sujet mérite mieux qu’une surenchère de politicaille. Sur une question comme celle-là, chacun réagit en fonction de son parcours personnel. Moi, je ne suis pas une éminente juriste comme Francis Delpérée. J’ai une sensibilité différente, c’est vrai. Quand le débat arrivera à la Chambre, je m’exprimerai davantage comme acteur de terrain. J’ai été confrontée à des situations extrêmement difficiles. Je suis sensible à la souffrance à la fois des enfants et des familles.

Vous êtes active dans l’arrondissement de Mons-Borinage, où le PS réalise ses meilleurs scores. Ce n’est pas décourageant, quand on milite au CDH ?

Le poids du passé est terrible… Di Rupo fera-t-il un super résultat au mois de mai ? Ben, oui. Je ne suis pas naïve. Face à quelqu’un qui fait campagne avec le costume de Premier ministre, ce n’est pas facile pour les autres. Mais je n’ai pas peur. En 2007, 2009 et 2010, j’ai chaque fois été tête de liste face à Di Rupo. J’ai assumé. Est-ce facile dans la configuration extrêmement rouge du Borinage ? Non. Surtout qu’on voit encore des techniques détonantes de la part de certains socialistes – je ne parle pas d’Elio Di Rupo. Des habitants me disent : ils passent dans les maisons, ils obligent à mettre l’affiche du PS, sinon on risque de perdre notre job… Ça existe encore, ça.

Carlo Di Antonio brigue la tête de liste CDH à la Chambre, pour la province du Hainaut. Vous aussi ?

On n’a pas le même style, Carlo et moi. Moi, je m’en tiens à ce qui a été ma règle à toutes les autres élections : ni m’auto-désigner, ni faire campagne auprès du président. De toute façon, je serais incapable de frotter la manche du président dans l’espoir d’obtenir la tête de liste. C’est mon côté trop indépendant, ça. Que le parti n’aime pas, mais c’est une autre histoire…

Depuis 2009, vous n’êtes plus jamais redevenue ministre. Le CDH vous fait payer votre indépendance ?

Moi, je suis zen, mais c’est parfois un peu dur publiquement, quand des militants vous disent sans cesse : ah !, Catherine, on est déçus. J’ai du mal à me vendre, je ne suis pas experte en marketing politique. Peut-être que si je l’étais, je serais dans une autre situation, je n’en sais rien. Au bureau politique, je dis ce que je pense, ce n’est pas toujours super apprécié… En même temps, je ne suis pas une franc-tireuse. Je respecte la démarche collective du parti. Quand je ne suis pas d’accord, je combats en interne.

Entretien : François Brabant

 » Au bureau politique, je dis ce que je pense, ce n’est pas toujours super apprécié.  »

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