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Antisémitisme ou antisionisme ?

L’antisionisme radical tient bien de l’antisémitisme de par ses appels à la théorie du complot et ses représentations fantasmatiques du sioniste, explique l’historien Joël Kotek.

On aurait pu penser qu’après la Shoah, l’hydre antisémite n’allait plus jamais pouvoir redresser la tête. Or, depuis octobre 2000, tous les experts s’accordent sur une recrudescence brutale de la judéophobie . L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA, ex-Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes) a publié un certain nombre d’études sur l’antisémitisme qui s’appuient, notamment, sur la notion d’ antisémitisme secondaire. Selon cette notion, les Européens seraient atteints d’une culpabilité pathologique du fait de la Shoah et rejetteraient la faute du sentiment antisémite sur Israël dans un souci d’apaiser leurs complexes. Il est manifeste, en effet, qu’un redéploiement de l’antisémitisme s’opère, aujourd’hui, sous couvert d’antisionisme et… d’anticolonialisme totalement perverti.

L’antisionisme radical apparaît comme le dernier avatar de cet habitus européen à faire du Juif le principe du mal.

La transformation de l’image du Juif

A n’en point douter, le conflit israélo-palestinien offre à l’antisémite un champ d’interprétation permettant de crédibiliser les vieux systèmes d’accusation qui ont visé les Juifs durant des siècles. De nombreux antisémites ont compris qu’en s’attaquant à Israël au nom des droits de l’homme, ils atteignent plus efficacement leur but réel : s’en prendre aux Juifs. A lire les écrits des antisionistes radicaux, Israël – pourtant, l’un des plus petits Etats de la planète – constituerait la principale menace contre la paix dans le monde, la raison première de la haine des Arabes envers les  » sionistes « . Sans songer à nier l’impact des ratés du processus de paix israélo-arabe, la recrudescence des sentiments antijuifs au sein du monde arabo-musulman s’explique aussi, sinon davantage, par le rapport complexe des musulmans aux Juifs. A la suite de leur émancipation individuelle – décret Crémieux (NDLR : adopté en 1870, il attribue la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie) – et nationale – création d’Israël -, l’image des Juifs s’est radicalement modifiée : d’intrigants félons, mesquins et soumis (dhimmi) que leur assignait le Coran, ils revêtent désormais l’habit inédit de l’être démoniaque, surpuissant et tueur. Comment en serait-il autrement ? Pour que le minuscule peuple israélien puisse résister aux 22 Etats arabes, ne faudrait-il pas qu’il bénéficie de quelques aides et pouvoirs occultes ? Cette dérive explique pourquoi, dans les sermons religieux, dans les séries télévisées ou encore dans la caricature arabe contemporaine, l’Israélien figure désormais comme le Juif des légendes noires de l’Occident médiéval – celui qui empoisonne (Arafat), corrompt (Bush), manipule (Rothschild) et, surtout, qui se nourrit du sang et des organes d’enfants palestiniens.

Joël Kotek, historien, professeur à l'ULB et à Sciences Po Paris, directeur de la revue Regards, mensuel du Centre communautaire laïc juif (CCLJ).
Joël Kotek, historien, professeur à l’ULB et à Sciences Po Paris, directeur de la revue Regards, mensuel du Centre communautaire laïc juif (CCLJ).© DR

Un deux poids deux mesures des plus suspects

Le conflit israélo-palestinien reste à ce jour le moins meurtrier de toutes les guerres du Moyen-Orient. A relire le blog d’Henri Goldman (2009), les guerres israélo-arabes n’auraient fait  » que  » 52 000 victimes palestiniennes et israéliennes depuis 1947. Pourtant, ce conflit n’en est pas moins le plus médiatisé et dramatisé de tous tant par les médias occidentaux qu’arabes. Gaza est souvent comparé à Auschwitz (1 300 000 morts), sinon au ghetto de Varsovie (500 000 morts). Hypocrite et grotesque surtout si l’on songe aux villes de Kobané, de Raqqa et de Mossoul, littéralement rayées de la carte dans une indifférence totale ! Cela ne signifie nullement qu’il faille considérer toute manifestation d’antisionisme pour de l’antisémitisme : on peut être hostile à l’idée d’un Etat juif et à la politique de son gouvernement, sans être suspect d’antisémitisme et ce, quand bien même, depuis la Shoah, cet antisionisme de principe peut paraître suspect. Pourquoi, de tous les peuples qui composent notre Humanité, seuls les Juifs n’auraient-ils pas le droit de se doter d’un Etat à eux, qui plus est, en Judée, sur leur terre d’origine ?

Si la Shoah n’a pas créé Israël, elle en a justifié la nécessité : c’est Hitler (antisémitisme d’extrême droite), Staline (antisémitisme de gauche) puis Nasser (antisémitisme arabe) qui ont, tour à tour, validé l’option sioniste, jusqu’alors minoritaire au sein du monde juif. En conclusion, le concept d’antisémitisme s’applique lorsque l’Etat juif ou son gouvernement est critiqué comme Juif des nations (antisionisme radical) et ce, par opposition à la critique d’Israël pour sa politique concrète.

S’il peut arriver que l’accusation d’antisémitisme serve à exercer un chantage moral sur les opposants à la politique israélienne selon l’idée que toute critique d’Israël serait, de fait, une manifestation d’antisémitisme, l’antisionisme radical tient bien de l’antisémitisme de par ses appels à la théorie du complot et ses représentations fantasmatiques du sioniste. Il apparaît comme le dernier avatar de cet habitus européen à faire du Juif le principe du mal.

Lire aussi notre dossier dans Le Vif/L’Express du 28 février dernier.

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