Ambassadeur et milliardaire

Le démocrate Marc Lasry, riche propriétaire d’un hedge fund et gros contributeur de la campagne d’Obama, hérite de l’ambassade américaine à Paris. Portrait d’un jeune immigrant né au Maroc et devenu l’un des financiers new-yorkais les plus en vue.

Le 13 mars, les quelque 50 nababs de Wall Street invités dans la somptueuse demeure new-yorkaise du financier Marc Lasry ne s’étaient pas seulement déplacés pour soutenir la campagne d’un candidat au poste de gouverneur de Virginie. Ce soir-là, leur humble contribution, de plusieurs dizaines de milliers de dollars par personne, leur offrait surtout le privilège de côtoyer Bill Clinton. L’ancien président a pris la parole et s’est adressé, patelin et souriant, à son hôte, Marc Lasry, heureux propriétaire, à 53 ans, d’un hôtel particulier de cinq étages proche de la 5e Avenue et détenteur d’une fortune de 1,2 milliard de dollars, acquise à la tête d’Avenue Capital, l’un des hedge funds les plus rentables d’Amérique.  » Je crois pouvoir annoncer que notre ami Marc a reçu de bonnes nouvelles de la Maison-Blanche, a-t-il susurré, et devrait bientôt nous quitter pour occuper l’ambassade des Etats-Unis à Paris.  »

Cette nomination était encore un secret d’Etat. Mais Bill ne pouvait résister au plaisir de narrer la victoire de son ami de longue date, mentor de sa fille Chelsea, employée pendant deux ans par  » Avenue « , et surtout généreux bailleur de fonds de ses campagnes et de la candidature de Hillary aux primaires de 2008. L’orateur rappelait ainsi ses entrées au gouvernement Obama, et la récompense suprême accordée aux contributeurs de campagne les plus méritants : un séjour de quelques années dans l’une des ambassades les plus prestigieuses de la planète, sise à Paris, le lot le plus convoité des grandes enchères de la diplomatie américaine. Une surprise ? Voilà plus d’un siècle que les présidents américains promeuvent leurs copains et alliés au rang d’Excellence, sans s’attarder sur leurs talents de diplomates. Avec une franchise teintée de résignation, le Département d’Etat publie même des statistiques confirmant que, depuis quarante ans, 3 ambassadeurs américains sur 10 appartiennent toujours au clan des politiques, des amis du président dont l’affection se mesure le plus souvent en millions de dollars de fonds électoraux (voir l’encadré).

Certes, Caroline Kennedy est d’ores et déjà nommée à Tokyo pour un cadeau inestimable : son ralliement personnel et celui de sa mythique famille à la campagne d’Obama en 2008. Mais Rome, destination prisée, est encore en ballottage entre trois de ces fund raisers. Anna Wintour, légendaire patronne de Vogue, appréciée lors de la dernière présidentielle pour avoir glané des millions dans les milieux de la mode et de la pub, était pressentie pour Londres ou Paris. Au bout du compte, le Royaume-Uni revient à Matthew Barzun, infatigable directeur financier d' » Obama 2012  » et époux d’une héritière d’un empire des spiritueux. Et la France, donc, à Marc Lasry, qui devrait entrer en fonction avant l’été.

Joueur de poker

En signe de gratitude pour le ralliement à sa cause du financier – un bundler (un collecteur de fonds) capable de lui rapporter 1 million de dollars en quelques soirées entre amis chez lui ou dans les grands restaurants new-yorkais -, Obama s’était contenté d’embaucher un temps à la Maison-Blanche un des cinq enfants de Lasry. La faute est réparée. Le président offre par là même aussi à l’Hexagone, outre un émissaire francophone, une exemplaire success story à l’américaine.

 » Mes idées proviennent de mon passé d’immigrant, a confié Lasry. Du besoin de rendre à l’Amérique ce qu’elle m’a donné à mon arrivée.  » Le petit Marc ne parlait que le français et l’arabe quand il a débarqué, à 7 ans, de son Maroc natal dans un trois-pièces de Hartford, capitale du Connecticut, avec son père, programmateur informatique, et sa mère, institutrice. Parachuté, comme ses soeurs, Sonia et Ruth, dans une école publique locale, le petit n’a pas démérité. Mais, loin d’être dévoré par l’ambition, le jeune boursier universitaire avait été tenté, après un job d’été à UPS, de se faire embaucher à plein-temps comme chauffeur. Les protestations de sa mère et de sa fiancée, Cathy, aujourd’hui son épouse, l’ont convaincu de tenter la prestigieuse faculté de droit de New York.

Installé à présent avec sa soeur Sonia Gardner à la tête d’un fonds spéculatif, fort de 12 milliards de dollars d’actifs et de plus de 200 employés, Lasry, joueur de poker quasi professionnel, mise toujours sur l’instinct. Ce même trait de caractère qui, lors d’un stage étudiant au tribunal de New York, l’avait convaincu de se lancer dans le droit des faillites, puis le rachat de dettes, d’abord au service du légendaire repreneur texan Robert Bass, puis à son compte. Avenue Capital, créé en 1995 avec une mise de 7 millions de dollars, investit aujourd’hui les pactoles que lui confient des fonds souverains dans des causes réputées hasardeuses, comme celles de la chaîne de pubs britannique Punch Tavern ou du renflouement d’un trio de casinos de son ami Donald Trump. Son investissement massif dans Ford, au coeur de la débâcle de l’automobile en 2009, a doublé de valeur en un an…

Remplacé par Sonia à la direction d’Avenue depuis l’annonce prématurée de sa nomination à Paris par Clinton, le nouvel ambassadeur apportera avec lui sa connaissance du business européen, sa familiarité avec la Maison-Blanche, où il a été reçu une dizaine de fois en quatre ans comme conseiller, et sa dose d’optimisme.

S’il a regretté le rachat d’un casino grec en 2011, s’il a pu assurer, avec provoc lors d’un congrès de hedge funds en 2010,  » qu’il n’investissait pas en France car les lois y favorisent trop les salariés et les syndicats au détriment des créanciers « , sa société a bâti depuis 2012 un fonds d’investissement de près de 3 milliards de dollars, destiné à prendre des participations dans des entreprises européennes en difficulté, en Grande-Bretagne, en France et dans les pays scandinaves. Une nouvelle tranche d’un demi- milliard sera bientôt déboursée.  » L’Europe ne va pas disparaître, pas plus que ses entreprises, assurait-il au New York Times en juillet dernier. Il suffit de raisonner calmement à moyen terme.  »

Fan de Superman

Marc Lasry, qui abhorre les cravates, évite pourtant les excentricités des m’as-tu-vu de son industrie, préférant son discret (mais splendide) manoir de Westport, dans le Connecticut, aux outrances immobilières des célèbres Hamptons de Long Island. Mais sa résidence de New York déploie à chaque nuit d’Halloween les décorations les plus délirantes et morbides du snobissime Upper East Side. Fasciné depuis son enfance par Superman et Batman, il a accroché dans son bureau un Warhol représentant le super- héros kryptonien, et des effigies grandeur nature de ses idoles encombrent la cafétéria d’Avenue Capital. Ses obsessions ne défient pourtant pas la raison. En 2010, Marc Lasry a vendu un numéro rare de sa collection de comic books Superman, acheté 150 000 dollars dix ans plus tôt. Pour 1 million.

PHILIPPE COSTE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire