Alain Flausch  » On manque de fermeté « 

A la tête de la Stib depuis plus de dix ans, Alain Flausch fait le point sur les nouvelles ambitions du gouvernement régional et de son plan Iris II, censé notamment diminuer la pression automobile en ville de 20 % en huit ans.

Le Vif/L’Express : Le plan Iris I n’a pas atteint ses objectifs. Pensez-vous qu’Iris II ira plus loin ?

> Alain Flausch : Une ville doit se donner des objectifs à terme, et se donner des instruments qui permettent de suivre leur évolution. Iris I n’a pas atteint tous les objectifs, mais on a néanmoins progressé. Se redonner un plan était indispensable. Tout comme il est indispensable de s’appuyer sur un indicateur qui signale quelle est la part du transport public, de la voiture, du vélo dans la ville… On vit aujourd’hui sur des chiffres de 2001, ce qui n’est pas très sérieux. Le rôle de la Stib, c’est d’être un aiguillon, de pousser pour que ces déclarations se transforment en réalités. On se heurte de temps en temps, voire régulièrement, à des résistances, qu’elles soient politiques ou sociétales, en provenance des groupes de pression qui s’arc-boutent sur un schéma de ville désormais dépassé. Je viens travailler à la Stib depuis dix ans, et j’ai doublé mon temps de parcours pour venir jusqu’ici, même si je viens toujours à la même heure, tôt le matin. C’est quand même un signe : le grand mal qui touche toutes les grandes villes du monde, c’est la congestion.

Vous vous rendez en voiture au siège de la Stib ?

>Oui. Parce qu’il est impossible, d’où je viens à Bruxelles, de m’y rendre autrement.

Ce sont toujours les cordonniers qui sont les plus mal chaussés…

>La desserte n’est certes pas parfaite, c’est clair. Notamment parce qu’on a laissé aux transports vicinaux des provinces d’à côté desservir des quartiers entiers de la ville, à Uccle par exemple (où j’habite). Et qu’on ne coordonne pas cela convenablement.

L’objectif d’Iris II, c’est de diminuer de 20 % la pression automobile à Bruxelles d’ici à 2018. Beaucoup de voix s’élèvent pour dire que, sans alternative convenable en matière de transports publics, cet objectif est vain. La Stib est-elle (déjà) suffisamment armée pour répondre à ce défi ?

>C’est un peu la question de l’£uf et la poule. Il y a encore des améliorations à accomplir, certes. Mais aujourd’hui, avec l’offre dont on dispose, il suffirait de vider un peu Bruxelles de ses voitures pour offrir un service absolument efficace. Car on a tout ce qu’il faut pour transporter les gens. A cette différence près : avec moins de voitures, nos trams et bus rouleraient normalement, régulièrement. Evidemment, prenons l’exemple de Londres où un péage urbain a été instauré. Qu’ont fait les autorités locales ? Elles ont augmenté significativement l’offre d’autobus. Parce qu’elles avaient à peu près 100 millions de livres qui tombaient tous les ans grâce au péage urbain ! Si on contraint les automobilistes par cette forme de régulation qu’est le péage à l’entrée de la ville, on pourrait, avec l’argent perçu, augmenter la flotte et donner un service de qualité.

Vous évoquez la congestion, qui est certainement l’un des tout grands enjeux qui attendent la mobilité bruxelloise…

>Un chiffre : 3 ou 4 km de vitesse commerciale en plus, c’est 12 millions d’euros par kilomètre de gagnés. Aujourd’hui, de terminus à terminus, on est à 17 km/h de moyenne. La moitié en heure de pointe. Si nous montions, en heure de pointe, à 15 km/h, nous pourrions affecter les trams devenus superflus ailleurs. Ainsi, le rendement de la flotte serait amélioré de façon significative. Il n’y a pas de miracle : toutes les villes où le transport public fonctionne bien sont des villes où l’on a sorti les voitures de la ville. Allez à Bâle : pas moyen de se parquer ni, quasiment, de rouler en ville. Mais ici, à Bruxelles, on n’a pas beaucoup de courage sur ce plan-là, on continue à laisser entrer des voitures en masse dans la ville. Donc, on congestionne. Et notre vitesse commerciale descend en même temps que notre irrégularité augmente. Parfois, je vois des arrêts où il y a 50 personnes qui attendent, à cause d’un simple accident de circulation. Cela rend les gens fous.

Le plan Iris II va-t-il assez loin dans la contrainte ?

>Pour la première fois, ils ont donné la priorité aux piétons, aux cyclistes et aux transports en commun. Mais il y a un conflit au sein même de ces modes doux : nous sommes fortement intervenus politiquement parce qu’au départ c’étaient les cyclistes et les piétons qu’on privilégiait le plus. Il ne faut pas que la marche et le vélo deviennent des obstacles aux transports publics. Quant à la question de la contrainte, Iris II est clairement un peu mou.

Le gouvernement table notamment sur les bonnes résolutions des automobilistes…

>Ils veulent finir par les dégoûter, mais ça prend du temps, ça coûte de l’argent et ça pollue. On manque de fermeté, c’est sûr.

En termes de financement, pensez-vous que votre dotation issue de la Région soit suffisante ?

>L’important, c’est de mettre en place un système stable, qui génère automatiquement, tous les ans, sans tenir compte des contraintes budgétaires des gouvernements, les fonds nécessaires au développement du transport public. Le péage urbain serait, par exemple, un levier stable. En France, les entreprises qui emploient plus de 10 personnes sont obligées de reverser un montant de la masse salariale à une caisse spécialement dédiée aux transports publics. Le problème ici, c’est quand l’argent tombe dans le  » grand pot « . A la fin de l’année, Charles Picqué dit : il y a trop d’argent pour le transport public, et bang, on tape dans notre dotation qui est pourtant convenue dans le contrat de gestion. Parce qu’ils ont des problèmes ailleurs. Mais nous, on a beaucoup de frais fixes.

Que vous inspirent les propos de Didier Gosuin, pour qui les fonds Beliris (125 millions annuels d’argent fédéral destiné à doper le rayonnement national et international de Bruxelles) devraient être totalement affectés à la mobilité ?

>Il y a déjà beaucoup d’argent sur la table. Donc, commençons par bien faire tourner les choses avec ce que l’on a, en protégeant notre système de surface. On gagnerait déjà un argent fou. Le tramway de Munich a une vitesse commerciale qui varie entre 21 et 24 km/h, nous sommes à 17. C’est toute la différence. On pourrait économiser de 50 à 60 millions d’euros comme cela ! Cela dit, l’une des difficultés, c’est le grand choix entre métro et pas métro. Il faut encore du métro dans certains endroits de Bruxelles, et là je pense que Gosuin n’a pas tort : si on veut financer sérieusement une extension du métro, à un ou deux endroits (c’est inutile de faire du métro partout), il faudra pendant un certain temps consacrer tout Beliris à cela, sachant qu’un kilomètre de métro coûte 70 ou 80 millions d’euros. On a trop utilisé les fonds Beliris pour des investissements qui n’avaient rien à voir avec leur vocation première. Le gouvernement semble parti sur l’idée d’utiliser 50 % au moins pour les transports publics. J’espère qu’on va le faire, car on a besoin d’argent pour investir : si on nous foutait la paix dans la rue, on n’aurait pas ce besoin. l

ENTRETIEN : GUY VERSTRAETEN

 » LE PLAN IRIS II EST CLAIREMENT UN PEU MOU « 

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