Agressif, moi ?

Les conducteurs belges, et plus particulièrement bruxellois, ont la réputation d’être parmi les plus agressifs d’Europe. C’est du moins l’opinion des Britanniques et des Américains. L’avis de Ludo Kluppels, de l’IBSR.

Il existe à l’Institut belge pour la Sécurité routière (IBSR) une section Driver improvement qui organise des formations pour les délinquants de la route dans le cadre des peines judiciaires alternatives. S’il l’estime opportun, le juge peut donc transformer partiellement une amende ou un emprisonnement en peine alternative, et enjoindre aux personnes de suivre ce type de cours. Ludo Kluppels est l’une des chevilles ouvrières de cette cellule.

Comment se déroulent ces cours ?

E C’est variable d’un cas à l’autre. Mais, de manière générale, nos  » clients  » reçoivent vingt heures de cours de sensibilisation durant lesquelles on évoque les risques que ces personnes causent à elles-mêmes comme à autrui. Nous essayons de leur faire prendre conscience de ces risques afin qu’elles modifient leur comportement. Nous leur faisons également un certain nombre de suggestions pour leur montrer qu’il y a d’autres manières de réagir face au comportement  » agaçant  » d’autres usagers de la route. Nous essayons également de leur faire comprendre les mécanismes comportementaux par lesquels leur propre réaction se déclenche et de quelle façon ils peuvent la maîtriser.

Y a-t-il un rapport démontré entre l’agressivité sur la route et le stress ?

E On ne peut certainement pas affirmer que c’est toujours le cas, mais il y a bel et bien un rapport. Nous rencontrons grosso modo trois formes d’agressivité au volant. En premier lieu, vous avez des personnes qui, suite au stress subi au travail ou à cause de problèmes familiaux, éprouvent un  » ras-le-bol  » quasi constant. Un événement anodin peut alors être la goutte qui fait déborder le vase. D’autres sont moins stressés, mais peuvent simplement éprouver des difficultés à s’accommoder des tensions ou des conflits inévitables qui surviennent dans la circulation et réagissent par conséquent de façon agressive. Enfin, il y a bien entendu les personnes qui réagissent systématiquement de manière (trop) agressive dans toutes les situations, dans une sorte d’affirmation de soi qui dit : je ne peux pas admettre qu’on se moque de moi, donc je tape dans le tas.

Comment définissez-vous l’agressivité au volant ?

E Quand nous parlons d’agressivité au volant, il s’agit de coups et blessures volontaires ou, tout au moins, de menaces physiques ou de dommages causés volontairement, par exemple, au véhicule d’un autre usager de la route, suite à un conflit routier.

Cette agressivité est-elle en progression ?

E C’est une question difficile, parce qu’il n’existe nulle part de chiffres à ce sujet. Pour la justice, l’agressivité au volant est simplement classée sous  » coups et blessures volontaires « . Font également partie de cette catégorie toutes les bagarres de café et violences familiales… Durant les années 1990, la police d’Anvers a cependant enregistré pendant un certain temps toutes les plaintes. Durant cette période, 200 à 300 cas par an ont été répertoriés pour l’agglomération d’Anvers et ce chiffre est resté relativement stable. Mais nous n’en savons guère plus.

Dans les Rough guide to Belgium, il est mentionné qu’en Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles, les conducteurs comptent parmi les plus agressifs d’Europe. Partagez-vous ce sentiment ou disposez-vous de chiffres à ce sujet ?

E En ce qui concerne Bruxelles, il est évident que l’on remarque que, comme dans toutes les grandes villes, l’agressivité sur la route est plus généralisée. Notez que tout est relatif : la plupart des Belges craignent de s’aventurer en voiture dans Paris… Il n’existe pas de chiffres objectifs sur les différences entre les pays, mais il faut bien évidemment tenir compte des différences culturelles qui déterminent ce que les personnes jugent irritant ou non. En Italie, par exemple, le fait de klaxonner est tout à fait normal, tandis que les Néerlandais, au contraire, trouvent cela exaspérant. Des sociétés étrangères nous demandent de temps à autre de donner des conférences sur le thème de la circulation en Belgique. Je remarque alors que les Britanniques et les Américains trouvent notre manière de rouler très agressive. En revanche, les Européens du Sud ont une toute autre opinion sur le sujet !

Que pouvons-nous faire pour réduire l’agressivité au volant ?

E En tant que spécialiste de la circulation, je pense qu’il est important de mettre suffisamment l’accent sur les rapports avec les autres usagers de la route. Cela peut se faire aussi bien auprès des enfants dans les écoles que durant la formation à la conduite. Actuellement, l’accent est peut-être mis avec trop d’insistance sur les règles, sur les droits et devoirs du conducteur, alors qu’il me semble également important d’apprendre aux gens à se mettre dans la peau des autres usagers. Par ailleurs, il peut également être utile de rendre le trafic le plus prévisible possible. Prenez par exemple, les infos routières à la radio : le simple fait d’être prévenus fait que les gens se sentent moins frustrés lorsqu’ils se retrouvent coincés dans des bouchons. En revanche, je ne suis pas tellement partisan de l’idée d’aborder l’agressivité de front, car il s’agit d’un phénomène sporadique. Aux Pays-Bas, on a cherché à trouver un geste sympathique pour dire  » excusez-moi  » en voiture, pour éviter que les signes d’excuses soient mal interprétés. Mais cela s’est terminé en queue de poisson car, tout dépend bien sûr de la manière dont le geste est fait ! Dans les années 1980, une compagnie d’assurances avait osffert à ses assurés deux petits gants en plastique : un rouge pour dire  » excusez-moi  » et un vert pour signifier  » à vous le passage « . C’était une idée amusante, mais cela en est resté là. Dans le même ordre d’idées : un professeur américain a dernièrement introduit une proposition visant à placer un feu vert à l’arrière de chaque véhicule, pour remercier les automobilistes qui vous cèdent le passage. Ce sont là des gadgets amusants, mais qui n’apportent hélas pas grand-chose en pratique.

Entretien : Tim Vernimmen

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