Aaaaah Véronique

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Quarante ans après sa sortie initiale, le premier album de Véronique Sanson, réédité avec bonus, reste toujours d’une inusable mélancolie. Amoureuse un jour, amoureuse toujours ?

Cela devait être au milieu des années 1990, à Forest-National : on assistait au concert confondant de Véronique Sanson, visiblement ivre, à côté de la plaque, à côté de ses chansons où, ô ironie, elle ne cessait de raconter le mal de vivre et les aléas de l’amour. Depuis lors, la fille d’un couple de résistants – prénommée Véronique en raison du V de la victoire de 1945 – a parlé publiquement de son parcours compliqué, bio à fleur de peau où l’alcool ne dissipera jamais vraiment les douleurs. Si la plupart des artistes souffrent de nausées sentimentales, celles de Sanson contrastent avec une image de femme irradiant une forme de pureté. C’est l’impression donnée par son apparition au début des années 1970 : la frange blonde charnelle, un visage de lumière nordique, une silhouette adolescente et un sourire à faire fondre les étoiles.

Après quelques tentatives de chanson sans lendemain, la voilà musicalement associée à Michel Berger, qui partage également sa vie. Engagé comme producteur-maison chez Warner Music, Berger chaperonne Amoureuse, paru en 1972. Le public découvre alors une voix, une présence et un sens du spleen, inédits jusque-là en terre de France, même si au rayon masculin, il y a déjà eu les trémolos de Julien Clerc. La Sanson de 23 ans possède le vibrato absolu : sur cet album inaugural, la chanteuse donne l’impression de subir une réverbération naturelle qui l’empêche de finir ses phrases autrement qu’en syllabes ondulantes.  » Et je sens la fièvre qui me mo-oo-oo-oo-oo-oo-rd/Sans que j’aie l’ombre d’un remo-oo-oo-oo-oo-rds. « Ce phrasé si particulier – cousin de celui de Berger – sera sa marque de fabrique au même titre que les ballades imprégnées d’un piano sentimental retenant les arpèges de Bach et Chopin. Le tout égrené de quelques notes de guitare pop et d’une théâtralité indéniablement héritée de Barbara.

Auteur-compositeur, Sanson crée sur Amoureuse plusieurs moments d’envergure : la plage titulaire bien sûr, mais aussi L’irréparable, Louis, et deux titres devenant des standards instantanés, Mariavah et ce sublime Bahia où elle dit son désir de fuite vers un éden d’amour ultime. Comme la fiction-chanson n’est jamais loin de la réalité, après un second album en team, Sanson quittera brusquement Michel Berger – prétextant aller chercher des cigarettes…- pour vivre une intense romance avec la star américaine Stephen Stills. Trahison enfantant par la suite, de part et d’autre, des chansons tristes.

Cette réédition n’est pas sans bonus : un Amoureuse mené en duo hiératique avec Fanny Ardant, et puis des versions anglaise, allemande, espagnole et italienne, d’extraits de ce premier disque. Plus substantiel : les 12 maquettes originales des titres de l’album, déjà totalement imprégnées de l’univers de Sanson, révèlent aussi le travail ultérieur accompli par le producteur Berger et son magnifique arrangeur, Michel Bernholc.

En complément, un DVD bouclé au Cirque royal de Bruxelles en décembre 2011, montre que la désormais blonde sexagénaire, n’a rien perdu de son désir volcanique de musique. Même si l’incandescence mélancolique d’ Amoureuse restera un moment d’exception.

CD/DVD Amoureuse (1972-2012), chez Warner.

PHILIPPE CORNET

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