A trois, c’est mieux qu’à deux

Et si on jouait au foot à trois équipes ? En changeant d’alliance en cours de match. Le principe fait son chemin. Avec de vrais tournois. Et plein de vertus, qui désamorcent l’agressivité.

Le traditionnel terrain de football a cédé sa place à un hexagone régulier dont un côté sur deux est pourvu d’une cage. Sur la surface de jeu, trois équipes s’affrontent simultanément. Trois ! Si, si, si ! Elles jouent, en même temps, l’une contre l’autre. Vu de la tribune des supporters, on pourrait croire que la bière de la buvette est dangereusement frelatée. Il n’en est rien. Depuis que le collectif français d’artistes Pied La Biche s’est invité au club de football de première division espagnole de l’Athletic Bilbao, ces étranges tournois de football investissent les terrains de la péninsule Ibérique.

A l’initiative du premier tournoi de ce genre : le collectif Pied La Biche qui réunit des informaticiens, des architectes, des vidéastes et des urbanistes autour de problématiques liées à l’espace, au territoire, à l’image ou aux médias. En 2009, à l’occasion de la biennale d’Art contemporain de Lyon, ils organisent, à Vénissieux, un tournoi de football à trois côtés rassemblant les équipes de joueurs amateurs de la banlieue lyonnaise. Le principe est identique à un match habituel mais le jeu, lui, prend une tout autre tournure.  » La complexité est un peu plus grande dans le football à trois côtés, explique Naïm Aït-Sidhoum, membre du collectif. Les aspects tactiques et stratégiques rendent le jeu plus intéressant. Du coup, il s’agit de savoir comment on va s’allier à une équipe ou à une autre, à quel moment on le fait, quelle stratégie on choisit, etc. « 

 » L’adversaire d’une action peut être le coéquipier de la suivante « 

Un jeu d’alliances et de stratégie imaginé, dans les années 1950, par le Danois Asger Jorn. Cet artiste peintre, qui compta parmi les fondateurs du mouvement Cobra et de l’internationale situationniste, développe une théorie selon laquelle la société est gouvernée par un dialectisme bourgeois qui favorise l’apparition de pratiques telles que l’affrontement, la loi du vainqueur ou encore le duel. Afin de mettre un terme à ce modèle binaire qui, selon l’artiste, gangrène toutes les sphères de la société, Asger Jorn imagine le football à trois côtés.

Par ce biais, il ne s’agit pas tant d’illustrer son postulat – par ailleurs savamment développé dans De la méthode de triolectique dans ses applications en situlogie générale – que d’inaugurer un autre modèle sportif privilégiant, cette fois, la stratégie, la collaboration et le hasard. Et, selon Naïm Aït-Sidhoum, pas de doute, le résultat est probant :  » L’adversaire d’une action peut être le coéquipier de la suivante. Si on est dans une situation de rivalité ou d’agressivité par rapport à une équipe, elle pourra vous le rendre par la suite. Souvent, lorsque deux équipes s’allient, c’est qu’elles sont moins fortes que la troisième. Toutefois, leur alliance est temporaire car elles-mêmes doivent pouvoir se départager. En revanche, quand une équipe est en difficulté par rapport aux deux autres, ces dernières tentent de la courtiser afin de s’octroyer un avantage et ainsi se distinguer plus aisément de l’équipe rivale. Ce qui est attrayant dans le football à trois côtés, c’est que les alliances sont toujours très instables et on dépasse vite le cadre du simple affrontement sportif.  »

Si le football à trois côtés demeurera, avec Asger Jorn, à l’état d’embryon, son idée fait maintenant trembler les filets. A Bilbao, 37 équipes participent à un championnat débuté en octobre 2011. Seulement six équipes seront qualifiés pour participer, en avril, à la finale qui aura lieu sur l’esplanade du musée Guggenheim de Bilbao.

Elodie Gabillard

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