A qui perd gagne

Règle sportive viciée: lors du dernier match de championnat de football, Mouscron pourrait pavoiser à coup sûr, s’il se laissait battre… Lacunes et cas de figure

Une situation curieuse, inédite, et totalement contraire à l’éthique et à l’esprit sportif pourrait émailler la dernière journée du championnat de Belgique de football. En cause: une lacune des règlements de l’UEFA (Union européenne de football) qui déterminent la qualification des clubs aux compétitions européennes. Selon ceux-ci, les deux premiers du championnat de Belgique participeront, la saison prochaine, à la Champions League, l’épreuve européenne majeure. Quant aux deux places réservées à nos clubs en Coupe de l’UEFA, l’autre compétition européenne, elles seront attribuées au vainqueur de la Coupe de Belgique et au troisième classé du championnat.

Une précision réglementaire supplémentaire est la cause de l’imbroglio: si le vainqueur de la Coupe nationale a également obtenu le droit de participation à la Champions League, prioritaire (en accédant à l’une des deux premières places du championnat), c’est le finaliste battu en Coupe nationale qui accédera à la Coupe de l’UEFA. D’ores et déjà, il est établi que la finale de la Coupe de Belgique opposera, le 9 mai prochain, le Football club brugeois à Mouscron. Or Bruges, l’actuel leader du championnat, est donc aussi en lice pour la conquête d’une des deux places qualificatives en Champions League et le sera probablement toujours, le 5 mai, lors de la dernière journée de la compétition, lorsqu’il recevra… Mouscron. Pour le club hennuyer, la voie de la Coupe de Belgique étant la seule possibilité d’accès à une compétition européenne, il pourrait donc, ce jour-là, avoir tout intérêt à se laisser battre. Il garantirait ainsi à Bruges une place en Champions League et serait ensuite lui-même, quatre jours plus tard, vainqueur ou battu, assuré de sa participation européenne à l’issue de la finale de la Coupe de Belgique.

Bref, le règlement risque ici d’induire quelque chose de pas très… réglo. Ne parlons pas de corruption, même si la fraude et les combines ont, de tout temps, émaillé le sport. Mais dans ce cas de figure on se trouve en pleine contradiction. La faille réside dans la rédaction même du règlement. Toute compétition est, par définition, caractérisée par la lutte pour gagner ou pour asseoir une position dominante. Jamais pour se laisser battre. Par ailleurs, un règlement doit viser à donner à tous les pratiquants la possibilité de lutter à armes égales. Ce qui n’est pas vrai dans ce cas particulier: un club gagnerait à être battu, alors que ses concurrents directs sont contraints, eux, de l’emporter. A Nyon (Suisse), au siège de l’UEFA, on vient d’enregistrer la lacune, mais on n’y a pas encore trouvé de remède. Pour l’heure, on se contente d’affirmer que « la fédération européenne n’acceptera jamais, dans ses compétitions, des clubs soupçonnés de s’être laissé battre ».

Ainsi, le foot-business, en multipliant les compétitions à sources de gros revenus, s’est laissé prendre à son piège du lucre, dépassé par la complication et par l’interférence de ses règlements. Le football belge n’échappe d’ailleurs pas au phénomène. Les faillites et les fusions de clubs, de plus en plus nombreuses, donnent également lieu à des bizarreries. Exemple: en cas de radiation en cours de compétition – ce qui aurait été le cas, s’il n’avait, avant le 31 mars dernier, payé ses dettes à l’Union belge -, tous les résultats du club d’Alost, mis en liquidation quelques jours auparavant, auraient été annulés. Une telle opération aurait gravement faussé la course au titre et à la qualification en Champions League. En effet, Anderlecht aurait, dès lors, perdu les 6 points qu’il avait acquis contre les Alostois, pour 4 seulement à Bruges et à Genk, tous deux contraints à un match nul contre cet adversaire commun. Il est évidemment inadmissible que la faillite d’un club pénalise l’un et profite à d’autres.

En fait, presque tous les règlements ont leurs failles. En football, des situations ambiguës se présentent chaque saison. Notamment à la suite de transferts de joueurs et d’entraîneurs d’un club à un autre, alors qu’ils sont encore appelés à se rencontrer en fin de compétition. Cela n’empêche pas, quelquefois, l’esprit sportif de triompher. A quatre journées du terme de la saison 1991-1992, Anderlecht, leader du championnat, s’est rendu au Football club malinois, dont il avait déjà acquis préalablement deux des stars, Philippe Albert et Marc Emmers. Ces deux Diables rouges allaient-ils, dès lors, favoriser la victoire et le titre pour le club bruxellois avec en prime, pour leur compte personnel, une première participation à la Champions League ? Rien de tout cela. Les deux futurs Anderlechtois ont été les meilleurs acteurs d’un match que les « Mauve et blanc » n’ont pas gagné. Trois semaines plus tard, Bruges devenait champion et Anderlecht ne terminait qu’à… la quatrième place.

Dans d’autres sports, aussi

En cyclisme, l’organisation des championnats du monde par équipes nationales pose également problème, lorsque, toute la saison durant, des coureurs professionnels de tous pays défendent les couleurs d’un même sponsor et employeur. Il y a deux ans, à Sint-Michielsgestel (Pays-Bas), au championnat du monde de cyclo-cross, le Belge Sven Nys, pourtant le plus fort du lot, a volontairement favorisé la victoire du Néerlandais Richard Groenendaal, son équipier chez Rabobank, parce que le banquier hollandais l’avait voulu ainsi. En se laissant devancer, Nys a donc consciemment provoqué la perte de l’équipe belge, qui était la sienne ce jour-là. En revanche, il en va différemment lorsque, dans une échappée, des cyclistes d’équipes rivales s’accordent pour se partager les honneurs en établissant d’avance le résultat final: à toi la victoire d’étape, à moi la conquête du maillot jaune. Dans ce cas, pour atteindre l’objectif, les deux parties sont obligées d’unir leurs efforts jusqu’au bout, sans aucun ménagement. Ici, le renoncement volontaire équivaudrait carrément à l’échec.

Premier sport olympique, l’athlétisme n’est pas davantage régi par des règlements infaillibles. Dans les grandes compétitions, où les qualifications s’attribuent à la fois à la place et au temps (par exemple, les 4 premiers de chaque série et les 4 meilleurs temps à partir de la 4e place passent au niveau suivant), il y a évidemment toujours intérêt à courir dans la dernière série, puisque les « chronos » des courses précédentes sont connus.

Même l’automatisation du chronométrage a ses manquements. L’impulsion qu’exerce l’athlète au départ sur les starting-blocks est enregistrée et permet au starter de sanctionner un faux départ si l’impulsion se produit moins de 100/1 000 de seconde après le coup de pistolet. Une réaction aussi vive indiquerait que l’athlète a préjugé l’instant de départ. Ainsi, lors de la finale du 110 mètres haies aux Jeux olympiques de Montréal, en 1976, le Français Guy Drut a eu un temps de réaction de 135/1 000 de seconde pour 223/1 000 de seconde au Cubain Alejandro Casanas, soit une différence de 88/1 000 de seconde. Comme Drut n’est devenu champion olympique qu’avec 3/1 000 de seconde d’avance, il s’avère que le Cubain, bien que battu, a couru plus vite que le Français !

Contrairement au cas unique du règlement paradoxal de l’UEFA, qui accorde le bénéfice à la défaite, dans toutes les autres circonstances, les vainqueurs, certes favorisés par un quelconque article du règlement, ont néanmoins dû déployer toutes leurs forces en vue d’obtenir la victoire. Et non pas l’inverse. Allons, l’honneur est sauf…

Emile Carlier

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