Eric Sauray appelle la classe politique haîtienne (ici, le Premier ministre Claude Joseph) à assumer enfin ses responsabilités. © BELGA IMAGE

Eric Sauray sur la situation en Haïti: « A quand une prise de conscience des élites? »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Attendue après le séisme de 2010, elle n’a pas eu lieu. Surviendra-t-elle après l’assassinat du président Moïse? Avocat franco-haïtien et chargé de cours à l’université Paris XIII, Eric Sauray doute que la classe politique reconnaisse ses responsabilités dans le chaos actuel.

Des personnalités politiques avaient-elles intérêt à ce que le président disparaisse?

Je ne l’espère pas. La politique ne nécessite pas l’assassinat d’un adversaire pour accéder aux responsabilités. Néanmoins, on pouvait redouter des actes graves au vu du niveau de violence observé en Haïti et de la radicalisation de l’ensemble de la classe politique. L’ assassinat est le résultat de cette logique de violence. Une partie de l’opposition souhaitait le départ du président à tout prix. J’espère que ce n’était pas à ce prix-là parce qu’il est lourd à payer. Cela me conduit à dire qu’il y a tellement d’enjeux autour du pouvoir en Haïti que rien n’est à exclure.

Faut-il maintenir les élections législatives et présidentielles du 26 septembre?

Il serait sage de prendre du temps pour pouvoir organiser de vraies élections libres. Si elles sont organisées dans le délai prévu, on prend le risque de ne pas résoudre la crise. Il est nécessaire que la classe politique haïtienne comprenne qu’elle a une responsabilité importante dans ce qui s’est passé. Elle n’a cessé de répéter, tous les matins, qu’elle ferait partir le président, y compris en l’assassinant puisque cela a été dit. Il est urgent que la société haïtienne trouve les moyens de redéfinir un contrat social. Aujourd’hui, il n’existe plus.

L’assassinat de Jovenel Moïse peut-il provoquer un électrochoc au sein de la classe politique?

Ce serait souhaitable. Mais je suis sceptique parce que je n’ai observé aucune réaction d’empathie de la part des élites politiques, économiques et intellectuelles à l’occasion de cet assassinat. Déjà en 2010, on a pensé que le séisme qui avait frappé Haïti déclencherait une prise de conscience des élites d’Haïti. Elle n’a pas eu lieu. Cette fois-ci, les élites ont soit réclamé le droit au silence, soit affirmé que le président avait été victime du climat qu’il avait créé. Quand un écrivain important d’Haïti tient de tels propos après l’assassinat de son président (NDLR: Lyonel Trouillot dans une tribune publiée sur le site du Point le 8 juillet), cela me déçoit et me laisse sceptique sur l’avenir du pays.

Je n’ai observé aucune réaction d’empathie de la part des élites politiques, économiques et intellectuelles à l’occasion de l’assassinat de Jovenel Moïse.

Les actes du président Moïse n’ont-ils pas provoqué depuis quelques mois une contestation légitime?

Evidemment. C’est le jeu politique. Quand le président se comporte mal ou ne donne pas satisfaction, il est normal que la classe politique le conteste et réclame, éventuellement, sa démission. Cela ne peut pourtant pas conduire au blocage d’un pays, déjà pauvre, à une logique de coup d’Etat et à un assassinat. On ne peut pas dire que le président a été victime d’un climat qu’il a créé. En disant cela, on légitime l’assassinat. S’il n’y a pas en Haïti une réflexion sur ce qu’est un Etat, sur la manière de le construire, sur l’acceptation du conflit dans le débat politique et sur la meilleure façon de faire vivre les citoyens ensemble, la situation ne changera pas.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire