Face aux besoins et aux attentes de plusieurs générations au travail, des employeurs s’essaient à des formules flexibles pour rémunérer » mieux « , à défaut de rémunérer » plus « .
A côté du » salaire de base » s’ajoute, pour un nombre croissant de travailleurs, un salaire » variable » (primes à la prestation individuelle et/ou de groupe) ainsi que des avantages complémentaires comme les titres-repas, la voiture de société et les assurances (pension, hospitalisation, etc.), entre autres. Combien d’avantages extralégaux viennent ainsi enrichir le paquet salarial des travailleurs ? Difficile à dire. Au point que, parfois, les départements des ressources humaines s’y perdent eux-mêmes !
La raison ? Ces avantages, qu’ils soient financiers ou non (par exemple, liés à une meilleure gestion des contraintes professionnelles et privées), sont introduits par des responsables qui se succèdent au fil des années, voire par différents managers. Un chef de l’IT peut, par exemple, permettre aux membres de son équipe de bénéficier d’un jour de télétravail à domicile par semaine, là où son collègue de la production y sera totalement hostile. Or un avantage qui est accordé est rarement retiré ensuite. Résultat : on en arrive à des systèmes de rémunération touffus, complexes et, parfois, inadaptés.
Purgatoire professionnel
Certains employeurs prennent conscience de la chose et, confrontés à plusieurs générations au travail, se montrent désireux de trouver des formules permettant de » rémunérer mieux « , en proposant des packages répondant davantage aux besoins et aux attentes des travailleurs. D’après certaines études, ces derniers semblent également demandeurs d’une rémunération correspondant mieux à leurs besoins du moment. Les expériences visant à flexibiliser les formules salariales ne sont pas neuves : on parle de » plans cafétéria » depuis de longues années, mais sans qu’il existe de cadre légal offrant la sécurité juridique. Du coup, à peine 3 % des organisations auraient mis en place un tel système.
Faut-il pour autant conclure que toute perspective de personnalisation des packages salariaux s’arrête là ? Non, car des contextes d’entreprises différents ainsi que des situations et choix de vie liés aux générations viennent aujourd’hui renforcer l’intérêt de développer des approches différenciées. Coordinatrice de la recherche Social Patterns of Relation to Work explorant les relations intergénérationnelles au travail, Patricia Vendramin identifie des attentes assez différentes. » Trois groupes d’âge ont été distingués dans l’étude : les moins de 30 ans, les 30-50 ans et les plus de 50 ans, confie-t-elle. Il faut tout d’abord nuancer le tableau d’une jeune génération qui se caractériserait par une approche très matérialiste du travail. Les choses sont en réalité bien plus nuancées. «
» Quand on dit que les jeunes n’ont plus le travail comme valeur, c’est tout à fait réducteur, estime-t-elle. Ce qui est vrai, c’est que les jeunes souffrent d’une sous-évaluation de leur période d’études et d’un certain manque de reconnaissance en début de carrière. Ils passent, en moyenne, par trois années de situation assez précaire, perçues comme une sorte de purgatoire professionnel. En parallèle, ils ont le souci d’accéder à une certaine indépendance et souffrent donc d’un manque de ressources. » Résultat : ils ont des attentes plus marquées par rapport aux revenus et l’impatience de se faire une place au soleil.
» Si la reconnaissance par un contrat à durée indéterminée n’est pas au rendez-vous, il est compréhensible que celle-ci soit attendue sur le plan salarial, note-t-elle. La jeune génération a intégré le fait qu’elle vivait une situation moins favorisée que celle connue par leurs aînés dans les années 1960. A l’époque, on était sûr de trouver un emploi et on avait de belles perspectives de carrière. Ce n’est plus le cas. Le jeune attend donc de rentabiliser beaucoup plus vite son investissement. Il n’est pas dupe : il ne peut accepter des salaires en deçà de ce qu’il preste en pariant sur le plus long terme car, au moment d’un rééquilibrage potentiel, il ne sera sans doute plus là. «
Besoins variés
Alors que les projecteurs sont aujourd’hui tournés vers la génération des 50+ dont on sait qu’il lui faudra prester plus longtemps, la tranche du » milieu » apparaît comme la génération oubliée. » Les 30-50 ans représentent peut-être la génération la plus problématique, pointe la chercheuse. Non seulement elle va devoir travailler plus longtemps, mais elle vit en plus avec inquiétude la concurrence des jeunes tout en sachant qu’elle ne bénéficiera plus de pensions, ni plans de prépension aussi généreux que par le passé. De leur côté, les 50+ souffrent, eux, du manque de reconnaissance de l’expérience en entreprise. En effet, l’expérience a été détrônée comme valeur au profit de l’innovation, associée à la jeunesse. «
Autrement dit : la formation tout au long de la vie, le développement personnel ou le coaching peuvent alors être perçus comme un investissement dont la valeur s’accroît là où, par le passé, il était considéré comme un moyen pour gagner mieux sa vie par la suite. Autres paramètres à prendre en considération par ailleurs : toutes les tendances sociales que sont, par exemple, l’allongement de la vie, l’individualisation, la diversité des configurations familiales ainsi que l’attention accrue portée à l’équilibre de vie. Au bout du compte, on en arrive à un tableau tel que les besoins et attentes en matière de package de rémunération sont beaucoup plus variés que par le passé.
Illustration ? Le jeune qui débute a avant tout un besoin de » cash » pour s’installer, payer la location de son logement et assurer son indépendance. A ses yeux, l’avantage retraite n’aura que peu de valeur perçue. La voiture de société comblera sans doute un certain besoin de reconnaissance, mais pourra aussi être considérée comme problématique dans la perspective de se tester auprès de plusieurs employeurs ou face à l’incertitude des premières expériences. Dans la tranche 30-50 ans, ce seront plutôt les problèmes de conciliation entre vie active et vie de famille qui occuperont les esprits. Plus que du cash, le collaborateur a besoin de temps – que peuvent lui apporter des solutions flexibles d’organisation du travail – et de coups de pouce permettant de tout mener de front.
Quant à la génération des 50+, elle aspire avant tout à pouvoir continuer à travailler dans des conditions compatibles avec le vieillissement – adaptation du travail, reconnaissance par de la formation, temps libre, etc. » Il n’apparaît donc pas inutile de songer à définir des packages mieux adaptés aux besoins des individus qui composent la force de travail de l’entreprise, voire de leur permettre de choisir parmi différentes composantes de la rémunération celles qui seront les plus adaptées à leurs besoins à un moment donné. Pour peu, bien entendu, que ce choix soit rendu équitable et ne cause pas des discriminations « , conclut Patricia Vendramin.
Les experts en rémunération travaillent actuellement à développer une approche que l’on peut qualifier de plus » marketing « , sur la base de » cibles » bien étudiées pour mieux répondre aux besoins et aux attentes de chacune d’elles. Le résultat doit-il passer au final par un plan cafétéria ? Pas nécessairement. Pour pousser plus avant l’image de la restauration, chacun sait fort bien que toute carte des plats s’adapte à un certain profil de client et que c’est souvent une » demande type » qui revient. En proposant aux collaborateurs trois à quatre formules différentes, on estime qu’il est déjà possible de couvrir 90 % des besoins. Pour autant que ces formules soient bien calibrées. L’enjeu est en fait moins technique que sociologique…
Christophe Lo Giudice