A propos du sionisme

Antisionisme, antisémitisme, même combat ? L’amalgame est fréquent. Et volontiers entretenu ! Il est vrai que le sionisme – entendu comme une idéologie politique et non comme le lien spirituel des Juifs de l’exil avec Jérusalem depuis leur dispersion à travers le monde antique – n’est pas une notion évidente. Et ceci facilite évidemment cela.

Certes, le sionisme, doctrine de libération nationale née, après quelques balbutiements, dans la seconde moitié du XIXe siècle, a pour figure de proue un visionnaire, Theodor Herzl, dont la philosophie politique sommaire, assez conservatrice et marquée au sceau des idées libérales en vogue dans la Grande-Bretagne de l’époque impériale (1), peut être aujourd’hui disputée en dehors de toute xénophobie.

Mais si Herzl lui donne forme, l’idée d’une patrie juive en Palestine est loin d’être tout entière pétrie de ses conceptions traditionalistes. Le sionisme – sous la bannière duquel s’opèrent à l’époque plusieurs vagues d’immigration – est même le théâtre parfois mouvementé d’une pluralité de tendances. Toutes, partagent une même fibre nationaliste, mais, contrairement aux partisans de Herzl, ne regardent pas toutes la création d’un Etat comme un aboutissement souhaitable. Pour certains, le développement d’un centre national culturel au Proche-Orient ou une société fraternelle avec les Arabes y suffirait.

Avant 1945, le sionisme politique a, de plus, fait l’objet, à l’intérieur même du judaïsme, de fortes contestations. A l’instar du rabbinat orthodoxe alors farouchement antisioniste, juifs marxistes et juifs intégrés nient, eux aussi, la pérennité de leur peuple, postulat du sionisme : l’internationalisme prolétarien pour les uns, l’émancipation politique pour les autres font du projet  » herzlien  » une régression jugée déplorable. Moins radicaux, d’autres encore, tout en affirmant la permanence historique d’une communauté hébraïque, estiment inopportun de la réunir en Palestine.

Les non-juifs qui, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, estimaient qu’il n’était pas indiqué de promouvoir l’immigration juive en Judée, que l’unification politique du judaïsme était un dessein discutable, qu’un renforcement du sentiment national juif menaçait les acquis de l’émancipation et que l’appui diplomatique recherché par les dirigeants sionistes auprès des grandes puissances était une entreprise risquée, n’étaient donc pas en mauvaise compagnie. Ils pouvaient dès lors d’autant moins aisément être accusés de racisme antijuif que des antisémites aussi virulents que Vyacheslav Plehve, le ministre du tsar responsable du sanglant pogrom de Kischineff de 1903, ou Adolf Eichman lui-même (2) furent séduits par le projet de faire émigrer les juifs sans esprit de retour.

Il est vrai que les choses ont changé avec la Shoah et le fait irréversible qu’a été la création de l’Etat d’Israël en 1948. Peut-être le choc émotionnel lié à Auschwitz et l’antisémitisme des procès staliniens n’ont-ils pas plus fragilisé l’antisionisme classique que cette apothéose du sionisme politique. Il reste que le programme du mouvement politique sioniste, qui promeut aujourd’hui notamment la centralité de l’Etat israélien dans le judaïsme mondial, est demeuré rationnellement discutable. Est-il par exemple intolérable de considérer qu’une telle centralité peut desservir les juifs qui ont majoritairement choisi de rester dans l’exil et ce même si militer auprès de leur gouvernement en faveur de l’Etat hébreu est leur droit le plus strict ?

En fissurant le consensus de la Diaspora autour d’Israël, la guerre du Kippour, celle du Liban et l’actuelle guerre de Palestine ont, en tout cas, reconfiguré l’antisionisme. En Israël, y compris dans l’armée, des courants se distancient désormais de ce qui ressemble de plus en plus à un soutien à une logique d’Etat portée par des forces politiques dont les valeurs s’éloignent des idéaux pionniers. Pourquoi des non-juifs ne pourraient-ils pas partager cette perception ?

Il est clair toutefois que cette option n’est recevable que si elle est aussi sans complaisance pour toutes les formes d’antisémitisme. A cet égard, il faut se poser la question de savoir si notre pays a bien fait le plein de voix lorsqu’il s’est agi de condamner les incidents dont des juifs belges – y compris un rabbin orthodoxe antisioniste – ont été récemment victimes.

(1) L’Etat juif, L’Herne, Paris, 1969.

(2) Voir Hannah Arendt, Eichman à Jérusalem – Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, Paris, 1966.

de Jean Sloover

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