Huit acteurs pour jouer tous les rôles. Y compris celui de Lady Macbeth et des trois sorcières. © ALESSANDRO SERRA

A la sarde

En réaction aux annulations causées par la Covid, le Théâtre de Liège organise le festival Scènes d’été. Alessandro Serra y présente Macbettu, sa version, profondément sarde et d’une force visuelle époustouflante, du classique de Shakespeare. Magique!

« C’est un texte que j’ai toujours aimé et dont je me disais que je le monterais un jour, mais j’attendais le bon moment », confie Alessandro Serra à propos de Macbeth, dont la version arrive enfin chez nous, accueillie par le festival Scènes d’été du Théâtre de Liège (1). En 2006, lors d’un reportage photographique (2) – la photo est sa première passion – au milieu des carnavals de son île d’origine, la Sardaigne, il a la révélation: c’étaient ces couleurs, ces sons, ces rythmes, ces matières, cet esprit et cette langue qu’il devait insuffler dans sa version de la tragédie de Shakespeare.

Dans Macbettu, tout produit un son: le pain, le fer, le bois, la scène elle-même…

Macbeth est donc devenu Macbettu, joué en sarde. Et pas n’importe quel sarde: « Nous avons choisi le sarde logudorese dans la variante barbaricina, précise le metteur en scène. C’est-à-dire de la Barbagia, une région très particulière. Ce n’est pas la Sardaigne de Berlusconi et des people à la plage, mais la Sardaigne pastorale, montagneuse. Ça ressemble un peu à la Corse, en ce qui concerne la personnalité des gens, leur indépendance, aussi, d’une certaine façon, leur violence. Barbagia vient de « barbare », et elle l’est! Lula, le village de mon père, est célèbre pour son panneau indiquant son nom, qui est toujours criblé d’impacts de balles. De temps en temps, il est remplacé mais il se fait directement tirer dessus, comme pour dire: « Ici, on tire, on vous prévient! » Lula a donné naissance à de nombreux bandits et pendant plusieurs années, il n’y a pas eu de maire. Personne ne voulait y aller! »

Millénaire

Il faudra dix ans à Alessandro Serra pour convaincre des coproducteurs du bien-fondé de monter une pièce de Shakespeare en sarde, une langue parlée par un peu plus d’un million de locuteurs, sur les 60 millions d’Italiens. Mais il y parvient. Il rassemble huit acteurs sardes. Uniquement des hommes, pour jouer tous les rôles, y compris celui de Lady Macbeth et des trois sorcières. Comme c’était le cas à l’époque de Shakespeare, dans le théâtre élisabéthain. Et comme dans les carnavals sardes. Les mamuthones de Mamoiada, avec leur masque en bois noir, leur fichu, leur peau de mouton et leurs kilos de cloches sur le dos, conduits par les Issohadores ; la Filonzana, à Ottana, petite vieille masquée qui tisse et coupe le fil du destin ; les Boes, aussi à Ottana, avec leur masque aux longues cornes ; les Colonganos, à Austis, le visage couvert de branchages et des ossements qui s’entrechoquent sur l’échine… Tous sont des hommes dans ces rites très anciens. « La Sardaigne est une terre millénaire, souligne Alessandro Serra. On y trouve des vestiges qui datent d’avant les Grecs, d’avant les Etrusques. Les géants de Mont’e Prama, ces statues en pierre retrouvées sous la terre dans les années 1970, sont quasiment préhistoriques. » Certains affirment qu’il s’agirait des statues les plus anciennes du bassin méditerranéen.

Avec la cendre, le bois et le fer, la pierre est au coeur de la scénographie, signée par Serra tout comme les costumes et les lumières, de Macbettu. La pierre est aussi au centre de la musique, à travers les pierres sonores du sculpteur sarde Pinuccio Sciola, décédé en 2016. « La différence entre les pierres de Sciola et les autres pierres qu’on utilise pour produire des sons dans d’autres parties du monde, c’est que les siennes, on les caresse, avec les mains ou avec un archet, plutôt que de les frapper, nuance Alessandro Serra. Il y a dans le spectacle des pierres Calcaires, qui font entendre la mémoire de l’eau – le calcaire est de l’eau fossilisée – et qui accompagnent des moments magiques, surnaturels. Alors que pour la mort du roi Duncan, on utilise le basalte, une pierre volcanique, qui restitue la mémoire du feu. Mais dans Macbettu, tout produit un son: le pain, le fer, le bois, la scène elle-même… Un journaliste a même écrit que c’était « une oeuvre lyrique ». »

Au milieu de ces sons, il y a évidemment les mots de Shakespeare, dans cette langue qui chante, hypnotique, qu’est le sarde. Du texte original, Alessandro Serra estime avoir gardé 40%. « Ce qui ne veut pas dire que j’ai tout jeté des 60%, j’ai parfois juste transformé en quelque chose d’autre, en montrant plutôt qu’en racontant. » Dans la carrière d’Alessandro Serra, Macbettu fait suite à une trilogie du silence où le metteur en scène se passait complètement des mots. Ici, comme une incantation, ils ne font que renforcer la puissance des images.

(1) Macbettu: du 26 au 28 août au Théâtre de Liège, en sarde surtitré en français, dans le cadre du festival Scènes d’été (du 18 août au 3 septembre).

(2) Des photos de ce reportage sont visibles sur alessandroserra.eu/fotografia

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