A Coo, deux cascades cachées plus puissantes que Tihange 3

A quelques centaines de mètres de la cascade de Coo, bien connue des excursionnistes, une autre double chute d’eau, cachée dans la colline, peut produire en moins de 2 minutes une puissance électrique supérieure à celle de Tihange 3, le plus gros réacteur nucléaire du pays.

La cascade visible est, avec ses 15 mètres de hauteur, la plus grande de Belgique. C’est aussi une double cascade : la petite s’est formée naturellement au XVe siècle. Sa voisine, plus tumultueuse, a été creusée au XVIIIe siècle à l’initiative de l’abbé de Stavelot, soucieux de protéger le village des crues de l’Amblève. Cet affluent de l’Ourthe décrivait jadis, autour de Coo, un large méandre aujourd’hui isolé de la rivière par deux imposantes digues et dont le niveau d’eau fluctue en permanence.

Ce méandre captif est le bassin inférieur de la centrale d’accumulation par pompage de Coo – Trois-Ponts (c’est son nom officiel). Son eau est, pendant la nuit et en week-end, refoulée par de puissantes pompes dans deux larges réservoirs d’une capacité totale de 8,5 millions de m3 (8,5 milliards de litres) et situés 275 mètres plus haut, sur la colline voisine. L’eau circule dans les deux sens par deux larges conduites (elles peuvent atteindre jusqu’à 8 m de diamètre) d’environ 1 km de longueur, qui traversent la colline.

500 m3 par seconde

La centrale est pilotée depuis le dispatching central d’Electrabel à Bruxelles. C’est de là qu’est déclenchée et modulée la double cascade géante à travers laquelle peuvent dévaler près de 500 000 litres d’eau par seconde. La formidable pression hydraulique fait tourner deux groupes de trois turbo-alternateurs qui, à puissance maximale, peuvent générer 1 164 MW d’électricité pendant près de 6 heures, soit un peu plus que la capacité de Tihange 3, le plus puissant réacteur nucléaire belge.

La puissance électrique générée en mode production est régulée par d’impressionnantes vannes qui, toujours télécommandées depuis Bruxelles, modulent très finement la quantité d’eau avalée par les turbines. En mode pompage, ce sont les mêmes machines qui tournent à l’envers et repoussent l’eau du bassin inférieur vers les bassins supérieurs. L’alternateur devient alors un moteur et la turbine, une pompe. Evidemment, on ne récupère pas, in fine, toute la quantité d’énergie qu’il a fallu pour pomper l’eau du bassin inférieur vers les bassins supérieurs. Le rendement net est de 75 %. Mais comme le pompage s’effectue au prix de l’électricité en heures creuses et le turbinage au prix des heures pleines, l’opération est rentable.

Commencée en 1967, la centrale d’accumulation par pompage de Coo était conçue comme complémentaire du premier réacteur nucléaire (franco-belge) de Tihange. Sachant que l’énergie électrique doit être consommée en même temps qu’elle est produite, il s’agissait d’utiliser le courant excédentaire produit en heures creuses, généralement la nuit, pour le stocker et ensuite le restituer au réseau quand la demande dépasse l’offre, typiquement les jours ouvrables en début de matinée et en fin d’après-midi. Par sa rapidité de mise en oeuvre et sa souplesse d’utilisation, le système de pompage et d’accumulation hydraulique est plus avantageux que ses alternatives thermiques à gaz ou à fuel. Avec, en prime, une pollution nulle et zéro émission de CO2.

Entre creux et pics de production

Coo montre aussi une utilité certaine dans la gestion des pics de production des énergies éolienne et solaire photovoltaïque, intermittentes par définition. Elle est aussi et surtout une réserve d’énergie en cas de panne subite d’une grosse unité ou d’une perturbation sévère du réseau. Les turbines de Coo sont un moyen puissant de rééquilibrage du réseau en cas de déséquilibre entre production et consommation, pour éviter le blackout. Dans le pire des cas, elles pourraient redémarrer la centrale de Tihange et ainsi entamer la reconstruction du réseau de façon autonome, à condition, bien sûr, que ses bassins supérieurs soient assez remplis. Même une panne informatique généralisée ne l’empêcherait pas de fonctionner.

La centrale a été construite en deux phases. Coo 1 est entrée en service en 1972 et Coo 2, plus puissante, en 1979. Electrabel étudie la possibilité d’y ajouter une troisième unité, avec un nouveau bassin supérieur de 5 millions de m3 et deux nouveaux groupes turbo-alternateurs de 300 MW qui porteraient la capacité de production électrique de la centrale à près de 1 800 MW. Une capacité qui permettrait de produire en un cycle complet la bagatelle de 8 millions de kWh, ce qui équivaut à la consommation quotidienne d’un million de ménages. On estime à 600 millions d’euros le montant de cet agrandissement de la centrale, qui a déjà coûté environ un milliard d’euros en investissement.

Mais Coo 3 ne pourrait apparemment pas se concrétiser sans un  » cadre régulatoire et économique clair et stable sur le long terme « , dit-on diplomatiquement chez Electrabel. Bien qu’elle soit écologiquement très propre et plus que jamais cruciale pour la sauvegarde et le bon fonctionnement du réseau, l’activité de stockage hydraulique est doublement pénalisée car elle est à la fois consommatrice et productrice d’électricité, elle est donc doublement affectée par des taxes et des surcharges qui alourdissent ses coûts. Comme tout ce qui concerne l’électricité, le projet de Coo 3 est donc éminemment politique.

Par Jean-Luc Léonard

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire