A chacun son rythme

Cycliques, défensifs ou atypiques, les grands secteurs économiques boursiers ne réagissent donc pas de la même manière à la conjoncture. L’analyste ne doit pas l’oublier

La remontée spectaculaire des marchés boursiers depuis les attentats du 11 septembre a déjoué les prévisions pessimistes de beaucoup d’analystes. Bien sûr, cette remontée a suivi une dégringolade tout aussi inhabituelle. Mais, ignorant les pronostics économiques fort alarmistes annonçant une récession mondiale pour la fin 2001 et une absence de réelle reprise avant l’été prochain, les marchés d’actions ont anticipé le retour à une croissance normale, à la faveur des stimulants monétaires et fiscaux décidés principalement par les autorités américaines.

Derrière cette remontée des marchés se cache une grande divergence d’évolution entre les différents secteurs économiques de la bourse. Les écarts de performance y sont nettement supérieurs à ceux constatés entre les grands pays, et ils illustrent l’importance croissante de la gestion sectorielle de son portefeuille, au détriment de la gestion géographique. Dans une économie de plus en plus mondialisée, malgré le frein potentiel à l’expansion du commerce international actionné par la recrudescence du terrorisme, l’évolution boursière des pays s’uniformise de plus en plus. Seuls les plus petits font parfois bande à part, en raison d’une structure sectorielle très divergente de la moyenne. Un exemple typique : le marché belge, composé à 50% de valeurs financières, pour seulement 15% en Europe. Ce seul secteur détermine dès lors fortement l’évolution de notre marché et engendre un comportement très différent des autres indices européens. Une bonne approche du marché belge supposera donc d’avoir une opinion tranchée sur le secteur financier, et non sur la conjoncture nationale, cette dernière étant intimement liée au devenir européen.

L’approche classique de l’analyse sectorielle consiste à différencier les secteurs boursiers en fonction de leur sensibilité au cycle économique. On parlera ainsi de secteurs cycliques, fort corrélés à l’évolution de l’économie, et de secteurs défensifs, peu sensibles aux mouvements conjoncturels.

Quelques secteurs sont plus difficiles à cataloguer et apparaîtront donc comme atypiques. Leur comportement, sans être isolé du cycle conjoncturel, répond à une conjonction de facteurs éventuellement opposés, ou indépendants de la conjoncture.

Des hauts et des bas très prononcés

Secteurs cycliques traditionnels : l’industrie, les matières premières, certains sous-secteurs de la consommation, comme l’automobile, les hôtels, les biens durables (électroménager, ameublement, vêtements). Toute variation du climat économique exerce une influence profonde sur les résultats des sociétés qui les composent. Les fabricants de matière première subissent de plein fouet les fortes variations de cours des produits qu’ils vendent, et se retrouvent rapidement en perte dès que l’économie ralentit. Les fabricants automobiles sont écrasés par leurs coûts fixes dès que les volumes de vente régressent. Les recettes des hôtels sont déterminées par les dépenses de vacances ou de voyages d’affaires, deux postes budgétaires rapidement coupés lorsque le climat devient incertain.

Quelques valeurs européennes bien connues dans ces secteurs: British Aerospace et Siemens pour l’industrie; BASF, Bayer, Rio Tinto pour les matières premières; Daimler Chrysler pour l’automobile; Philips, LVMH et H&M pour la consommation.

Autre secteur fortement cyclique, malgré les images contraires parfois données durant les dernières années, la technologie, qui se divise en hardware (les processeurs, les PC, les infrastructures de téléphonie mobile, les routeurs de messages électroniques) et software ( programme de bureautique, de gestion d’entreprise). Ici, aussi, les résultats des entreprise sont fort dépendants de la conjoncture.

A pointer, en particulier, les fabricants de processeurs électroniques, qui subissent l’impact des variations de volume de vente et de prix spectaculaires. Le secteur des PC connaît également des hauts et des bas très prononcés. Enfin, au registre des nouvelles technologies, les fabricants d’équipements de téléphonie mobile ont pris de plein fouet le report aux calendes grecques des GSM de troisième génération. Une grosse différence par rapport aux autres secteurs cycliques : une fois lissés, les bénéfices de ces entreprises dépassent largement ceux des valeurs industrielles ou de la consommation, et justifient dès lors des valeurs boursières nettement supérieures. Les leaders européens sont ici Nokia, Ericsson, Stmicroelectronics, Alcatel pour le hardware, SAP et Cap Gemini pour le software.

A l’antipode de ces valeurs, les secteurs de la consommation non cyclique (l’alimentation, les boissons, les produits ménagers courants), des soins de santé (beauté, soins de santé, pharmacie), et des services d’utilité publique : les utilities (distribution d’eau, d’électricité, entretien des infrastructures publiques). Leurs résultats sont globalement peu sensibles à la conjoncture. La consommation de nourriture et de médicaments est, en effet, relativement peu affectée par la croissance économique. La distribution d’eau ou d’électricité varie peu dans l’absolu, l’impact des cycles se traduisant essentiellement sur les prix de vente, donc sur les producteurs.

Citons comme noms phares Nestlé, Danone, Unilever, L’Oreal, Diageo pour la consommation; Novartis, Glaxosmithkline, Roche pour la pharmacie, Suez Lyonnaise des Eaux pour les utilities.

Enfin, trois gros secteurs entrent difficilement dans cette classification; En premier lieu la finance, qui recouvre les banques commerciales ou d’affaires et les assureurs. Le ralentissement économique pénalise l’offre de services financiers et une récession se traduit inévitablement par une augmentation des provisions pour mauvais crédits. Mais lorsqu’il s’accompagne d’une baisse des taux d’intérêt, il génère d’importantes plus value sur les portefeuilles obligataires de ces institutions. Les grands noms y sont Royal Bank of Scotland, UBS, Lloyds TSB, HSBC, Axa, Allianz, Muenchener Rueckversicherung.

En deuxième lieu, l’énergie (production de pétrole et de gaz) voit l’évolution boursière principalement déterminée par les variations actuelles et attendues du cours du pétrole. Cette évolution, bien que liée à la conjoncture mondiale, est également fort influencée par des facteurs politiques difficilement anticipables : cohésion des pays membres de l’OPEP, stabilité politique au Moyen Orient. Trois grands acteurs européens relèvent de ce secteur: Total fina, Royal Dutch, et BP Amoco.

Troisièmement, le secteur des télécoms, autrefois fortement défensif au même titre que la distribution d’électricité, a été profondément bouleversé par le développement de la mobilophonie et des échanges électroniques de données. Après l’euphorie des années 1999 et 2000, et le retour de flamme brutal en 2001, le secteur se cherche un nouveau style que personne n’ose pronostiquer avec certitude. Après avoir fait l’objet des scénarios les plus fous, le potentiel de développement des nouveaux modes de communication est aujourd’hui marqué d’un grand point d’interrogation. Secteur défensif, cyclique, de forte croissance? Plus personne n’ose encore s’avancer.

Illustration par la pratique

Malgré leurs rebonds récents, les bourses européennes restent en recul de 20% sur l’année, influencées négativement par la dégradation du climat économique. Parmi les grands secteurs, les meilleures performances sont à mettre au crédit de la pharmacie (-7%) de l’alimentation (-6%), et des utilities (- 9%). Les grands perdants sont la technologie (-44%), les télécoms (-27%), les produits et services industriels (-30%). Les banques battent le marché (-11%)tandis que les assureurs restent en retrait (- 30%). L’impact des attentats est évident. L’énergie accompagne les banques parmi les bons élèves (- 12%).

Image inversée si on analyse le dernier mois. Technologies, télécoms, matières premières, automobile, industrielles s’envolent. La pharmacie, la consommation non cyclique et les utilities font par contre du surplace. L’énergie chute, sous l’influence négative du cours du baril de pétrole.

Une fois de plus, les comportements sectoriels sont donc bien présents. Les valeurs refuges, recherchées durant les mauvais mois, n’intéressent plus les investisseurs. Bien valorisées, voire chères au regard de leurs ratios historiques, elles font du surplace sans toutefois s’effondrer. Pendant ce temps, les actions cycliques, hier détestées pour l’incertitude de leurs perspectives bénéficiaires, sont aujourd’hui demandées pour leur potentiel de reprise important. Celui-ci se concrétisera-t-il? Oui, si l’économie redémarre comme prévu. Dans le cas contraire, la déception serait immense et la rechute brutale. Mais on en est pas là aujourd’hui.

Dominique Daoût

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