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L’open source, clef d’un monde plus équitable?

Le Vif

Musique, voitures, maisons, avions… l’esprit du libre essaime aujourd’hui de l’univers du logiciel au monde réel. Bonne nouvelle: cela va de pair avec la durabilité. Focus sur cinq exemples à suivre.

Et si on appliquait le principe de Wikipédia à la création d’objets et de projets qui changent le monde? Car une conception libre et ouverte à tous permet d’agréger autour de soi une communauté de contributeurs qui apportent leur pierre à un édifice dont chacun peut bénéficier.

C’est au volant d’une voiture de sport, en 2008, que l’entrepreneur américain Joe Justice prend conscience de la quantité de pétrole qu’il envoie dans l’atmosphère. En 2010, il profite d’un concours du Progressive Insurance X-Prize pour imaginer un véhicule consommant peu d’essence et dont l’ensemble des composants est modulable à souhait. Après quelque temps passé en solo sur le projet, il partage l’idée sur son blog et reçoit des messages du monde entier.

Une quarantaine de bénévoles travaille ensuite pendant trois mois sur un prototype fonctionnel aux performances défiant les standards de l’industrie et la conformité aux tests de sécurité routière. Wikispeed venait de naître. Pour se classer en dixième place du concours, dans la catégorie grand public, devant Tata Motors, Tesla ou encore le MIT.

Une telle efficacité et une telle rapidité se retrouvent dans la majorité des projets menés dans une logique open source -que ce soit pour fabriquer du matériel agricole (Open Source Ecology), des bateaux nettoyant les pollutions maritimes (Protei), ou pour financer des projets relevant du bien commun (Goteo). Avantage: « Une communauté n’a aucun intérêt à développer des systèmes obsolescents, contrairement aux firmes capitalistes qui maintiennent la rareté pour fonctionner dans le marché », souligne Michel Bauwens, de la Fondation P2P.

Selon le philosophe Bernard Stiegler, la crise qui perdure depuis 2008 illustre l’épuisement du modèle actuel: « Nous sommes dans une période de transition, entre une économie consumériste, qui date du milieu du XXe , et une économie contributive qui émerge. » Du coup, un ensemble de possibles s’ouvre à nous.

L’écologie open source

Fabriquer les 50 appareils indispensables à la civilisation moderne à partir de ressources locales, telle est l’ambition d’opensourceecology.org et du « kit de construction du village mondial » imaginé, depuis 2003, par Marcin Jakubowski. Ce physicien américain d’origine polonaise veut mettre la technologie au service du bien commun.

« L’accès aux savoirs accélère l’innovation et permet de créer des machines huit fois moins chères que dans le commerce et 50 fois plus efficientes en termes de coût », explique-t-il, alors qu’ils sont une quinzaine à travailler sur un site de douze hectares situé dans le Missouri pour tester les prototypes de tracteur, de presse à brique, de pulvérisateur agricole et de pompe hydraulique mis au point par la communauté.

« Plus d’une douzaine de machines ont été produites à partir de nos plans ouverts, dans cinq pays à travers le monde », explique le jeune homme, dont l’initiative fonctionne avec 500 000 dollars obtenus par souscription et, bientôt, la commercialisation de presses à brique. A terme, il souhaite générer 80000 dollars par mois grâce à une installation flexible et informatisée de 400 m².

Wikispeed

« Rapidly Solving Problems for Social Good », telle est la devise de Joe Justice qui travaille depuis 2010 à la mise au point d’une voiture modulable consommant 2,3 l aux 100 kilomètres. La Wikispeed SGT-01, dont le premier essai a été réalisé en trois mois, atteint une vitesse de 239 km/h et accélère de 0 à 100 km/h en cinq secondes.

Fort d’une communauté de 150 membres bénévoles dans 18 pays, le projet se finance par des contributions mensuelles, la vente de prototypes et la formation aux méthodes de management agiles inspirées du développement logiciel pour réduire les cycles de développement à sept jours (contre plusieurs années dans le secteur automobile traditionnel).

Compter environ 25 000 dollars pour acquérir une Wikispeed (coût de fabrication de 14 000 dollars). Le modèle est aujourd’hui appliqué au développement de centres médicaux low cost, à la distribution de vaccins ou à des campagnes de lutte contre l’obésité des enfants.

Goteo

Implantée en Espagne et en Amérique latine, depuis 2009, cette plateforme de financement participatif crée un écosystème économique innovant autour de projets d’entrepreneurs sociaux. Institutions publiques, privées et société civile sont invitées à participer au financement, mais le processus d’animation encourage aussi les contributions non monétaires (accès à des infrastructures, prêt de matériel, etc.).

« Les projets soumis doivent créer des retombées qui valorisent et consolident les biens communs, l’ouverture du code informatique et les libres savoirs », explique-t-on dans l’équipe de huit personnes. Géré par la Fondation Fuentes Abiertas (« fontaines ouvertes », en castillan), Goteo compte 30 000 contributeurs, a déjà soutenu 180 projets rassemblant près de 1 million d’euros et 1200 contributions non monétaires. 35% des revenus de la fondation viennent de fonds publics, le reste de services de conseil et de formation.

Protei

Cesar Harada rêve de créer une station océanique internationale, libre et open source. Il fonde Open Sailing, en 2008, et imagine Protei (un bateau hautement flexible, capable de nettoyer rapidement de larges étendues polluées), en mai 2010, alors que les 700 navires déployés dans le golfe du Mexique ne captent que 3% du pétrole de la marée noire. Il travaille seul avant de partager son projet avec des contributeurs compétents en ingénierie mécanique ou électrique, en sciences de l’océan et des matériaux, en mécanique des fluides, etc.

En 2011, 10 personnes travaillent à plein temps sur Protei, 20 autres comme consultants et 200 contribuent via des dons ou du réseau. En 2012, soutenue par une bourse de 100000 dollars du Savanah Ocean Exchange, l’équipe fait le tour du monde dans le but de rencontrer sa communauté, et le projet se scinde en une structure à but non lucratif, Open-H2O, pour effectuer les recherches; et une autre, Protei Inc., pour optimiser la production. D’ici à la fin de 2013, 1000 bateaux de 1 à 5 m de longueur et de 120 cm de hauteur seront commercialisés.

Safecast

Ce réseau de mesure de la radioactivité fut lancé au Japon après la catastrophe de Fukushima, en 2011. Avec 20 permanents à Tokyo et à Los Angeles, il recense 10 millions de mesures effectuées à 1m au-dessus du niveau du sol (et non 10m, comme le font certaines agences) et envoyées par des centaines de volontaires, soit des chiffres plus précis et nombreux que les données gouvernementales, d’un usage souvent restreint.
Apolitique et non partisane au sujet du nucléaire, Safecast a reçu des fonds de la Fondation Knight (500 000 dollars depuis 2011), de Global Giving (50 000 dollars) et de nombreuses donations privées. Ses données sont utilisées par la population, la recherche et l’industrie médicale.

Anne-Sophie Novel

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