Zehra Dogan. © Refik Tekin

Zehra Dogan: « Continuer à dessiner, ma façon de résister »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’artiste kurde Zehra Dogan a été incarcérée dans les prisons turques après la tentative de coup d’Etat contre le président Erdogan. Dans Nous aurons aussi de beaux jours, elle appelle à « extirper le masculin qui est en nous ».

Artiste plasticienne, journaliste, la Kurde Zehra Dogan a été emprisonnée à deux reprises (en juillet 2016 pour cinq mois, en juin 2017 pour près de deux ans) dans les geôles turques, dans le cadre de la répression orchestrée par Recep Tayyip Erdogan après la tentative de coup d’Etat de juillet 2016. Son livre Nous aurons aussi de beaux jours (1) est un recueil de sa correspondance avec une amie, Naz Oke, pendant sa détention au cours de laquelle elle a continué à dessiner et à peindre.

 » Ma raison de vivre est puissante « , écrivez-vous. En quoi vous a-t-elle été utile pour supporter votre détention ?

Si l’envie de rester debout ne vous habite pas, la détention est très difficile. Je savais que j’étais une prisonnière politique et la raison pour laquelle j’étais emprisonnée.

Quelle importance a eu l’amitié nouée avec les codétenues dans votre faculté de résistance ?

Nous étions des femmes issues de tous les milieux, des artistes, des intellectuelles, des députées, des journalistes mais aussi des ouvrières agricoles. Nous avions de nombreuses discussions entre nous. La solidarité était très forte. Quelque part, nous étions à l’extérieur à travers nos familles et nos amis et les composantes de la société étaient dans notre cercle intérieur.

Recep Tayyip Erdogan a-t-il instrumentalisé la tentative de coup d’Etat pour accroître la répression des Kurdes de Turquie ?

A partir de 2013, les Kurdes de Turquie ont commencé à améliorer leur économie et leur gestion politique locale. La coprésidence des mairies, par exemple, est devenue un modèle. En 2015 et en 2016, des attentats ont frappé la communauté kurde dans les villes de Suruc et de Diyarbakir, puis un autre a eu lieu à Ankara. Le pouvoir a incriminé Daech. Mais il en a profité pour étouffer le développement des Kurdes. La tentative de coup d’Etat en juillet 2016 a fourni un autre prétexte pour accroître la répression.

Vous évoquez souvent la domination patriarcale fort présente au Moyen-Orient. Et vous expliquez qu’il faut  » extirper le masculin qui est en nous « . Que voulez-vous dire ?

Le pouvoir masculin est né avec la civilisation et remonte à des millions d’années. Quand je parle d’extirper le masculin qui est en nous, je pense à ce diktat considéré comme naturel et qui est présent aussi bien chez l’homme que chez la femme.

(1) Nous aurons aussi de beaux jours, par Zehra Dogan, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 298 p.
(1) Nous aurons aussi de beaux jours, par Zehra Dogan, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 298 p.

Quand on lit votre livre ou quand on découvre vos oeuvres, on est étonné de voir les instruments que vous avez trouvés en prison pour dessiner et peindre. Où avez-vous puisé ces ressources ?

J’ai été condamnée pour un dessin (NDLR : une oeuvre numérique représentant la destruction de la ville de Nusaybin). Celui-ci s’est inscrit dans l’histoire artistique de la Turquie. Il a été utilisé, y compris par le New York Times, pour illustrer la situation en Turquie. Comme auteure de ce symbole, je ne pouvais pas me permettre de rester inactive en prison. Il fallait que je continue à produire, et que je montre que je résiste.

Le titre de votre livre est Nous aurons aussi de beaux jours. Qu’est ce qui vous donne l’espoir qu’ils surviendront un jour ?

Les enfants. Je ne perdrai jamais espoir tant que je garderai mon âme d’enfant. Les adultes se fatiguent, se découragent ou se brisent… Les enfants sont simples, sont entêtés, savent s’émerveiller. C’est aussi pour cela que l’art, quand il est fondé sur cette simplicité, est si important.

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