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Vladimir Poutine prépare sa sortie

Qu’il y aura-t-il après Poutine ? Après des années de spéculation, le président lève un coin du voile. Avec la nouvelle constitution, Poutine semble surtout vouloir se protéger d’un successeur trop ambitieux.

On ne peut pas dire que les choses n’avancent pas en Russie. Dans son discours annuel sur l’état de la nation, Vladimir Poutine avait à peine esquissé les contours d’une révision constitutionnelle, que le Premier ministre Dmitri Medvedev annonçait déjà la démission de son gouvernement. Selon ses propres termes, M. Medvedev souhaite ainsi « donner au président la possibilité de prendre les décisions nécessaires ». Il occupera désormais le poste de vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, ce qui semble du même coup signifier la fin de Medvedev comme chef de gouvernement.

La révision de la constitution, que Poutine veut soumettre par référendum, est en lien direct avec l’échéance de 2024. Soit l’année où expire le mandat présidentiel de Poutine sans, selon la constitution actuelle, qu’il ne puisse se représenter. Plus surprenante est la proposition de Poutine de renforcer les règles relatives au mandat du président russe et il ne sera désormais plus possible de faire plus de deux mandats. En l’absence de tout obstacle juridique – et ceux-ci sont à peine présents en Russie -, cela signifierait que Poutine démissionnerait effectivement en 2024.

Les propositions de Poutine indiquent également dans quelle direction il souhaite voir évoluer le système russe après 2024. Il laisse ainsi au Parlement le soin de nommer le Premier ministre et les ministres, bien que cela doive être encore être valider par le Conseil de la Fédération. Il propose également que les candidats à la présidence doivent désormais avoir vécu pendant 25 ans en Russie et qu’ils ne puissent avoir d’autre nationalité que la Russe. Un permis de séjour à l’étranger exclurait également les Russes de la plus haute fonction.

En agissant ainsi Poutine espère éviter une candidature des oligarques. Lorsque, dans les années 2000, Poutine a ramené dans le giron de l’état les plus grandes entreprises russes. Beaucoup d’entre elles ont fui vers l’Europe, où elles ont investi dans des yachts, des clubs de football et d’autres entreprises de divertissements. Prenons, par exemple, le cas de Mikhail Khodorkovsky, l’ancien cadre de la compagnie pétrolière Ioukos. L’homme avait des ambitions politiques en 2003, mais va, après un procès politique, se retrouver pour 10 ans en prison. A sa sortie, en 2013, il va obtenir une autorisation de séjour en Suisse. Une échappatoire qui l’exclut aujourd’hui de facto de la course à la présidence.

Poutine propose également divers changements institutionnels. Le Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement fédéral, serait habilité à révoquer les juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême (la Douma étant la Chambre basse NDLR). De cette façon, Poutine semble vouloir enlever un peu de pouvoir à la présidence. Une présidence qui était justement devenue extrêmement puissante dans le système qu’il a créé. Ces modifications n’empêchent pas que la Russie reste un pays où les institutions sont extrêmement faibles et où le pouvoir semble être lié à des individus plutôt qu’à des fonctions. On peut donc se demander dans quelle mesure cette nouvelle constitution prendra forme dans la pratique.

La proposition la plus remarquable, et sans doute celle que la plupart des Russes attendaient avec impatience, est celle d’indexer la sécurité sociale et le salaire minimum. La manière dont la Russie – avec son économie stagnante et ses difficultés budgétaires – entend financer ces mesures n’est cependant pas claire.

Avec le pas de côté de Medvedev, c’est aussi l’un des plus anciens alliés de Poutine qui disparaît. Les deux – tous deux avocats – se sont rencontrés au cabinet d’Anatoli Sobchak, le premier maire démocratiquement élu de Saint-Pétersbourg. Medvedev va, plus tard, suivre Poutine à Moscou où il devient son chef de campagne et son chef de cabinet, avant de lui succéder à la présidence, du moins sur papier, en 2008.

Vladimir Poutine prépare sa sortie
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De 2008 à 2012, c’est en effet Medvedev qui va reprendre la boutique présidentielle, quand Poutine ne pourra pas, en vertu de la Constitution russe, enchaîner avec un troisième mandat consécutif à la présidence. Poutine devient alors Premier ministre, mais prend soin de prendre la plupart des rênes du pouvoir avec lui. En Russie, on va appeler cette période la tandemokratiya : Poutine et Medvedev dirigeaient le pays assis sur un tandem. En 2010, Poutine dira en plaisantant que Medvedev et lui dormaient en alternance, de sorte que l’un d’eux était toujours prêt pour le pays. Avec Medvedev à sa tête, qui selon les standards russes était considéré comme un libéral, la Russie va avoir un leader qui parlait principalement d’économie et qui n’était que trop heureux de parader avec les derniers iPhones.

En 2011, cette démocratie en tandem va connaître une fin abrupte. Chamboulé par les révolutions arabes, dans lesquelles divers régimes autoritaires ont été renversés brutalement par des foules en colère, Poutine décide de serrer la vis. Il laissera à Medvedev le soin d’expliquer au congrès qu’il serait préférable pour lui de laisser Poutine être à nouveau candidat à la présidence. Ce grand guignol politique, combiné à la fraude à grande échelle lors des élections législatives de décembre 2011, va entraîner d’importantes manifestations dans plusieurs grandes villes qui feront l’objet d’une impitoyable répression après la réélection de Poutine.

Depuis lors, Medvedev travaillait en réalité sur ses adieux politiques. Alors que la popularité de Poutine est restée étonnamment stable ces dernières années, celle du gouvernement russe va chuter à des niveaux sans précédent. On va surtout lui reprocher la faiblesse de l’économie, en partie causée par la politique étrangère du président, et la corruption généralisée de l’administration. Le parti au pouvoir Russie Unie est tellement impopulaire en Russie que lors des élections présidentielles de 2018, Poutine va se présenter comme candidat indépendant, craignant que la mauvaise réputation de Russie Unie ne mette en péril sa candidature. Medvedev a également été la cible du blogueur anti-corruption Aleksey Navalny, notamment à travers un documentaire diffusé en 2017 dans lequel il l’accuse d’avoir détourné plus d’un milliard d’euros de fonds publics.

Pourtant, la démission de Medvedev ne semble pas être liée à une perte en grâce. Après tout, il passe au Conseil de sécurité, l’institution qui conseille le président sur les questions de sécurité. Il se trouve, et ce n’est sûrement pas anodin, que les membres du Conseil de sécurité jouissent d’une immunité juridique en Russie. C’est généralement un endroit où les anciens combattants du régime se réfugient pour leurs vieux jours afin d’être protégés contre d’éventuelles procédures judiciaires.

Selon des rumeurs persistantes, Vladimir Poutine devrait également rejoindre le Conseil de sécurité après sa présidence. En tant que président, il ne s’éloignerait ainsi pas trop du pouvoir tout en se mettant à l’abri de successeurs trop ambitieux. Un tour de passe-passe similaire s’est produit l’année dernière au Kazakhstan. Lorsque le président Noersoeltan Nazarbaev démissionne après 28 ans de présidence, il prend soin de rester président du Conseil national de sécurité du Kazakhstan.

Il n’est donc pas inconcevable que Poutine et Medvedev se retrouvent bientôt ensemble au Conseil de sécurité. Qui sait, peut-être que l’ancien tandem n’aura pas perdu l’habitude de pédaler ensemble.

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