Vers une nouvelle course à l’arme nucléaire?
En temps d’instabilité générale, de plus en plus de pays envisagent l’option nucléaire. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle course nucléaire ?
Depuis le 20 janvier, le risque que le président de la deuxième puissance nucléaire du monde appuie sur le bouton rouge dans un accès de colère, s’est quelque peu réduit. Et pourtant, après le départ de Donald Trump, le monde risque de se retrouver dans une nouvelle course nucléaire. Ce sera aussi l’un des grands défis du nouveau président américain Joe Biden. La semaine dernière, il a prolongé le New START, un traité qui limite le nombre de têtes nucléaires et de systèmes de lancement.
Cependant, les principaux de défis de Biden sont ailleurs. Un premier thème urgent, c’est l’accord nucléaire avec l’Iran et la question s’il réussira à lui insuffler un second souffle. Trump a résilié cet accord avec l’Iran en 2018, et malgré les tentatives européennes de conserver l’accord, l’Iran a décidé en 2019 de recommencer à enrichir de l’uranium, ce qui fait qu’il ne respecte plus les conditions de l’accord. Biden et le président iranien Hassen Rohani ont déjà indiqué qu’ils souhaitaient revenir à l’accord avec l’Iran. « Seulement, personne ne semble vouloir faire le premier pas », analyse Sico van der Meer, spécialiste en armes de destructions massives à l’institut Clingendael. « L’Iran souhaite que l’Amérique annule ses sanctions, et l’Amérique souhaite que l’Iran respecte d’abord le deal. Des deux côtés, la discussion est prise en otage par les adeptes de la ligne dure. Si en juin, l’Iran a un nouveau président adepte de la ligne dure, je crains que l’accord avec l’Iran soit définitivement aboli. »
Si l’Iran réussit effectivement à développer la bombe nucléaire, il semble certain que l’Arabie saoudite suivra. Le régime saoudien possède déjà un programme soutenu par la Chine et les États-Unis, dont le but officiel est de monter des centrales d’énergie nucléaire. « Cependant, cela facilite la transition vers un programme d’arme nucléaire », déclare Van der Meer. « Tout comme l’Iran avant l’accord nucléaire, l’Arabie saoudite ne remplit pas les conditions les plus strictes de l’Agence internationale de l’énergie atomique », ce qui provoque une certaine nervosité dans la région. Si l’Arabie saoudite se mettait à construire des armes nucléaires, l’Égypte suivra probablement. Et le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré à plusieurs reprises qu’il trouve fondamentalement injuste que la Turquie n’ait pas le droit de posséder des armes nucléaires, alors que des pays comme Israël l’ont. Le Brésil, sous la direction de Jair Bolsonaro, montre également un intérêt renouvelé pour les armes nucléaires.
Un moyen de pression
La logique classique veut que les armes nucléaires soient dissuasives, l’ultime moyen de pression. Tom Sauer, professeur en politique internationale à l’Université d’Anvers, s’interroge. « Il n’y a aucun scénario réaliste pensable où l’on aurait besoin de ces armes », déclare Sauer. « Pensons-nous vraiment que Vladimir Poutine croit que l’OTAN engagera un jour des armes nucléaires pour venir en aide aux états baltes ? Même les états baltes n’en veulent pas, car si nous utilisions les armes nucléaires contre la Russie, ils seront également rayés de la carte. Si nous voulons aider la Pologne ou les états baltes, il nous faut des moyens de dissuasion crédibles. Les armes nucléaires n’en font pas partie. » Sauer indique que les états nucléaires ne sont pas forcément préservés d’agressions. « Quand l’Égypte et Israël ont attaqué Israël pendant la guerre du Yom Kippour, ils savaient pertinemment qu’Israël possédait des armes nucléaires. Cela prouve certainement que la dissuasion nucléaire ne fonctionne tout simplement pas ».
Sous Trump, l’Amérique a remis pratiquement toutes les conventions internationales en question. Soudain, le Japon et la Corée du Sud se sont entendu dire qu’ils devraient payer davantage pour la protection américaine contre la Corée du Nord. Trump a également soulevé des doutes sur l’OTAN, ce qui en a incité certains en Allemagne à réfléchir leur avenir stratégique. Les égards dont Trump a entouré un état-voyou tel que la Corée du Nord a rendu les armes nucléaires attrayantes aux yeux de nombreux régimes. « Quand il s’est avéré que la Corée du Nord disposait de nombreuses armes nucléaires, Trump l’a placée sur un piédestal et l’a légitimée comme puissance nucléaire », explique Van der Meer. « De cette manière, il a montré qu’une puissance nucléaire est diplomatiquement inattaquable. On peut se permettre beaucoup plus, on peut faire chanter d’autres pays, et personne n’ose s’en prendre en vous. Tous ces autres pays l’ont évidemment constaté aussi. »
Seuil abaissé
Tout d’abord, les lois font obstacle à ces ambitions nucléaires. Depuis 1970, presque toutes les puissances non nucléaires ont signé le traité de non-profilération, où elles promettent de ne pas développer d’armes nucléaires. En soi, les armes nucléaires sont une technologie relativement obsolète. Beaucoup de systèmes d’armes modernes sont nettement plus avancés et précis. « Généralement, on admet que si un pays souhaite vraiment fabriquer des armes nucléaires, et est prêt à mettre les moyens, il réussit », déclare Sauer. « Regardez la Corée du Nord. Ce pays est dénué de tout, mais en utilisant les grands moyens, le régime a réussi à devenir une puissance nucléaire. »
En outre, les puissances nucléaires établies ne semblent pas prêtes à faire marche arrière. Ces dernières années, pratiquement toutes les puissances nucléaires ont modernisé leur arsenal nucléaire. Les États-Unis, la Russie et le Pakistan ont transformé leur arsenal nucléaire en armes tactiques plus petites. Au lieu de démolir toute une ville, ces armes tactiques pourraient être déployées de manière plus ciblée et détruire « seulement » un quartier de la ville. « Ces armes abaissent le seuil », craint Van der Meer. « Elles augmentent le risque qu’elles soient déployées dans un conflit. »
En outre, le traité de l’ONU sur l’interdiction d’armes nucléaires est en vigueur depuis le 22 janvier. C’est un nouveau traité qui rend entre autres illégal le développement, la possession, l’utilisation, et la menace d’armes nucléaires. Jusqu’à présent, le pacte a été signé par 86 pays, et ratifié par 52 pays. Bien qu’il n’ait pas été signé par les puissances nucléaires ou des pays de l’OTAN, le nouveau traité constitue une étape importante, estime Tom Sauer. « Il donne à l’opinion publique des États membres de l’OTAN la possibilité d’accroître la pression sur les puissances nucléaires. Pour l’instant, des pays comme la Belgique et les Pays-Bas se trouvent dans un double état d’esprit. À terme, cet écart est intenable. » La balle est surtout dans le camp des grandes puissances, estime Sauer. « Si elles restent sur leurs positions, et continuent à faire comme si de rien n’était, plusieurs pays se retireront du traité de non-prolifération. On obtient alors une sorte d’anarchie nucléaire où tout le monde perd. »
La Belgique est le premier état membre de l’OTAN à avoir repris le nouveau traité des Nations-Unies dans un accord gouvernemental. En termes prudents, celui-ci stipule que la Belgique « vérifiera comment renforcer le cadre multilatéral de non-prolifération et comment le Traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires peut donner un nouvel élan au désarmement nucléaire multilatéral ». Mais dans sa diplomatie, notre pays s’engage sur la voie de la progressivité. Par exemple, la Belgique préside actuellement le Groupe des fournisseurs nucléaires, un mécanisme de contrôle qui doit empêcher que la technologie nucléaire ne soit détournée à des fins militaires. Il n’est pas question de signer effectivement le traité d’interdiction.
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