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Venezuela: « La situation ne peut que se dégrader »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le président du Parlement vénézuélien Juan Guaido s’est autoproclamé  » président par intérim  » du Venezuela. Le président Nicolas Maduro compte, quant à lui, sur l’appui de l’armée pour contrecarrer le soutien international apporté à son rival.

Comment se profile à présent l’avenir de ce pays d’Amérique latine en pleine crise politique ? Trois questions à Sebastian Santander, professeur en sciences politiques et relations internationales à l’Université de Liège (ULiège).

Levif.be : Le Venezuela a désormais « deux présidents ». Que va-t-il se passer maintenant ?

Sebastian Santander : Certains s’interrogent quant à une éventuelle intervention des États-Unis, mais je n’y crois pas. Le gouvernement américain est empêtré dans toute une série d’affaires, qui ne vont pas pousser Donald Trump à intervenir au Venezuela: le shutdown, le conflit avec le Congrès, la question de la collusion entre la Russie et son équipe de campagne… Et même si la plupart des gouvernements d’Amérique latine se sentent assez proches de l’administration de Trump, ils n’aimeraient pas voir une puissance extérieure à l’Amérique latine intervenir militairement au Venezuela.

Ce qui pourrait arriver, c’est que tous ces pays (Brésil, Pérou, Colombie…), à l’exception du Mexique, adoptent des sanctions comme c’est déjà le cas. L’idée serait d’étouffer le gouvernement en place avec des sanctions économiques, de l’isoler de la scène latino-américaine, voire internationale, avec des mesures diplomatiques. Mais généralement, quand on adopte des sanctions elles touchent en premier lieu la population. Hormis le Mexique, de nombreux pays de la région estiment que l’élection de l’an dernier a été pipée, ils ne reconnaissent pas les résultats, c’est pour cela que beaucoup aujourd’hui reconnaissent Juan Guaido comme président autoproclamé. Le Canada et les États-Unis aussi l’ont reconnu. L’Union européenne a déjà adopté l’an dernier des sanctions économiques. Ça veut dire qu’elle est aussi dans une démarche de coercition à l’égard du gouvernement de Nicolas Maduro.

Venezuela:
© Miraflores Palace/Handout via REUTERS

Dans la région, Maduro peut encore compter, d’un point de vue diplomatique, sur le Mexique. Mais il y a aussi la Russie et la Chine. Il y a aujourd’hui une sorte de bras de fer international, entre Chinois, Russes, Américains et Européens. Et il se poursuit à travers le cas du Venezuela.

Le Venezuela est dans une situation très compliquée, économiquement, socialement et aussi politiquement. Comment en est-on arrivé là ?

La situation se détériore depuis de très nombreuses années. Au Venezuela, la société est extrêmement clivée. On peut remonter avant le décès de Hugo Chavez, où la situation était en train de s’envenimer. La partie qui supportait Chavez est désormais derrière Maduro. De l’autre côté, vous avez une partie qui est plus conservatrice qui était opposée à Chavez et à son projet politique et économique. Il y a de cela 20-25 ans, il y a eu des politiques qui ont donné des résultats d’un point de vue social et qui ont permis à un certain moment de sortir des gens de la pauvreté. Mais Chavez a eu tendance à privilégier une politique plutôt clientéliste, en favorisant ses « amis ». Il n’a pas diversifié l’économie et l’a fait surtout reposer sur le pétrole. Il n’a pas mis en place une véritable industrie et a beaucoup importé.

On peut ajouter à cela une corruption galopante, qui existait déjà dans les gouvernements antérieurs. Maduro hérite d’une situation compliquée et il n’est pas vraiment l’homme qu’il fallait pour faire face à des circonstances difficiles sur les plans économique, politique et social. Il va un peu envenimer la situation et les divisions vont continuer à se creuser entre les tenants du chavisme et ceux qui s’y opposent entièrement. Cette société très divisée a continué à avancer comme cela.

Juan Guaido
Juan Guaido© Reuters

Lors des élections, l’opposition était souvent divisée et n’arrivait pas à créer un front commun pour proposer un projet alternatif, viable. Ça n’a pas aidé. Il y a aussi eu des élections où l’opposition a décidé de ne pas participer. Ça a aussi contribué à envenimer la situation, avec une chute des prix du pétrole alors que le Venezuela avait misé dessus pour développer l’économie. Le PIB vénézuélien dépend grandement du pétrole, et quand les prix chutent, l’économie est tout de suite affectée. L’hyperinflation mine aussi le pouvoir d’achat, ce qui fait que les gens sentent qu’ils n’ont plus d’avenir. Cette situation a donné lieu à une crise migratoire depuis plus de deux ans. A peu près 3 millions de Vénézuéliens ont quitté leur territoire pour aller en Colombie, au Brésil, au Pérou… La situation est assez explosive en ce moment pour toutes ces raisons.

Comment la situation peut-elle désormais évoluer ?

La situation ne peut que se dégrader au vu des pressions internationales. Ce qui va être décisif pour Maduro, c’est la position de l’armée. Une grande partie de l’armée vénézuélienne a toujours été derrière le gouvernement, comme avec Chavez. Pour moi, le sort de Maduro dépend de la position de l’armée. Pour l’instant, l’armée le soutient. Est-ce que cela peut changer ? C’est difficile à dire, car en politique tout peut changer. Si la situation continue de s’envenimer, il faudra voir comment l’armée va vivre cette situation d’isolement politique, de pressions internes, de remise en question du pouvoir… Est-ce plus patriotique de soutenir le gouvernement ou de penser à la population et à l’image du Venezuela ?

Il y a une sorte de chute vertigineuse, en termes de pouvoir d’achat, économique… Le Venezuela a perdu dernièrement presque un tiers de son PIB, ce n’est pas rien. L’hyperinflation, le manque de denrées alimentaires, la fuite du pays… La situation s’envenime depuis quelques années et cela continue. Aujourd’hui, on avance de plus en plus vers l’abîme. C’est une sorte de spirale vers le bas, autant au niveau économique que social.

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