Michael Bloomberg © Reuters

USA: Bloomberg le candidat couvert par Bloomberg l’agence de presse, un casse-tête

Le Vif

Michael Bloomberg candidat à la Maison Blanche pourrait-il être couvert par Bloomberg l’agence de presse? Si l’homme d’affaires n’a pas encore décidé de se présenter, la question est déjà un casse-tête pour ses journalistes.

De George Washington à Donald Trump, l’histoire de la présidence des Etats-Unis est truffée d’entrepreneurs et la question des conflits d’intérêts n’est pas nouvelle, mais jamais un patron de presse ne s’est encore installé à la Maison Blanche.

Fondée en 1990, l’agence Bloomberg News c’est 2.400 journalistes, un fil d’actualités, des magazines, une station de radio, des podcasts, une chaîne de télévision, et une couverture exhaustive de l’actualité politique, avec notamment six journalistes affectés à la Maison Blanche. Au sein de l’entreprise non cotée en bourse, on rappelle que Michael Bloomberg, 77 ans, huitième fortune mondiale, n’est pas encore officiellement candidat. « S’il se présente et quand il le fera, nous ferons part de nos plans de couverture à la rédaction », a indiqué à l’AFP une porte-parole.

Le temps est encore à l’hypothèse, et le dernier sondage en date (Morning Consult) ne le crédite que de 4% d’intentions de vote chez les sympathisants démocrates, mais le sujet est déjà sensible au sein de la rédaction Bloomberg. Sollicités par l’AFP, plusieurs de ses journalistes ont refusé d’évoquer le sujet. Le milliardaire ne s’est pas exprimé publiquement depuis l’annonce de son enregistrement comme candidat en Alabama et Arkansas, première étape vers une véritable candidature, mais il avait déjà envisagé plusieurs scénarios lors d’un entretien avec la station Radio Iowa, en décembre 2018.

Première possibilité, interrompre toute couverture politique, quelle qu’elle soit, par Bloomberg News. « Le client paye cher pour le terminal Bloomberg parce qu’il veut les données financières et les informations financières, pas forcément pour les infos sur la politique », explique un ancien journaliste politique de Bloomberg News, sous couvert d’anonymat. « Donc je n’écarterais pas cette solution ». Michael Bloomberg a bâti un empire grâce à ses terminaux de marchés, loués autour de 20.000 dollars l’année.

Vendre, la solution?

Autre issue, suggérée l’an dernier par l’intéressé, mentionner, dans tous les articles et émissions évoquant Bloomberg le candidat, qu’il est le principal actionnaire (88% du capital) du groupe. C’est ce qu’a fait l’agence pendant ses trois mandats de maire de New York, de 2002 à 2013, ainsi que dans ses récentes dépêches traitant de son enregistrement dans l’Alabama et l’Arkansas.

Mais dans la même interview, il reconnaît lui-même que cela ne réglerait sans doute pas tout le problème. « Vous ne pouvez pas être indépendant et personne ne va croire que vous êtes indépendant », disait-il. « Et très honnêtement, je ne veux pas que des journalistes que je paye écrivent un article négatif sur moi. Je ne veux pas qu’ils soient indépendants ». « Personne n’en sortira indemne », estime l’ancien reporter de Bloomberg, qui suggère la création d’un poste de médiateur au sein de la rédaction. « Une couverture du président Bloomberg par Bloomberg News serait passée au peigne fin par tout le monde, à la recherche de partialité, dans un sens ou dans l’autre ».

Selon lui, les journalistes de l’agence seraient taxés alternativement soit de complaisance, soit de critique excessive pour éviter l’image d’une rédaction aux ordres. L’occasion serait trop belle pour Donald Trump – qui accuse systématiquement les médias traditionnels de faire campagne contre lui – de tenter de discréditer à la fois Mike Bloomberg et l’agence qui porte son nom. Le président américain ne s’en est pas privé avec le Washington Post, contrôlé par le fondateur d’Amazon Jeff Bezos, qu’il surnomme souvent « Amazon Washington Post ».

« Couvrir son patron de manière juste et objective, c’est un équilibre délicat », estime Kate Andersen Brower, qui a couvert la Maison Blanche pour Bloomberg durant l’administration Obama. « D’autres l’ont fait (…), donc c’est possible, mais c’est indéniablement compliqué. »

Professeur de journalisme à l’université de la ville de New York (CUNY), Jeff Jarvis renvoie à l’époque où Bloomberg était maire de New York. « Il s’en est bien tiré et (l’agence) Bloomberg s’en est aussi bien tirée » pour gérer cette situation atypique, juge-t-il. « Ce qui compte, c’est la transparence et l’honnêteté intellectuelle. Vous devez être capable de couvrir des choses qui ne sont pas agréables » pour l’intéressé.

Mais pour Dan Kennedy, professeur de journalisme à l’université de Northeastern, la situation serait intenable. « Bloomberg la personne doit s’assurer que ses journalistes ne se retrouvent pas dans cette position. S’il devient candidat sérieux, il devrait vendre ». Il y a un an, Michael Bloomberg avait expliqué qu’en cas d’élection, il placerait ses sociétés dans un trust confié à une personne de confiance, ou se séparerait de son groupe, avec une préférence pour la seconde option. « A mon âge », avait-il dit à Radio Iowa, « s’il est possible de vendre, c’est ce que je ferais ».

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