Mélanie Geelkens

« Une sacrée paire de baskets »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Va falloir porter autre chose que des pantoufles. Ça va leur faire bizarre, aux pieds, de se reposer dans des escarpins, des bottillons, des sandales (autres que des claquettes). Le confinement avait au moins l’avantage du confort plantaire. Le coronavirus aura changé beaucoup de choses, mais malheureusement pas la pertinence d’une paire de savates en forme de licornes (ou autre modèle) sur un lieu de travail. Alors il y avait ces baskets, là, sur un site de vente en ligne. Des blanches, printanières, le contrefort tout en paillettes, le pied droit barré d’un « sororité » argenté.

Au premier coup d’oeil, l’achat semblait tentant. La conviction jusqu’au bout des orteils. Au second, ça semblait finalement un peu con. Pourquoi avoir besoin de l’afficher pour fouler le pavé ? Vider panier. Puis, avec le sac Smash the Patriarchy, le pull Girl Power et les boucles d’oreille en forme de clitoris, le look aurait été redondant.

© MERCI SIMONE

Ainsi l’égalité des genres est devenue un argument marketing. Les publicitaires ont compris que la femme fait vendre, d’autant plus que c’est généralement elle qui achète, la plupart du temps. Sans doute est-ce d’un côté réjouissant, que le mot  » féminisme  » soit désormais un slogan à apposer sur un vêtement plutôt qu’une insulte à recevoir dans les dents. Le tee-shirt d’Angèle  » les femmes ont besoin de plus de sommeil que les hommes parce que combattre le patriarcat est épuisant  » aura suscité davantage de vocations, chez les jeunes générations, que la lecture du Deuxième Sexe. Bien qu’il existe aussi des blouses Simone de Beauvoir.

Sans doute est-ce d’un côté réjouissant, que le mot « féminisme » soit devenu un slogan à apposer sur un vêtement plutôt qu’une insulte à recevoir dans les dents

Jolies, hein, c’est pas le problème. Mais toujours portées, sur les publicités, par les mannequins sous-alimentées. Comme cette marque sportive qui promet aux filles de  » réaliser pleinement leur potentiel  » mais qui continue à faire fabriquer ses leggings dans des contrées aux ouvrières sous-payées. Ou cette enseigne de fast-food qui, le 8 mars dernier, a renversé son célèbre  » M  » en  » W « , comme  » women « , mais qui ne leur sert pas de rémunération décente. Elle est drôle aussi, l’histoire (française) de ce fabricant industriel de viennoiseries. En 2017, il se targuait d’être la  » première marque à revendiquer son engagement auprès des femmes, pour une répartition des tâches plus juste « , invitant même les hommes à s’excuser publiquement de ne pas autant faire le ménage dans leur foyer que leur compagne. Peut-être aurait-il d’abord fallu regretter de ne compter qu’une femme sur sept membres, au sein de son comité de direction, ainsi qu’une seule directrice d’usine sur six.

© BONS BAISERS DE PANAME

Parité bien ordonnée commence par soi-même. Sinon, ça s’appelle du feminism washing. Même principe que pour l’écologie : jurer – grands dieux ! – qu’il faut sauver la planète, mais continuer à déféquer sur elle des torrents pollués. Aucune firme n’oserait plus déclarer  » oh, ben, vous savez, l’égalité des genres, moi j’en ai rien à secouer « . Y en a qui s’y sont risqués, tels ces burgers de friterie et leur campagne où un mari met un pain à sa dame, sans que cela soit couronné de succès.

Mais le vrai progrès, ce serait de ne plus discriminer à l’embauche. De payer indifféremment ses salarié.e.s. De désigner des candidates à des postes à responsabilités. Ça ferait même du bon slogan de tee-shirt, ça. Genre  » Egalité des chanc?s  » ou  » Fighting Against Glass Ceiling « . Avec des paillettes, comme sur les baskets. La sororité, c’est mieux de la pratiquer que de la chausser. Puis cette paire avec  » gin  » sur le pied gauche et  » tonic  » sur le droit était finalement plus adaptée, pour retourner bosser. Plus représentative d’une vie confinée.

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millions de dollars d’arriérés de salaires : tel est le montant que réclamaient les joueuses de l’équipe américaine de football, dans une action judiciaire intentée en 2019, visant à obtenir une rémunération égale à celle de l’équipe nationale masculine. Leur demande vient d’être déboutée, le 1er mai. Les joueuses comptent faire appel. En 2018, l’équipe masculine de France remportait 38 millions de dollars en même temps que la Coupe du monde de Russie. En 2019, les Américaines du tournoi mondial en empochaient douze fois moins.

Les femmes savent pourquoi

© GETTY IMAGES

Le 1er mai, dans l’émission Boomerang, sur France Inter, la romancière Geneviève Brisac s’interrogeait sur ce que le confinement révèle de l’enfermement quotidien que subissent, en temps normal, femmes et enfants. Après avoir relu La Vie matérielle, de Marguerite Duras, elle se dit que  » le confinement, ce n’est pas tellement un choc pour les femmes. Même les plus vagabondes. Les femmes savent très bien ce que c’est d’être enfermées. Par expérience, ou par ouï-dire, ou parce qu’il y a des choses qu’on sait de naissance. C’est drôle qu’on n’en parle pas : le ménage, les vitres, la cuisine, la lessive et les courses comme principal horizon, pour une grande moitié du monde, ce n’est pas tout à fait une découverte.  »

C’est ça de gagné

Le Soudan vient d’interdire la pratique des mutilations génitales féminines, qui concerne 87 % des femmes de 14 à 49 ans, selon les Nations unies. Toute ablation du clitoris ou des lèvres sera passible de trois ans de prison. L’excision n’est toutefois pas seulement un problème africain. En Belgique, selon une étude datant de décembre 2016, près de 26 000 femmes sont concernées (soit déjà excisées, soit risquant de l’être), dont 9 000 de moins de 18 ans.

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