L'avion piloté par Antônio s'est écrasé dans l'État brésilien du Pará, aux portes de l'Amazonie. L'épreuve la plus difficile l'attendait ensuite. © Erik Jennings

Un pilote survit 36 jours dans la forêt amazonienne (récit)

Stagiaire Le Vif

« J’avais accepté ce travail, désespéré pour payer mes factures pendant la crise sanitaire. Et je me suis retrouvé à survivre dans l’Amazonie« , révèle Antônio Sena au Vif. Le jeune pilote brésilien raconte son odyssée dans la forêt amazonienne après une panne du moteur de son avion.

Le jeudi 28 janvier 2021, à son insu, le jeune pilote Antônio Sena se prépare à affronter l’aventure qui allait lui changer la vie. Au bord d’un avion Cessna 210L, le Brésilien de 36 ans survole la forêt amazonienne entre les communes d’Alenquer et Almeirim. « C’était le vol d’où tout a commencé, le vol de la mort » dit-il. Il a pour mission de livrer un chargement de diesel dans une mine d’or illégale, appelée « 13 de Maio », située au nord du Brésil. Il a accepté ce travail pour faire face à la crise économique accentuée par la pandémie. Auparavant, il était restaurateur, mais à cause des restrictions liées à la COVID-19, il a dû fermer son restaurant deux fois. « Quand tout était en train d’aller bien, boum, deuxième vague. J’avais beaucoup de dettes et je ne savais pas comment les rembourser .« 

Antônio avait déjà des années d'expérience comme pilote au Brésil et en Afrique.
Antônio avait déjà des années d’expérience comme pilote au Brésil et en Afrique.© Antônio Sena

Mayday, Mayday, Mayday

Tout à coup, alors qu’il est à 3 000 pieds, le moteur de son avion cesse de fonctionner. À ce moment-là, il réalise que l’avion va s’écraser. « Dans ces cas, on n’a pas le temps de paniquer parce que chaque seconde est précieuse. » Son premier réflexe est de suivre la procédure apprise lors de sa formation d’aviation pour effectuer un atterrissage d’urgence. Une manoeuvre particulièrement ardue au milieu de l’épaisse végétation qui recouvre la région. Il fait passer l’avion au travers d’une trouée entre deux arbres à açaï. « Ces derniers sont plus souples que les autres arbres plus grands. »

Tout n’est plus que bruit et de confusion. « Je pouvais voir l’avion s’enfoncer dans les arbres, mais je l’ai retenu jusqu’à la dernière seconde de l’impact. » Quand il rouvre les yeux, , il est posé dans un ruisseau. Il n’a aucun membre de cassé, mais il est recouvert de carburant. Les parties électriques de l’avion étant chargées de kérosène, le risque d’un incendie est élevé. « Je devais prendre vite tout ce qu’il pouvait m’être utile et quitter l’avion le plus tôt possible. »

Équipé d’un sac, d’un couteau de poche, d’un autre multifonction, d’une lampe de poche, de deux briquets, d’une corde et de quelques sacs de construction, le pilote escalade rapidement la montagne plus proche. « À la moitié de l’escalade, j’ai pu entendre l’avion qui prenait feu. » Ensuite, il entend une explosion et voit un grand nuage de fumée noire.

Les jours suivants, il les passe près de la carcasse de l’avion à réaliser ce qui s’est passé. Pour boire, il ne dispose que de trois bouteilles d’eau et de quatre sodas qu’il transportait. Cependant, il épargne les réserves d’eau pendant les premières 24 heures suivant l’accident pour quand il en aurait vraiment besoin. Ensuite, il cherche à récupérer de l’eau en circulation. Il évite de boire de l’eau stagnante, même quand la soif le dévore, parce que celle-ci cumule beaucoup de bactéries qui pouvaient le rendre malade.

Il attend impatiemment l’armée de l’air brésilienne (FAB), à laquelle il avait envoyé un signal avant de s’écraser. Au cinquième jour, des avions volent au-dessus de sa tête, sans le voir. Antônio crie, agite les bras, sans parvenir à attirer l’attention des secouristes. « J’entendais le bruit fort résonner près de moi et puis s’éloigner au fur et à mesure dans les alentours, jusqu’à ce qu’à mon désespoir, ils disparaissent« .

Après ce jour-là, les secours ne retournent plus le chercher. « Cela a été un moment critique où j’ai pensé mourir sans jamais revoir ma famille. » Pour surmonter cette crise, il se reconnecte à Dieu. « La foi m’a redonné l’espoir. Celle-ci est la dernière à mourir. » Pour lui, c’est sa force, celle qui le motive à lutter. Il confie avoir déjà perdu des amis dans la forêt dans des situations similaires. « Je risquais de me faire engloutir par l’Amazonie comme eux« .

Prendre sa vie en main

Autour de lui, une immensité verte. Plus tard, il découvrira qu’il se trouvait au coeur de la réserve biologique Maicuru, riche en biodiversité. C’est un des endroits les plus reculés et les plus isolés de la forêt amazonienne où il n’y a pas de signes de vie humaine. Pour éviter l’abattement , il doit bouger tout le temps, sentir qu’il est vivant. Il fait du bruit pour marquer sa présence à lui-même, aux animaux et éventuellement à quelqu’un.

Son abri étant près d’un ruisseau, il est conscient d’être une proie facile pour les prédateurs. De plus, il n’a pas de nourriture autour de lui et il a terminé toutes ses provisions. « Si j’étais resté là, je serais mort de faim. » Il décide alors de se mettre en route. « Je devais trouver le moyen de sortir de là, de me réveiller de ce cauchemar ».

Le signal GPS de son téléphone fonctionnait encore. « Du côté est, je pouvais tenter ma fortune. » D’abord, parce qu’il avait repéré trois pistes d’atterrissage. Celles-ci ne sont plus utilisées, mais il imaginait trouver de l’activité humaine. En outre, le plus grand fleuve, le « río Parú », était situé à 100 kilomètres de sa position. « C’était ma seule chance. »

Avec le soleil pour seule boussole, il marche tous les matins en direction de l’est. L’après-midi, il se construit un campement de fortune pour y passer la nuit, avec les moyens du bord : des feuilles de palmiers et des branchages.

Le premier campement d'Antônio. Faire du feu avec du bois humide était un défi quotidien.
Le premier campement d’Antônio. Faire du feu avec du bois humide était un défi quotidien.© Antônio Sena

Une connexion profonde avec la forêt amazonienne

« Grâce aux secrets de l’Amazonie appris pendant mon enfance, j’ai survécu. » Né à Santarém, une ville de l’ouest de l’État du Pará, il a grandi sur le cours inférieur du fleuve Amazone. « Mon papa m’emmenait toujours camper ou pêcher avec lui quand j’étais petit « .

Son papa lui avait enseigné que la colophane (la substance dans le tronc des arbres résineux, NdlR) est inflammable. En portugais, cela s’appelle du « breu », « le sang du bois ». « Chaque fois que je percevais un des arbres qui en contenait, j’en récoltais beaucoup pour faire le feu tous les soirs. » Il voyait dans le feu de la lumière. Un moyen pour garder loin les animaux, mais aussi pour affronter le vide de l’obscurité.

Sa maman le guérissait avec « les médicaments de l’Amérique Latine ». Il se sert ainsi de « babosas » (limaces) ou de la « yuca » (manioc) pour soulager ses blessures, ses brûlures et ses piqûres des moustiques qui l’auront tant « mangé » pendant son séjour dans la forêt.

28 km en plus, 25 kg en moins

Il tire son énergie uniquement des fruits, de cacao, et d’oeufs bleus d’un type d’oiseaux nommé nambu-sujo (cinereous tinamou) . « J’ai passé deux jours entiers sans manger ni marcher parce que je n’avais plus de force. Deux jours perdus de marche.« 

Des pièges construits pour les animaux se révèlent un échec. Dépourvu d’armes, de grosses lames ou de crochets, il ne savait pas chasser ni pêcher. « Je perdais mon temps si je me concentrais sur les pièges. Je préférais passer mon temps à marcher.« 

Il préférerait éviter les gros animaux aussi. Pour cela, il restait éloigné du fleuve. « Les anacondas, les alligators vivent dans les fleuves. D’autres comme les jaguars se cachent tout près. Dès qu’ils voient un animal aller boire au fleuve, ils l’attaquent. Même un animal tel que l’homme. » Quand il trouve une source d’eau, il remplit sa bouteille d’eau et il part rapidement. « Je construisais mes refuges plutôt sur les montagnes parce que là, il y a moins de chances de trouver des prédateurs.« 

Serpents, cerfs, sangliers ainsi que toute espèce d’oiseaux lui rappellent qu’il n’est pas totalement seul. D’autres animaux sauvages tels que la « cutia », le « capybara », l' »agouti » (des rongeurs) et le « jabuti » (une tortue) l’accompagnent au long du chemin. Mais la faune amazonienne n’est pas complètement inoffensive. Des singes hurleurs s’attaquent à ses campements. Cependant, il trouve dans ces animaux une source fiable pour identifier ce qui était comestible.

Le plus dur de cette expérience : l’humidité

La biodiversité est bruyante, surtout à la nuit tombée, lorsque toute la population animale et végétale de la forêt semble décidée à donner de la voix. Dormir est presque impossible en étant en alerte tout le temps. « Quand je dormais, c’était seulement parce que mon corps s’écroulait. 1 ou 2 heures et après je me réveillais à nouveau.« 

Dans la forêt, les obstacles ne sont pas uniquement les prédateurs, mais aussi le climat pluvieux. Maintenant, c’est l’hiver en Amazonie. « Trempé, je tremblais toutes les nuits« . Son refuge était protégé des prédateurs, mais pas de la pluie.

« Ce qui m’a vraiment fait avancer tous ces jours, c’était l’amour pour ma famille. » Dans les moments les plus durs, il s’imagine embrasser à nouveau sa mère et ses frères. Pour Pâques, il espère célébrer la victoire de l’amour sur la mort avec ses proches, c’est ce qu’il espérait. « Dans mon épreuve, je me suis tourné vers Dieu. Et une fois de plus, il m’a aimée. Il m’a donné ce miracle. »

La voie de sortie

Début mars, il entend des bruits de tronçonneuse. Il aperçoit des autochtones en train de récolter des noix du Brésil. Au début, ils ont peur à la vue du pilote, éprouvé par son odyssée, mais ensuite, ils l’aident en lui donnant un toit, de la nourriture, de l’affection. « Les agriculteurs ont un coeur immense. Ils m’ont sauvé et je leur serai reconnaissant à vie. » Un mois après son sauvetage, ils restent en contact. « Désormais, ils font partie de ma famille.  »

Au centre, Antônio Sena, habillé en noir, avec Maria Jorge dos Santos Tavares, ses fils et d'autres collecteurs de noix. Une activité légale et durable en Brésil.
Au centre, Antônio Sena, habillé en noir, avec Maria Jorge dos Santos Tavares, ses fils et d’autres collecteurs de noix. Une activité légale et durable en Brésil.© Antônio Sena

Antônio se dit extrêmement reconnaissant envers la forêt amazonienne, le poumon de la Terre. « Si j’étais tombé dans le désert ou au milieu de l’océan, je n’aurais pas survécu. Mais l’Amazonie a été ma maman : elle m’a donné un abri, elle m’a nourri et abreuvé. »

Parfois, la vie nous fait changer de route ; et la route nous fait changer de vie. C’était la première fois que le pilote volait vers une mine illégale. « Comme si c’était une leçon de Dieu pour me dire que je n’étais pas fait pour contribuer à une minière qui nuit à la forêt amazonienne« . Il s’est promis de ne plus travailler pour des orpailleurs.

Dans son livre « 36 days », dont la sortie est prévue fin avril, il souhaite porter de la visibilité à un problème « fortement ancré » dans le pays : l’exploitation illégale des terres amazoniennes. « Il ne faut pas penser que les ouvriers des mines représentent le mal. Beaucoup sont des hommes simples, pauvres comme moi. Le gouvernement devrait leur donner une autre possibilité pour sortir de ce cercle vicieux.  » Maintenant, il a envie d’aider ceux qui sont dans le besoin parce qu’il a connu la faim pendant son aventure. « L’estomac vide détruit tout le corps. Personne ne mérite cela.« 

S’il y avait un mot à choisir pour cette aventure, il dirait la reconnaissance : pour les personnes qu’on aime, pour la maison, pour la nourriture, pour la nature. « Ce sont de petites choses, mais sans celles-ci, la vie devient compliquée. » Mais aussi, la résilience. « Même quand tu penses que tout est fini, il y a toujours une solution, une lumière au fond du tunnel, un moyen de trouver la sortie. Quoique tu sois en train de traverser, continue à lutter. »

Valentina Jaimes

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