Emmanuel Macron et Donald Trump © REUTERS

« Un Macron américain serait bien utile »

Jeroen Kraan
Jeroen Kraan Correspondant aux États-Unis

Au sein du Parti républicain, la résistance contre le populisme du président Donald Trump a pratiquement disparu. Mais un petit groupe de conservateurs espère que le parti abandonnera le cours traditionnel. « Pour l’instant, il dégage surtout une colère non dirigée, irréfléchie et omniprésente. »

L’une des surprises permanentes de la présidence de Donald Trump, c’est à quel point il a réussi à convaincre le Parti républicain de son cap populiste. Alors que pendant la campagne électorale, le magnat de l’immobilier new-yorkais était carrément ridiculisé par les membres de son parti, sa théorie « America First » est désormais largement acceptée par les républicains.

Il n’y a pratiquement pas d’opposition à la ligne de Trump, sauf à l’occasion par des éminences du parti qui ont déjà annoncé leur retraite, telles que les sénateurs Bob Corker et Jeff Flake. Dans la campagne pour les élections partielles du 6 novembre, la plupart des républicains essaient surtout de prouver à quel point leur admiration pour Trump est intense. Après tout, le président est très populaire auprès de sa « base », les 30 à 35% du pays qui l’adorent et qui sont essentiels à une victoire électorale républicaine.

Beaucoup de républicains ont été très clairs pendant la campagne: Trump était un « menteur pathologique » et « un narcissique comme ce pays n’en a encore jamais vu », déclarait le sénateur Ted Cruz. Il y a quelques mois, Cruz écrivait dans Time que Trump avait atterri à Washington tel une « grenade assourdissante », et faisait l’éloge du style incendiaire du président. Le gouverneur texan Rick Perry avait qualifié Trump de « cancer du conservatisme »; aujourd’hui, il est le ministre de l’Énergie de Trump.

Le camp du « Never Trump » au sein du Parti républicain s’est considérablement rétréci depuis sa victoire électorale. Pourtant, il y a encore quelques conservateurs qui continuent de s’élever contre le populisme de Trump, et qui espèrent que le conservatisme traditionnel pourra être sauvé. Alors que des médias populaires de droite comme Fox News et Breitbart sont en fait devenus des plateformes pour les partisans de Trump, des magazines conservateurs comme The Weekly Standard et National Review continuent de critiquer le 45e président.

Livres de protestation

Dans les librairies américaines est né un petit sous-genre de livres de protestation, écrits par des (ex-)républicains qui ne reconnaissent plus leur propre parti. Charles Sykes, ancien présentateur d’une émission de radio conservatrice, publie « How The Right Lost Its Mind ». Dans son livre « Trumpocracy », David Frum, ancien conseiller de George W. Bush, explique pourquoi il craint que Trump ne détruise la démocratie. Et dans « Corrosion of a Conservative », l’historien et journaliste Max Boot explique que non seulement il a perdu confiance dans son parti, mais dans l’idéologie conservatrice tout entière.

Dans leurs livres, Sykes, Frum et Boot s’en prennent en partie aux mêmes causes derrière le phénomène Trump. Tous les trois critiquent l’écosystème médiatique de droite, dirigé par Fox News, qui, ces dernières années, a de plus en plus fait place aux théories du complot et à la déformation des faits. Ils critiquent les déclarations de Trump qui divisent, en particulier ses déclarations racistes (par exemple sur les immigrés mexicains qui sont des « violeurs »), le sexisme (« grab them by the pussy ») et les attaques contre les médias (« ennemis du peuple »).

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Mais, reconnaissent les auteurs, c’est précisément ce ton « politiquement incorrect » qui a attiré une partie de l’électorat. Sykes se souvient d’un de ses auditeurs faisant l’éloge d’un plan visant à expulser tous les musulmans des États-Unis. « Étaient-ce ces gens-là que nous considérions comme des alliés? », se demande-t-il ensuite.

« Le parti des imbéciles »

Des trois livres, celui de Boot est le plus récent et le plus intéressant. Boot est lui-même un immigrant: enfant, il a émigré de l’Union soviétique vers l’Amérique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a toujours été en faveur d’une politique d’immigration franche qui offre des opportunités aux personnes originaires de pays plus pauvres et moins démocratiques. Comme Sykes, il se souvient avec nostalgie de l’époque du président Ronald Reagan, de « la main tendue au lieu du poing fermé ».

Cependant, Boot reconnaît aussi que depuis la candidature de Barry Goldwater en 1964, il y a un mouvement nationaliste actif au sein du Parti républicain. En outre, au cours des dernières décennies, les républicains sont devenus le parti de l’électorat blanc, tandis que les démocrates se concentraient sur les minorités ethniques. « Rétrospectivement, je peux clairement voir que, quels que soient les candidats républicains qu’ils représentaient, un nombre élevé de leurs électeurs ont entendu: c’est quelqu’un qui va mettre les minorités à leur place », écrit Boot.

Au siècle dernier, les démagogues pouvaient encore être tempérés par des « gardiens », des éminences des partis qui exerçaient une grande influence sur le processus de sélection des candidats. « Mais il n’y a plus de gardiens », écrit Boot. « La démocratisation de la politique par Internet a donné du pouvoir aux imbéciles et aux théoriciens du complot. » Le racisme implicite de certains républicains a pu devenir explicite.

Boot ne considère donc pas Trump comme une aberration, comme semble le faire Frum, mais comme la conséquence logique du saut vers la droite effectué par le Parti républicain ces dernières années. Récemment décédé, le sénateur John McCain, mentor et exemple pour Boot, a lui-même lancé le processus en choisissant Sarah Palin comme candidate à la vice-présidence en 2008. Son manque de connaissances – et le succès qu’elle a néanmoins obtenu en tant que commentatrice et présentatrice conservatrice – prouve que les républicains ne sont plus le ‘parti des idées' », écrit Boot.

John McCain et Sarah Palin en 2008
John McCain et Sarah Palin en 2008© REUTERS

« L’ascension de Palin et maintenant de Trump prouve que le GOP (Grand Old Party, petit nom des républicains, NDLR) est en fait devenu le parti des imbéciles. Pour l’instant, il dégage surtout une colère non dirigée, irréfléchie et omniprésente. »

L’exemple Macron

Le succès de Trump a conduit Boot à jeter un regard plus critique sur les positions au coeur de l’idéologie républicaine ces dernières années. Et l’auteur découvre qu’il ne peut justifier certaines opinions, comme le droit d’acheter toutes sortes d’armes à feu et la négation du changement climatique.

De plus, le racisme et le sexisme qui ont culminé avec la présidence de Trump sont incompatibles avec les vidéos iPhone qui montrent comment des Noirs américains désarmés sont tués par des policiers blancs, et les révélations du mouvement #MeToo, écrit Boot. « Mon idéologie est entrée en conflit avec la réalité – et la réalité l’emporte. »

Cela l’a conduit à supprimer son adhésion au Parti républicain, et même à ne plus se qualifier de « conservateur »; Boot choisit maintenant le terme « libéral classique ». Selon lui, le Parti républicain devrait perdre les élections « violemment et à plusieurs reprises », afin que le conservatisme classique – avec pour objectif un petit gouvernement, des marchés libres, une politique étrangère ambitieuse et autant de liberté individuelle que possible – puisse reprendre le dessus.

Boot voit également des opportunités pour un tiers modéré, qui pourrait prendre le dessus sur Trump et un démocrate de gauche en 2020. « Par-dessus tout, le parti que j’imagine devrait être optimiste et inclusif, plutôt que haineux et diviseur », écrit Boot. Il propose le milliardaire Michael Bloomberg comme candidat potentiel. C’est pratique, car un parti tiers devrait faire face à la formidable infrastructure de collecte de fonds des deux partis établis.

Boot se rend compte que depuis 1854, il n’y a eu que les républicains et les démocrates sont entrés à la Maison-Blanche, mais il voit un exemple encourageant en la personne du président français Emmanuel Macron, qui a réussi à conquérir l’Élysée avec un nouveau parti. « Un Macron américain serait bien utile », écrit Boot dans son épilogue. « Quelqu’un qui peut rendre le centrisme sexy ». Cela pourrait conduire à une lutte intéressante de slogans, contre l’omniprésent « Make America Great Again » de Trump.

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