Le Président turc Tayyip Erdogan. © REUTERS

Un comédien allemand mis en examen pour s’être moqué d’Erdogan dans une vidéo

Stagiaire Le Vif

Jan Böhmermann, animateur d’un talk-show satirique et comédien allemand, est visé par une investigation après avoir tenu des propos jugés insultants à l’égard du Président turc Erdogan.

« Ce que je m’apprête à dire n’est pas permis ». C’est ce qu’annonce le comédien satirique allemand Jan Böhmermann avant d’entamer un poème très (très) caustique sur la personne de Recep Tayyip Erdogan, le président turc. La séquence est filmée et diffusée sur « Neo Magazin Royale », une émission de fin de soirée de la ZDF, télévision publique allemande. Dans ce faux poème, l’humoriste qualifie notamment Erdogan de « pervers » et de « zoophile », et fait d’autres insinuations grivoises sur la sexualité du président.

S’il ne s’attendait sans doute pas à se voir offrir des fleurs grâce à ce sketch, Jan Böhmermann ne prévoyait pas ce qui allait suivre. Au lendemain de sa mise en ligne, la chaîne publique allemande a décidé spontanément de retirer la vidéo de sa plateforme internet, déclarant que celle-ci n’était pas en accord avec les standards habituels de la chaîne. Suite à cela, un procureur allemand a annoncé mercredi qu’une investigation avait été lancée contre Mr. Böhmermann et plusieurs responsables de l’émission télévisée de la chaîne ZDF, après que 20 plaintes concernant la vidéo ont été reçues par la justice. Le comédien pourrait être accusé de « diffamation d’un représentant d’état étranger » si les charges sont confirmées. Un motif qui peut valoir jusqu’à cinq ans de prison en Allemagne. Suite à l’évènement, plusieurs protestataires s’en sont pris au bureau de ZDF à Istanbul, notamment en lançant des oeufs sur la façade du bâtiment. Des actes confirmés par la chaîne de télévision.

Tensions diplomatiques

L’épisode intervient alors qu’il y a deux semaines, des tensions diplomatiques entre l’Allemagne et la Turquie avaient déjà failli éclater, à cause d’une chanson satirique réalisée par NDR (une radio publique allemande) et mise en ligne sur son site web. Le clip de la chanson montrait notamment des images de violences policières en Turquie, et critiquait vivement la politique d’Erdogan en matière de liberté de la presse. Le ministre turc des Affaires étrangères avait alors réagi en demandant des comptes à l’ambassadeur allemand présent en Turquie. Une porte-parole du ministre allemand des Affaires étrangères avait ensuite répondu que « la liberté d’expression et la liberté de la presse n’étaient pas négociables ».

Dans le cas de Jan Böhmermann, la diplomatie allemande n’est toutefois pas montée au créneau pour défendre l’humoriste. Un porte-parole d’Angela Merkel a par ailleurs confirmé que cette dernière avait appelé ce dimanche Ahmet Davutoglu, le Premier ministre turc. Elle aurait elle-même qualifié la vidéo « d’intentionnellement insultante », reporte le journal européen Politico.

Böhmermann jouit d’une certaine notoriété en Allemagne. Il est notamment à l’origine de plusieurs chansons satiriques, certaines ayant connu un relatif succès commercial dans le pays. Il s’est aussi fait remarqué internationalement l’année passée, en faisant produire par son émission télévisée une fausse vidéo de Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des Finances. L’extrait avait alors trompé les médias allemands. On y voyait l’ancien ministre tendre son majeur lors d’une conférence donnée en 2013, et appelant à « lever le doigt contre l’Allemagne ». Böhmermann avait par la suite révélé la supercherie dans son émission, où l’on pouvait voir ensuite le making-of de ce trucage.

Un contexte délicat

Pour rappel, ces évènements tombent dans un contexte où l’Union européenne et Ankara viennent de signer un accord migratoire, largement supporté par Angela Merkel. L’UE s’y engage notamment à fournir à la Turquie plusieurs contreparties : une aide financière de 3 milliards d’euros supplémentaires, un assouplissement des mesures d’obtention de visas européens pour les citoyens turcs, et l’ouverture d’un nouveau chapitre sur le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.

Les deux pays sont aussi très fortement liés de par l’importance de la diaspora turque implantée en Allemagne, et qui représente la plus grande minorité du pays.

Arthur Sente (stg.)

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