"L'humeur dans les centres change beaucoup une fois que les migrants ont pu appeler chez eux. Ils sont apaisés, le climat est plus détendu". Ici, des migrants arrivent sur l'île de Lesbos, en Grèce. © REUTERS

Un appel de 3 minutes au pays pour apaiser les migrants déracinés

Le Vif

Un camping-car de la Croix-Rouge a fait le tour de l’Italie, de Vintimille à Lampedusa, pour offrir à des centaines de migrants un appel de 3 mn au pays, un service essentiel pour ceux qui viennent de débarquer.

Le tour s’est terminé lundi devant le « hub » de la Croix-Rouge à Rome, un campement de tentes de 200 places qui héberge les migrants avant qu’ils ne soient répartis dans des centres d’accueil.

Une table dans la camionnette, quatre autres devant, avec pour chacune un bénévole de la Croix-Rouge, un téléphone portable et un chronomètre. Un par un, souvent incrédules, les jeunes hommes hébergés là, originaires d’Afrique de l’Ouest, du Pakistan, du Bangladesh ou d’Erythrée, s’asseyent et récitent des numéros de téléphone.

Cela prend parfois du temps, les numéros ne sont pas toujours corrects, le réseau au pays est déficient ou le destinataire absent. Mais souvent, une mère, un frère ou un voisin décroche à l’autre bout du monde, et la distance s’estompe.

« Cela fait 5 mois que je n’avais pas parlé avec ma mère. J’ai entendu sa voix et ça m’a donné comme un coup de coeur, un coup de folie. Franchement, je suis heureux », explique Mohamed, Sénégalais de 27 ans.

Parti de chez lui en avril 2016, il a traversé le Sahara puis subi enlèvements et extorsions en Libye avant d’être secouru en Méditerranée par un navire de l’agence européenne Frontex. Débarqué dimanche en Sicile, il a été conduit dans la nuit à Rome.

Pendant ses 3 mn, il a tenu à remercier sa soeur aînée, qui lui a donné l’argent pour le périple. Et à prévenir ses amis: « Ne jamais tenter ce que j’ai fait. J’ai risqué ma vie ».

Il y a quelques semaines à Pozzalo, dans le sud de la Sicile, les bénévoles de la Croix-Rouge ont été témoins d’un autre avertissement de ce genre.

En pleurs, une Ivoirienne a supplié sa mère d’empêcher les jeunes femmes de partir « parce que la Libye est un enfer ». Elle a raconté la détention, les viols, tout en assurant: « Ma tête était là-bas, au village, maman, c’est seulement mon corps qui était avec ces hommes ».

Migrants ‘apaisés’

Ces appels peuvent être difficiles aussi quand les migrants apprennent la mort d’un proche au pays… ou lumineux dans le cas de ce Malien qui a pu parler à sa femme et apprendre qu’il était tout juste père d’un garçon.

Quoi qu’il en soit, ce trait d’union est salutaire, explique Francesco Montrone, responsable du projet, qui a permis depuis la mi-janvier plus de 1.500 appels, dont 60% ont abouti.

« L’humeur dans les centres change beaucoup une fois que les migrants ont pu appeler chez eux. Ils sont apaisés, le climat est plus détendu », témoigne-t-il.

L’idée est née il y a un an aux Pays-Bas, grâce à la fondation Vodafone qui a financé le camping-car et paie les communications.

Prêtée pour deux mois à la Croix-Rouge italienne, la camionnette va retourner faire le tour des centres d’accueil néerlandais, mais M. Montrone espère bien pouvoir pérenniser le projet aussi en Italie.

Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile sont tenus de fournir des cartes téléphoniques, mais ce service manque dans les centres de tout premier accueil ainsi que dans les campements plus informels aux frontières.

Timidement, un jeune Nigérian s’assied à l’une des tables. A peine arrivé lui aussi, il grelotte dans ses vêtements usés jusqu’à la corde. La bénévole chargée de s’occuper de lui court lui chercher un gilet avant de l’aider à composer le numéro de son père.

A la table d’à côté, un Pakistanais débarqué la semaine dernière est en train de rassurer son frère. En face, un réveil sonne: les 3 mn sont finies.

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