Trump vs. TikTok vs. Microsoft : les enjeux d’un débat politique

Antoine Denis Journaliste

Samedi dernier, Donald Trump voulait interdire purement et simplement TikTok aux États-Unis. Finalement, il n’en est rien puisque Microsoft est arrivé dans l’équation pour un éventuel rachat.

Lundi, Donald Trump est revenu sur sa position de bannir TikTok et a annoncé lors d’un point de presse à la Maison Blanche qu’au lieu de l’interdire, il autoriserait une société basée aux États-Unis d’en faire l’acquisition.

« Cela ne me dérange pas si une grande entreprise, une entreprise sécurisée, une entreprise très américaine, l’achète », a-t-il déclaré. Le président a également averti que TikTok « cessera ses activités aux États-Unis » d’ici le 15 septembre si la société ne parvient pas à un accord de vente d’ici là.

Ces dernières semaines, les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine sont devenues plus tendues. De plus, lors des manifestations de Hong Kong, TikTok aurait censuré certains contenus. Cela alimente les soupçons du gouvernement américain selon lesquels l’entreprise est influencée par l’exécutif chinois.

L’avantage pour Donald Trump avec Microsoft est que la société est basée aux États-Unis. Si elle reprenait le contrôle, toutes les données des utilisateurs de TikTok seraient stockées aux États-Unis, à l’abri des regards potentiellement indiscrets du gouvernement chinois. Le PDG de Microsoft, Satya Nadella, s’est entretenu avec Donald Trump et a accepté de conclure un accord, ou pas, d’ici le 15 septembre.

Tensions politiques

Pendant des mois, Trump et d’autres personnalités politiques ont périodiquement fait part de leurs inquiétudes concernant TikTok en tant que menace potentielle pour la sécurité nationale, craignant que la société mère chinoise, ByteDance, puisse censurer le contenu aux États-Unis ou accéder aux données sensibles des utilisateurs américains à la demande du Parti communiste chinois.

TikTok fait l’objet d’une surveillance politique intense depuis des mois. Les républicains ont intensifié leurs attaques contre TikTok cet été, avec un certain soutien des démocrates. Jeudi dernier, les sénateurs démocrate et républicain, Richard Blumenthal et Josh Hawley, ont envoyé une lettre au ministère de la Justice réclamant que l’agence ouvre une enquête sur TikTok et Zoom. Cette dernière devrait enquêter sur les supposées violations des « libertés civiles des Américains » et les préoccupations de sécurité nationale concernant les relations entre ces entreprises et la Chine.

Le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a déjà confirmé la semaine dernière que TikTok faisait l’objet d’un examen gouvernemental pour des raisons de sécurité nationale, et que ce dernier devrait se terminer bientôt.

Du côté de la Chine, Wang Wenbin, un porte-parole de la diplomatie chinoise, a accusé les États-Unis de s’en prendre régulièrement à des entreprises étrangères en abusant de la notion de sécurité nationale.

« Cela va à l’encontre des principes de l’économie de marché et des principes d’ouverture, de transparence et de non-discrimination de l’OMC », a-t-il lancé devant la presse. « C’est de l’intimidation pure et simple. La Chine y est fermement opposée ».

Sans aller jusqu’à annoncer des dispositifs de rétorsion, M. Wang a estimé que Washington était en train d’ouvrir « la boîte de Pandore » avec ses mesures visant les compagnies étrangères.

« Si tout le monde imite les États-Unis, n’importe quel pays pourra prendre des mesures similaires à l’encontre d’entreprises américaines au nom de la sécurité nationale », a-t-il averti.

Un comité puissant qui met la pression sur le président

Pour forcer une vente, Donald Trump pourrait ordonner à ByteDance de se séparer de TikTok par l’intermédiaire du CFIUS, un comité inter-agences qui examine les acquisitions et les investissements étrangers dans les entreprises américaines susceptibles de menacer la sécurité nationale. Le comité, présidé par le républicain Steven Mnuchin, a le pouvoir de bloquer ou d’annuler les fusions et acquisitions impliquant des entreprises américaines et étrangères.

L’année dernière, le CFIUS a contribué à enrayer l’un des plus gros contrats de l’histoire des technologies, en demandant à Donald Trump d’empêcher la société singapourienne Broadcom d’acquérir la firme américaine Qualcomm. Le comité a également forcé les propriétaires chinois à se défaire de l’application de rencontres Grindr et de la start-up de santé PatientsLikeMe.

De plus, cela fait un an que le CFIUS a commencé à enquêter sur ByteDance, qui avait racheté la plateforme chinoise Musical.ly en 2017, pour ensuite changer de nom et devenir TikTok. Lorsque cette enquête sera terminée, les recommandations du comité conduiront à l’ordre donné par Trump à ByteDance de vendre TikTok ou de se séparer de ses activités aux États-Unis.

On ne sait pas très bien comment le CFIUS ferait respecter un éventuel dénouement de l’affaire ByteDance et TikTok, mais l’année dernière, le comité a infligé une amende d’un million de dollars à une société non déclarée pour ne pas avoir respecté un accord. TikTok pourrait également se voir infliger une amende.

L’intérêt de Mircrosoft

TikTok est une marque de valeur dans un secteur lucratif avec une base d’utilisateurs massive et dévouée. Il s’agit donc là pour Microsoft d’une occasion en or pour concurrencer sérieusement d’autres grandes entreprises technologiques comme Facebook et Google.

Microsoft a également l’expérience nécessaire pour racheter des compagnies déjà prospères et leur permettre de conserver leur indépendance, comme elle l’a fait lors de l’acquisition de la plateforme pour les développeurs de logiciels GitHub en 2018 et du jeu vidéo Minecraft en 2014.

Selon la façon dont Microsoft choisira de gérer TikTok, l’application pourrait continuer à se développer avec le soutien d’une grande firme technologique américaine et pourrait s’attaquer plus sérieusement à d’autres entreprises de médias sociaux, y compris Facebook.

Les données, ce saint Graal

L’élément clé de tout accord sera les données des utilisateurs auxquels Microsoft aura accès. C’est le moteur des inquiétudes de l’administration Trump concernant les liens potentiels de TikTok avec le gouvernement chinois et la manière dont ces données pourraient être utilisées à mauvais escient.

Ces données pourraient être exploitées par Microsoft de diverses façons. TikTok pourrait aider à corriger un angle mort de Microsoft et même influencer la manière dont d’autres logiciels et services sont développés au sein de l’entreprise. Microsoft n’a pas réussi à mettre en place des services purement destinés aux consommateurs ces dernières années, ce qui a laissé à l’entreprise un manque de connaissance des comportements de ces derniers.

Par ailleurs, pour le gouvernement américain, cela serait une victoire de plus face à la Chine. En récupérant les données, grâce à un rachat, les États-Unis affaibliront un peu plus leur rival et pourront s’assurer que celles-ci seraient « en lieu sûr » sur le sol américain.

Une telle manoeuvre pourrait renforcer la puissance de Facebook et Google

Même si Trump n’émet pas une interdiction totale, une décision gouvernementale qui obligerait la société mère de TikTok à la vendre serait un changement de jeu pour l’industrie des médias sociaux, et menacerait de perturber l’extraordinaire popularité de l’application. Et pour les géants Facebook et Google, la décision pourrait affaiblir considérablement leur nouveau concurrent le plus féroce.

Cette décision menace de mettre en péril le succès d’une application qui a connu une ascension fulgurante, passant d’un statut de simple outsider à celui d’une des applications les plus téléchargées au monde. Et puisque TikTok est l’une des seules start-up de médias sociaux récentes à concurrencer des géants technologiques comme Facebook, l’affaiblir pourrait concentrer davantage le pouvoir sur quelques géants technologiques aux États-Unis.

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