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Tour 2013: Contador, le tireur solitaire

Le Vif

L’ennui de la banlieue, l’épilepsie, Lance Armstong, la suspension pour dopage… Alberto Contador a passé sa vie et sa carrière à renverser des montagnes. Alors qu’il revient sur le Tour après un an d’absence, retour sur la trajectoire d’un homme qui court encore comme s’il était dans les années 1950: pour l’histoire, et les spectateurs.

Alberto Contador est monté un jour sur un vélo parce qu’il aimait la liberté. Il est devenu grimpeur parce qu’il aime être seul. Le cycliste le plus doué de sa génération a beau avoir pour surnom « El Pistolero », il n’est pas né au Texas comme Lance Armstrong. Lui vient de Pinto, dans la grande banlieue de Madrid. Il est l’enfant d’une ville plantée au milieu de la Castille austère, celle des châteaux fort, de la Reconquista et de l’intransigeance religieuse. Pour s’y rendre depuis Madrid, il faut prendre la route du Sud et s’arrêter au kilomètre 20 de l’autoroute A6. Pinto est une ville où l’on passe. Si l’on s’y arrête, c’est pour se protéger du soleil aveuglant en été ou du froid tranchant en hiver. Personne ne visite Pinto. Pinto est un point sur une carte au milieu de routes qui mènent partout. Pinto, c’est le bitume. Autour de la ville, entre le massif montagneux au nord et l’asphalte qui caresse les collines, il y a la Meseta, le plateau qui recouvre la moitié de la superficie de l’Espagne.

Sur ce paysage de western catholique, les apparences sont trompeuses. « La route a l’air plate, mais c’est plein de côtes. On dirait le parcours d’un Tour des Flandres ou d’un Liège-Bastogne-Liège », dit Patricio Garcia, copain d’enfance et camarade d’entrainement d’Alberto. Chez les Contador, c’est Fran, l’aîné, qui aimait le vélo. « J’ai démarré avec un moutain bike pour aller un peu partout, me promener sur les sentiers et visiter les villages d’à côté. J’aimais la sensation de liberté que ça me donnait. Puis en arrivant au lycée, j’ai commencé à monter sur route. Alberto m’a vu et lui aussi s’y est mis. J’avais 16 ans, lui 14. » Les après-midi d’été, quand il fait beaucoup trop chaud pour se risquer au soleil piquant de la Nouvelle-Castille, les deux frangins admirent leurs idoles à la télé. « Tour de France, Giro… On ne manquait pas une seule étape. »

L’idole d’alors en Espagne, c’est Miguel Indurain, l’homme qui avale les cols et les concurrents en restant assis sur sa selle. Mais le héros d’Alberto est un type qui brille en danseuse : Marco Pantani. « C’était son modèle, raconte Patricio. Il l’imitait, prenait son guidon par le bas comme lui et puis démarrait d’un seul coup dans une côte. » A l’intérieur de lui aussi, Alberto c’est Pantani. Même goût pour le risque, même orgueil. « Il devait absolument gagner à tout : aux fléchettes, à la Playstation, dans une côte. S’il ne gagnait pas, il rejouait jusqu’à enfin gagner », détaille Fran. « Etre deuxième n’était pas une option acceptable pour lui. Il préfèrera toujours tout tenter pour essayer de gagner, quitte à abandonner. » Contador confirme : « Tous les coureurs ont mal aux jambes, mais il faut mépriser la douleur. »

Alberto a une devise, « Querer es poder. » Quand on veut, on peut. C’est ce qu’il explique à la télévision publique espagnole en 2011, lors d’un documentaire consacré aux personnes handicapées et accidentées. On l’y voit dans un hôpital qu’il reconnaît – Hôpital Ramon Y Cajal, Madrid – auprès d’un médecin qu’il a connu – le docteur Masjuan, spécialiste du traitement de l’Ictus. La première fois qu’il est venu ici, c’était en 2004. A l’époque, il n’y a qu’un an que Contador est chez les pros de la Once, devenue Liberty Seguros, mais toujours dirigée par Manolo Saiz. Ce dernier se souvient, des brins dans la voix, de ce jour de première étape du Tour des Asturies en mai 2004. Le jour où la vie de Contador a pris un tour mystique. « Deux jours avant, on avait couru à Madrid et Alberto avait déjà eu quelques maux de tête mais jamais on n’aurait imaginé une chose aussi grave. Là, au Tour des Asturies, il a fait une crise d’épilepsie en pleine course. »

Ses crises sont liées à un cavernome, une malformation vasculaire congénitale qui demande une intervention chirurgicale. Alberto n’a pas vu la mort en face. Pourtant, cette opération lui a permis de « voir la vie différemment », dit-il. Fran, le grand frère, confirme : « Cet événement a changé sa manière d’être et de voir les choses qui sont importantes dans la vie : être entouré des siens, avoir la conscience tranquille (sic) et s’amuser. » Mais aussi marquer l’histoire. Sur son lit de convalescence, Contador dévore le livre de Lance Armstrong, Chaque seconde compte. Comme l’Américain, il a été foudroyé très jeune. Comme lui, il veut revenir plus fort.

« Il y a Alberto et il y a les autres »

Le Tour 2009 sera le terrain de leur duel. Alors qu’ils sont coéquipiers chez Astana, Contador attaque le vieil Armstrong, revenu de retraite, dans la montée d’Arcadis. Au mépris des consignes d’équipe. « Le matin dans le bus, Lance avait dit qu’il fallait attendre les attaques des rivaux pour bouger, raconte-t-il lendemain en conférence de presse. Mais elles ne sont pas venues ! Alors j’ai estimé que les choses qui pouvaient se dire lors d’un briefing matinal et les situations de course étaient deux choses différentes. »

Le gamin a tué l’idole et gagné le Tour. A l’ère du SRM, du potentiomètre et des planifications, voilà un type qui pédale encore comme au temps des rustines et des pauses dans les bistrots. Philippe Mauduit, son directeur sportif chez Saxo-Tinkoff depuis 2010, essaie parfois de ménager la monture. En vain. « Dès qu’il y a un tas de terre, c’est plus fort que lui, il faut qu’il pose une mine. C’est quelque chose d’instinctif chez lui. » Sous ses airs de beau-frère de province, El Pistolero fait régner la terreur dans n’importe quelle montée. Ses semblables vivent sous la menace de l’attaque définitive. Lors du Giro 2011, quand les cadors s’attendent à une attaque mortelle sur la montée de l’Etna, il choisit l’étape précédente pour s’échapper dans la roue du sprinter Oscar Gatto avant l’arrivée à Tropea. Son instinct ne trompe jamais. David Arroyo résume en victime à la tombée du jour : « Il y a Alberto et il y a les autres. Personne n’avait prévu qu’il attaquerait d’aussi loin. » Contador ne prévient jamais et vole vers une deuxième victoire sur Giro.

Mais sur le podium de Milan, le 29 mai 2011, ses yeux sont tristes. Deux jours plus tôt, le tribunal arbitral du sport a décidé de reporter son audience pour un contrôle positif au Clenbuterol effectué lors d’une journée de repos à Pau, le 21 juillet 2010 sur le Tour de France. L’audience a lieu en novembre à Lausanne, le temps pour l’Espagnol de terminer le Tour 2011 à la cinquième place et sous les sifflets. Après avoir assisté aux quatre jours d’audience en Suisse, Contador rentre dans sa banlieue. Il est soutenu par le premier ministre Zapatero, la fédération espagnole, qui décide de ne pas le suspendre, et le peuple de Pinto. Dans la banlieue sud, la justice n’a pas sa place. Alberto est une question de foi, pas de loi. On en veut « aux Français qui sont jaloux », aux Guignols de Canal+ « qui méritent d’être dénoncés », aux juges « qui ne sont pas impartiaux ». Les autres oui, mais pas Alberto.

Sauf que Lausanne n’est pas en Espagne. En Suisse, deux visions s’affrontent. La théorie de l’accusation (l’UCI et l’AMA) est la suivante : une injection quotidienne de 200 microgrammes pendant trois semaines. Si 24 heures après la dernière injection, on sépare par aphérèse le plasma des globules rouges, que plusieurs semaines plus tard on se réinjecte 200 milligrammes de plasma, qu’on pèse 66 kilos et qu’on urine un litre environ toutes les 3 heures, on trouvera alors dans les urines entre 12 heures et 24 heures après la réinjection de 50 pictogrammes de clenbuterol. Soit la quantité exacte retrouvée dans les veines de Contador le 20 juillet 2010. Sommé de prouver son innocence, le coureur tente de reporter la faute sur un steak mal élevé pour justifier ces traces suspectes dans son sang. Condamnation à deux ans de suspension rétroactive. Il perd donc son Tour 2010, son Giro 2011, le droit de participer aux J.O. de Londres et au Tour 2012. Mais aussi sa réputation.

Quelle image l’Espagnol offrira-t-il sur le Tour de France 2013, qui démarre ce 29 juin, lui qui n’a pas pu participer à l’édition précédente ? A-t-il menti au TAS ? Est-il le nouveau Seznec ou le nouveau Armstrong ? Va-t-il se faire siffler ou applaudir ? « Je demande aux gens d’avoir la foi en le cyclisme et en le Tour. C’est possible de gagner sans aide », dit-il.

Et puis, il y a Christopher Froome. Un type qui gagne à peu près tout ce qu’il court et qui aurait déjà pu s’adjuger le Tour de l’an dernier si ses patrons ne lui avaient pas dit de l’offrir à Bradley Wiggins. Pour autant, Froome est peut-être la meilleure chance de Contador aujourd’hui. D’un côté, un type affreusement mécanique, qui pédale en comptable, l’oeil sur son capteur cardiaque. Un cycliste linéaire, aussi, parti pour faire disparaître tout ce qui fait le sel des montées en altitude : les changements de rythme. De l’autre, « un vrai Mousquetaire », comme le définit Mauduit, qui attaque quand on ne l’attend pas et sans relâche, et dont les à-coups, justement, sont la spécialité. Et la faiblesse, aussi, peut-être. « Alberto attaque un peu trop. Dans certaines étapes, il peut s’y prendre jusqu’à dix fois alors que seuls trois tentatives seraient suffisantes », craint ainsi l’ancien grimpeur et vainqueur du Tour Pedro Delgado, tout en précisant : « Mais c’est vrai que du point de vue du spectateur, c’est agréable. » Et la preuve qu’Alberto Contador est bien le dernier cycliste du peloton.

Par Thibaud Leplat/Pédale !

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