Georges-Louis Bouchez. © Belga

Thunberg, Bouchez… Le débat critique porte-t-il désormais plus sur la forme que sur le fond ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le débat critique porte-t-il désormais plus sur la forme que sur le fond ? Ainsi de Greta Thunberg ou Georges-Louis Bouchez, attaqués sur leur jeune âge, leur genre, leur personnalité ou leurs particularités. Beaucoup plus que sur leur message. C’est que, assure Marc Lits, professeur émérite à l’Ecole de journalisme de l’UCLouvain, ce sont les multiples ruptures qu’ils incarnent qui posent souci à leurs détracteurs.

Plusieurs personnalités ont attaqué publiquement Greta Thunberg, brocardant à tour de bras son  » discours catastrophiste « , ses tresses, son manque de crédibilité. Pourquoi l’attaque-t-on à ce point ?

J’ai le sentiment que nous sommes devant des ruptures à plusieurs niveaux et que Greta Thunberg les cristallise. Première fracture : la question climatique. Elle préexistait à la jeune Suédoise mais a pris de l’ampleur depuis deux ou trois ans, singulièrement depuis sa montée en puissance. C’est désormais une ligne de force que plus aucun gouvernement ne peut se permettre de négliger alors qu’ils ne l’avaient pas prise en compte jusqu’à présent. La deuxième rupture concerne l’émergence de femmes dans l’espace public. En Belgique, le mouvement des jeunes pour le climat est porté par deux d’entre elles, Anuna De Wever et Adélaïde Charlier. Aucune figure masculine ne l’incarne. En mai 1968, il n’y avait que des hommes en première ligne… Le troisième changement, en cours depuis dix ans, est l’impact croissant des réseaux sociaux. A elle seule, Greta Thunberg fait la synthèse de ces trois bouleversements dans une forme d’individualisation collective. Désormais, les grandes revendications ne sont plus portées par des partis ou des ONG, mais d’abord par les réseaux sociaux. Donc, à l’origine, des individus qui cristallisent des exigences nouvelles sans se structurer, comme c’était le cas auparavant. Greta Thunberg était un phénomène isolé au départ. Elle s’est assise devant le Parlement de son pays avec son panneau de protestation. C’était anecdotique. Puis les médias en ont fait un sujet, mais ce sont surtout les réseaux sociaux qui y ont vu une image forte. Et cela a fonctionné, notamment parce que des jeunes se retrouvent en elle et dans son message. Cela échappe complètement aux règles habituelles du débat public, ce qui déstabilise, pour caricaturer, les adultes blancs de plus de 60 ans. Ils se sentent dépossédés du pouvoir qu’ils avaient.

Nicolas Hulot n’a jamais été attaqué de cette façon pour ses positions écologistes.

Comme Bernard Pivot, qui, dans un tweet, a évoqué les garçons de sa génération, attirés par les petites Suédoises réputées moins coincées que les petites Françaises ?  » J’imagine notre étonnement, notre trouille, si nous avions approché une Greta Thunberg « , avait-il écrit…

Oui. Cet ancien animateur de télévision ne passe d’habitude pas pour un réactionnaire et il a plutôt de l’humour et de l’empathie. Mais là, il n’a pas compris que son humour ne passait plus. Certes, avant, quand on parlait d’aussi jeunes filles dans l’espace public, c’étaient des chanteuses ou des lolitas, mais jamais des personnes actives sur le terrain politique. Il y a aujourd’hui une rupture forte et Greta Thunberg la synthétise de manière étonnante. Ceux qui s’opposent à elle le font parce qu’elle révèle un profond changement de modèle social et que cela les déboussole.

L’impact de son message en sort-il affaibli ?

Marc Lits, professeur émérite à l'Ecole de journalisme de l'UCLouvain.
Marc Lits, professeur émérite à l’Ecole de journalisme de l’UCLouvain.© UCLOUVAIN

La question climatique était présente dans le débat en Belgique avant elle, même si elle a renforcé le message d’alerte. Ce qui me frappe, c’est qu’elle apparaît toujours seule. On ne voit jamais ses parents. Personne ne s’interroge sur le fait qu’elle n’aille pas à l’école depuis des mois, ni qu’elle traverse l’Atlantique à la voile. Elle est vraiment atypique. Mais elle parvient à avancer sans fausse note et reste fidèle à son message. Il est peut-être simpliste et c’est ce que d’aucuns lui reprochent. Mais elle dit qu’elle ne fait que lancer l’alerte et elle s’y tient, renvoyant, pour l’approche scientifique, aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Elle ne tombe pas dans une forme de populisme comme d’autres qui bousculent le système.

Les critiques à son égard seraient-elles aussi virulentes si elle n’était pas une femme ?

Je ne pense pas. Nicolas Hulot, ex-ministre français de l’Ecologie, n’a jamais été attaqué de cette façon pour ses positions écologistes. Au contraire, il suscitait plutôt de la sympathie dans l’opinion publique. Voyez les menaces proférées à l’encontre d’Anuna De Wever ou d’Adélaïde Charlier, victimes d’attaques sexistes lors du Pukkelpop. La montée en puissance de ces voix de femmes fait partie des révolutions en cours.

Ceux qui portent les attaques les plus féroces contre Greta Thunberg et autres Anuna De Wever ne risquent-ils pas de se mettre une partie de l’opinion publique à dos ? Est-ce stratégiquement opportun ?

Ils ne sont pas dans la stratégie, mais dans l’émotionnel. On touche à leur identité profonde, ce qu’ils ont du mal à admettre. Bernard Pivot assure qu’il a voulu faire de l’humour mais très clairement, il n’arrive pas à changer de modèle.

Dans ce débat comme dans d’autres, la forme l’emporte donc sur le fond ?

Cela s’explique largement, depuis des années, par la montée en puissance des réseaux sociaux et la libération de la parole qu’ils induisent. Même les politiques, qui s’en étaient tenus à distance pendant longtemps, ont commencé à y investir prudemment, en restant sur le débat de fond. Puis, petit à petit, ce modèle a basculé, en même temps que les politiques ont commencé à apparaître dans les pages people de Gala ou Voici. On voit désormais des responsables politiques se lâcher sur les réseaux sociaux. Et ça fonctionne ! Ceux qui font le plus de voix sont d’ailleurs ceux qui ont le plus massivement investi les réseaux sociaux. Voyez les résultats électoraux du Vlaams Belang. Theo Francken, ancien secrétaire d’Etat N-VA à l’Asile et la Migration, l’a bien compris : plus il se lâchait sur les réseaux sociaux, plus il touchait des électeurs, soit déjà convaincus soit encore à convaincre. Georges-Louis Bouchez, candidat à la présidence du MR, l’a bien compris aussi : ce qui est le plus relayé sur les réseaux sociaux, ce sont les invectives, sans aucune limite. Georges-Louis Bouchez est clivant. Il sait que moins il est policé et plus c’est payant pour lui. Et ce mouvement ne risque pas de s’arrêter.

Thunberg, Bouchez... Le débat critique porte-t-il désormais plus sur la forme que sur le fond ?
© DR

« On s’en prend aux personnalités qui sortent du lot »

Responsable en communication stratégique et gestion de la réputation, Ine Mariën dénonce la stratégie  » facile  » des critiques de Greta Thunberg. L’humour de la jeune activiste est une bonne réponse. Mais d’autres porte-parole devraient peut-être se lever pour soulager la pression.

Les attaques personnelles se multiplient à l’égard de Greta Thunberg. Dénigre-t-on plus que jamais les porteurs de message au lieu de s’attaquer au contenu ?

C’est effectivement une évolution remarquable de ces dernières années. On s’en prend surtout aux personnalités qui sortent du lot, comme Greta Thunberg. Personnellement, je la trouve admirable. Beaucoup de personnes auraient aimé réussir ce qu’elle a fait : créer un tel forum mondial qui mobilise des jeunes dans le monde pour sensibiliser à l’enjeu climatique. Cela suscite sans doute des jalousies. Elle a en outre, et c’est important, la légitimité de son âge pour se préoccuper de l’avenir que l’on réserve à sa génération. Cela dit, elle a peut-être surjoué l’émotion lors de son intervention aux Nations unies, à New York, en affirmant qu’on lui avait  » volé son enfance « . Elle y a développé une vision un rien catastrophiste. Cela donne des arguments à ses détracteurs. Quand on l’écoute attentivement, son discours est pourtant bien plus cohérent que la caricature faite par certains.

Elle a peut-être surjoué l’émotion lors de son intervention aux Nations unies.

Cette stratégie de dénigrement est-elle efficace ?

Elle est surtout très facile, parce que l’emballement est rapide dès lors que les éléments négatifs sont repris abondamment dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ses détracteurs s’en prennent à son âge, à son sexe, à sa prétendue méconnaissance des dossiers ou au fait qu’elle serait manipulée : c’est évidemment plus aisé que de s’en prendre au contenu de son discours environnemental… Ce faisant, ses opposants cherchent à se profiler eux-mêmes. Les stratégies utilisées pour construire une réputation sont d’ailleurs semblables à celles utilisées pour la détruire.

On assiste à d’autres cas d’attaques personnelles, par exemple pour mettre en garde, en raison de sa personnalité, contre la candidature attendue de Georges-Louis Bouchez à la présidence du MR…

On retrouve ce type d’attaques ad hominem contre des leaders, singulièrement en politique. Ces réactions négatives sont souvent à la mesure de la réussite de la personne attaquée ou de la capacité de celle-ci à se bâtir une réputation ; c’est évident pour Georges-Louis Bouchez, hyperactif sur les réseaux sociaux. Dans le cas de Greta Thunberg, ces attaques ne parviennent pas à minimiser l’important soutien qu’elle reçoit : de nombreux jeunes continuent à se mobiliser aux quatre coins du monde. Le mouvement pour le climat reste une lame de fond avec une force morale très solide. Greta Thunberg a réussi à repolitiser un débat en le sortant du domaine de la science pure. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. D’autres organisations connexes émergent désormais comme Fridays for Future, qui organise des grèves dans les écoles le vendredi, ou Parents for Climate, qui prolonge le message des jeunes.

Comment réagir à ces attaques ?

Il ne faut pas forcément en tenir compte outre mesure. Greta Thunberg réagit assez bien lorsqu’elle utilise le registre de l’humour en détournant l’ironie du président américain Donald Trump, quand elle met en tête de son profil sa phrase  » Une jeune femme très heureuse qui regarde vers un avenir merveilleux et souriant  » ou quand elle s’amuse du fait qu’elle ne ferait plus que du death metal après la diffusion d’une vidéo détournant son message à l’ONU. Greta Thunberg maîtrise bien le public des jeunes auquel elle s’adresse. Cependant, en plus d’être parfois trop émotionnelle, elle a peut-être un discours qui manque de  » mains tendues  » ou de sous-entendus moins tranchés à destination de ceux qui sont moins convaincus. Elle commet forcément des erreurs, notamment lorsqu’elle porte plainte contre cinq pays, dont l’Allemagne et la France, devant le Comité sur les droits de l’enfant des Nations unies. Ce faisant, elle risque de se mettre à dos des alliés potentiels et elle ne s’en prend pas aux plus gros pollueurs, ce qui risque de brouiller son message.

Faut-il corriger sa communication ?

Il est peut-être venu le moment que d’autres voix se lèvent pour soulager un peu la pression autour de sa personne. Il y a, je l’ai dit, d’autres organisations qui se créent et il existe, dans le monde, d’autres porte-parole que la Suédoise. Une réflexion peut être menée sur la complexité du message à faire passer. Mais cela ne doit en aucun cas remettre en cause sa légitimité.

la suscite sans doute des jalousies. Elle a en outre, et c’est important, la légitimité de son âge pour se préoccuper de l’avenir que l’on réserve à sa génération. Cela dit, elle a peut-être surjoué l’émotion lors de son intervention aux Nations unies, à New York, en affirmant qu’on lui avait  » volé son enfance « . Elle y a développé une vision un rien catastrophiste. Cela donne des arguments à ses détracteurs. Quand on l’écoute attentivement, son discours est pourtant bien plus cohérent que la caricature faite par certains.

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