Conflit entre la Chine et les États-Unis © Getty Images/iStockphoto

Tensions entre la Chine et les États-Unis : vers une Guerre froide technologique?

Leen Vervaeke Journaliste Knack

Les États-Unis et la Chine se livrent un combat insidieux depuis des années. Tous les deux convoitent la suprématie technologique et font preuve d’inventité pour se mettre des bâtons dans les roues.

Spécialisé en sciences informatiques et en méga données (big data), le professeur Xu Jiang n’a jamais vraiment accordé beaucoup d’importance aux frontières physiques. Il a fait ses études dans le nord de la Chine, a fait un doctorat aux États-Unis et est finalement devenu professeur à Hongkong où il dirige désormais un laboratoire de recherche dans lequel Américains et Chinois travaillent ensemble. « Ce genre de collaboration est très commun dans le domaine des sciences. Surtout dans le secteur high-tech » explique Xu. « La recherche est tellement coûteuse que nous n’avons pas d’autre choix. »

En tant que médiateur entre la Chine et les États-Unis, Xu Jiang semblait être taillé pour le monde de la technologie high-tech, un monde dominé par la Silicon Valley et par Shenzhen. Il y a moins d’un an, les États-Unis ont déclaré une guerre commerciale avec la Chine et ont tiré la sonnette d’alarme en voyant l’avancée technologique des Chinois. Xu a pu directement observer les effets de ces évènements dans les relations entre les deux pays. Un projet de collaboration avec des collègues américains s’est vu annulé et un groupe de potentiels investisseurs s’est retiré. Désormais, il fait tout son possible pour protéger ses projets actuels.

Les États-Unis ont demandé à leurs alliés de retirer les Huawei de leurs routeurs 5G et antennes relais. Une enquête est en cours en Belgique

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« Les scientifiques américains sont actuellement plus réservés dans leurs contacts avec les Chinois » affirme Xu. « Je suis moi-même devenu plus prudent dans mes relations avec mes amis américains. Je ne veux pas les mettre mal à l’aise. Je trouve la situation décevante. Tout ce que les scientifiques veulent faire, c’est effectuer des recherches et rester en dehors des tensions politiques. Mais ils risquent maintenant d’en devenir les victimes. »

Xu n’est pas le seul développeur de technologies high-tech à ressentir les conséquences de ces tensions palpables entre Washington et Pékin. D’après des sources de la Silicon Valley, il semble que des investisseurs chinois retirent leurs actions par crainte de devoir passer par des procédures d’admissions toujours plus sévères.

En effet, le gouvernement américain a déjà complexifié les demandes de visa pour les scientifiques chinois et a imposé des contrôles stricts sur toutes les exportations de technologies américaines vers la Chine. Sans parler de l’entreprise Huawei, contre laquelle les États-Unis mènent une politique de confrontation.

Toutes ces histoires démontrent bien que cette guerre commerciale dissimule en réalité un autre conflit bien plus ancré, un conflit pour la suprématie technologique.

Pendant des années, les États-Unis voyaient la Chine comme un partenaire commercial, certes récalcitrant, mais lucratif. Maintenant, ils la voient plutôt comme un concurrent stratégique, un rival dans cette course à l’innovation.

Le conflit actuel ne concerne pas un quelconque déficit commercial. Il concerne plutôt des brevets d’invention, des codes source et des puces d’ordinateur. Les deux pays cherchent à savoir qui sera le leader des technologies de demain.

Cette « Guerre froide technologique » pourrait avoir de lourdes conséquences sur le reste du monde. Contrairement à la précédente Guerre froide entre les États-Unis et la Russie, les frontières technologiques ne sont cette fois pas délimitées. En effet, la Chine et les États-Unis ont des économies étroitement imbriquées. Une scission entre les deux parties pourrait provoquer des dégâts irréversibles, tant au sein des deux pays que sur l’économie mondiale.

Un nouveau mur

Si vous aviez dit aux États-Unis qu’ils devraient un jour s’inquiéter de l’avancée fulgurante des Chinois dans le domaine de la technologie, ils ne vous auraient pas cru. Les Chinois, disaient-ils, étaient doués pour copier les idées, ou même les perfectionner, mais jamais il ne leur était jamais venu à l’esprit qu’ils pourraient innover. Auparavant, il leur manquait la créativité nécessaire. Ils avaient, certes, le monopole sur l’industrie de la manufacture, mais l’Occident avait toujours eu une longueur d’avance dans la recherche et les technologies. La répartition des tâches semblait fixée : à Shenzhen la main-d’oeuvre et à Silicon Valley serait le cerveau.

Trump a voulu construire un mur et il a échoué. Alors, il a appliqué sa politique avec la Chine : il a construit un mur pour protéger la technologie américaine.

En 2016, le vent commence à tourner : les innovations chinoises font de plus en plus parler d’elles. Pékin commence à lancer ses propres satellites, à développer ses propres calculateurs quantiques et à envoyer ses propres fusées sur la lune. La Chine atteint le premier rang dans les classements de publications scientifiques et est la deuxième puissance à déposer le plus de brevets. La qualité de ces publications et de ces brevets n’était pas toujours parfaite, mais les a priori sur la Chine ont évolué : le pays rattrapait son retard sur les États-Unis en tant que puissance technologique.

En 2015, le gouvernement chinois a fait une tentative pour redynamiser son économie grâce à un ambitieux projet appelé « Made in China 2025 ». Leur objectif était de dominer le marché intérieur dans dix domaines technologiques d’ici 2025 : intelligence artificielle, conquête spatiale, voitures électriques, biotechnologie, etc.

Pour mettre à bien leurs projets, ils devraient néanmoins recevoir des milliards d’euros en subsides.

Pour les États-Unis, c’était la goutte qui a fait déborder le vase.

Non seulement, les entreprises chinoises mettaient en danger la position dominante des États-Unis mais elles ne respectaient pas du tout les règles : elles passaient leur temps à copier les technologies américaines mais désormais, ils arrivaient même à manipuler le marché avec leurs subsides. En réponse, Donald Trump a déclaré la guerre commerciale et a entamé une politique de défense sur les technologies.

En plus d’asséner toujours plus de sanctions commerciales, Trump a également signé deux nouvelles lois qui touchent au moins aussi durement la Chine : d’un côté, le Foreign Investment Risk Review Modernization Act a augmenté le seuil d’investissements chinois dans le domaine high-tech américain. De l’autre, l’Export Control Review Act a interdit l’exportation de « technologies primaires » vers la Chine. Trump a voulu construire un mur et il a échoué. Alors, il a appliqué sa politique avec la Chine : il a construit un mur pour protéger la technologie américaine.

Les joyaux de la couronne

Les idées de base sont parfois bien éloignées de la réalité et la Chine illustre parfaitement cette expression. Dans le pays, le département de propagande du Parti communiste détermine les informations qui peuvent être divulguées. Un an plus tôt, les progrès de la Chine représentaient une vraie réjouissance, mais depuis la contre-attaque des Américains, la réaction est toute autre. Le projet « Made in China 2025 », autrefois sur toutes les lèvres, est désormais tabou et les scientifiques chinois doivent se tenir à carreau.

La plupart des sources chinoises consultées pour cet article travaillent soit à Hongkong, soit à l’étranger.

Dans quelle mesure les scientifiques chinois et les sociétés sont-ils soutenus dans leurs projets d’innovation ? À quel point ont-ils profité des Américains ? Ce qui est certain, c’est que cette affaire n’est pas juste qu’un jeu à ex aequo entre les deux pays. L’histoire est bien plus nuancée. Le comportement des Chinois, au même titre que les arguments avancés par les Américains, ne sont pas toujours justes.

« La plupart des entreprises chinoises copient encore les technologies américaines et commencent à peine à rattraper leur retard » explique Zhang Hai’ou, professeur dans le domaine de l’impression 3D à l’université Huazhong pour les Sciences et Technologies. « Ce retard n’est pas près d’être comblé. Les impressions 3D sont des produits relativement nouveaux et les États-Unis sont moins avancés dans le domaine. Néanmoins, je pense que les sociétés chinoises auront besoin de 20 à 30 ans pour rattraper les Américains dans le domaine.

Zhang Hai’ou est professeur en Chine, où la propagande actuelle impose de minimiser la position technologique du pays. Mais le tableau qu’il dresse est confirmé par toutes les sources : si les États-Unis sont à la pointe de la recherche fondamentale et de l’innovation, la Chine n’est encore nulle part. « En ce moment, la Chine est encore en train de rattraper son retard », déclare Li Yanfei, économiste à l’Asean Research Institute, un groupe de réflexion en Indonésie. « Les innovations grandioses ne sont encore qu’un rêve lointain ».

Les Chinois font tout de même des progrès impressionnants dans le domaine de l’intelligence artificielle et dans le développement du réseau ultrarapide de la 5G. Cependant, ils restent toujours dépendants des États-Unis puisque ce sont les leaders dans le domaine des semi-conducteurs, de minuscules pièces cruciales à la composition des noyaux processeurs de toutes les technologies actuelles. Ces composantes sont difficiles à fabriquer, coûtent terriblement cher et requièrent des décennies de développement.

Les semi-conducteurs sont considérés comme les joyaux de la couronne dans l'industrie high-tech.
Les semi-conducteurs sont considérés comme les joyaux de la couronne dans l’industrie high-tech.© Getty Images/iStockphoto

« Les semi-conducteurs sont considérés comme les joyaux de la couronne dans l’industrie high-tech. » explique Xu Jiang. « Leur fabrication exige une bonne connaissance des mathématiques, des sciences informatiques, de la physique et de milliers d’autres sous-catégories. La Chine a des connaissances très inégales : nous sommes très doués dans certains domaines, mais dans d’autres nous ne sommes nulle part. Au vu de la situation, il nous est impossible de construire des semi-conducteurs. Pour ces raisons, nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir nous mesurer aux États-Unis. »

Un « Made in China » de bonne qualité

Les États-Unis ne s’inquiètent pas de la Chine actuelle. C’est de la Chine de demain qu’ils se méfient. Actuellement, la Chine rêve de construire un empire entièrement digital, épaulé par l’intelligence artificielle et la 5G. Elle rêve de développer des ordinateurs autonomes et autodidactes qui seraient capables de placer, de produire et de distribuer tout un tas de commandes. « Une telle innovation pourrait renverser le cours des choses. Le commerce mondial et la chaîne de valeurs mondiales » pourraient se voir bouleversés » explique Li Yanfei.

Néanmoins, la situation peut également être vue d’un autre angle. On pourrait dire que l’âge d’or des États-Unis est terminé et que c’est de la faiblesse de leur part de voter des mesures protectionnistes. Comme contre-argument, les États-Unis rétorquent que la Chine ne joue pas franc jeu. L’année dernière, ils ont formulé leurs plaintes dans un rapport de 215 pages : les Chinois forcent les entreprises américaines à transférer la technologie, violent la propriété intellectuelle à grande échelle et troublent le marché en demandant des subventions.

Leurs arguments pourraient justifier une intervention efficace, mais là encore, les propos doivent être relativisés. Toutes ces accusations sont loin d’être récentes : le Congrès américain s’était déjà plaint de la situation en 1987. À l’époque, les États-Unis n’avaient pas provoqué la polémique, car les entreprises américaines en Chine généraient bien plus d’avantages que d’inconvénients. Chaque fois que la Chine demandait un partage de technologies, les entreprises voyaient généralement cela comme une sorte de monnaie d’échange pour accéder à l’énorme marché chinois.

Maintenant que la Chine a grimpé dans la chaîne de valeurs et qu’elle a réduit sa distance par rapport aux États-Unis, elle ne veut plus se contenter d’objets de moindre qualité.

Mais la situation a changé. Auparavant, les entreprises américaines s’en tiraient généralement en échangeant des technologies qui étaient depuis longtemps obsolètes en Occident. La Chine a augmenté son prix d’entrée et a jeté son dévolu sur les joyaux de la couronne : les technologies IA, les réseaux 5G et les semi-conducteurs.

De plus, les Chinois n’attendent désormais plus que les entreprises étrangères apportent leurs technologies en Chine. Ils vont eux-mêmes les chercher. Ils l’ont bien fait comprendre lorsqu’ils ont subitement triplé leurs investissements aux États-Unis en 2016, pour un total de 45 milliards de dollars. (En Europe, les investissements ont doublé cette année-là). Une grosse partie de ces investissements a servi à acheter en masse des start-up dans la Silicon Valley. La Chine s’est ensuite servie de toutes ces entreprises pour lui donner un coup de pouce dans sa bataille pour le marché. Ce qui a surtout changé, c’est le regard des États-Unis sur la Chine. Pendant longtemps, de nombreux gouvernements européens étaient convaincus que la China deviendrait toujours plus libérale et démocratique à force de prospérer ? Mais ils reviennent désormais sur leurs suppositions. Sous le mandat du président Xi Jinping, le régime autoritaire s’est renforcé et le gouvernement a de plus en plus la mainmise sur le secteur privé. Les transferts de technologie ne se retrouvent donc plus juste dans les entreprises chinoises. Ils passent également par le Parti communiste.

« La grosse erreur de l’Occident, surtout lorsqu’il a permis à la Chine d’entrer dans l’Organisation mondiale du commerce, est d’avoir supposé que la Chine deviendrait une économie de marché libre et que les économies de marché libre ne pouvaient exister que dans une sorte de démocratie. » explique Alexander Capri, consultant pour les entreprises occidentales depuis des années. « Les deux suppositions ne semblent pas concorder. Mais nous voyons désormais le contrecoup de cette erreur historique. »

L’affaire Huawei

L’affaiblissement de la Chine aux États-Unis a fait en sorte que la sécurité nationale est beaucoup plus étroitement liée à la sécurité économique. « La sécurité nationale est toujours là : les sociétés américaines ont la possibilité de rivaliser avec l’économie chinoise, dirigée par l’État, au sein d’une économie dirigée par le marché. » explique Paul Triolo, spécialiste en technologies chez Eurasia Group, un cabinet de conseil en risque. « Il s’agit d’un nouveau tournant dans notre façon de voir les choses. »

L’exemple le plus concret pour illustrer cette nouvelle mentalité reste ce combat vivace entre les États-Unis et l’entreprise chinoise de télécommunication Huawei. Le gouvernement américain nourrit depuis des années des soupçons envers l’entreprise milliardaire de Shenzhen. Depuis 2012, il préconise aux entreprises américaines de ne pas collaborer avec Huawei. Mais depuis peu, le combat a atteint son climax.

Le premier décembre 2018, la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, a été arrêtée au Canada à la demande des États-Unis sous prétexte qu’elle aurait violé les sanctions américaines en Iran. De plus, le département américain de la Justice a déposé plainte pour fraude bancaire et vol de technologie mobile la semaine passée. Huawei aurait volé des secrets d’entreprise à l’opérateur américain T-Mobile.

Actuellement, 13 plaintes ont été déposées envers Huawei et Meng. Une accusation pourrait avoir des conséquences graves. Au Congrès américain, les démocrates et les républicains ont déposé un projet de loi commun pour interdire la vente de technologies américaines à des contrevenants chinois. « Huawei dépend toujours des semi-conducteurs américains » explique Triolo. « Une telle interdiction pourrait avoir un impact énorme » explique-t-il.

En 1987, Huawei n’était qu’une petite entreprise individuelle et elle est désormais devenue la plus grande entreprise de télécommunication au monde. Elle fait également partie des leaders dans le développement de la 5G.

Ce nouveau réseau mobile n’est pas seulement ultrarapide. Vous pouvez télécharger un film en 15 secondes contre 6 minutes avec la 4G, mais le temps de latence ultra bas constitue la caractéristique la plus importante. Cet élément est une condition de base pour le fonctionnement des voitures automatiques, des machines autodidactiques et pour atteindre une économie totalement numérique.

Ce nouveau réseau mobile n'est pas seulement ultrarapide. Vous pouvez télécharger un film en 15 secondes contre 6 minutes avec la 4G, mais le temps de latence ultra bas constitue la caractéristique la plus importante.
Ce nouveau réseau mobile n’est pas seulement ultrarapide. Vous pouvez télécharger un film en 15 secondes contre 6 minutes avec la 4G, mais le temps de latence ultra bas constitue la caractéristique la plus importante.© Getty Images/iStockphoto

De nombreux opérateurs aiment collaborer avec Huawei, notamment parce qu’il est un peu meilleur marché que ses concurrents. L’entreprise a conclu 18 contrats relatifs à la 5G en Europe. Selon les Américains, cela représente un énorme risque de sécurité : en tant qu’entreprise chinoise, Huawei doit obéir au gouvernement chinois. Celui-ci pourrait demander à l’entreprise de créer des portes dérobées dans son réseau pour faire du cyberespionnage ou rendre des attaques informatiques plus faciles. Depuis l’année passée, le gouvernement américain met en garde ses alliés, et les États-Unis, et leur demande d’interdire l’accès de Huawei à leurs antennes émettrices et routeurs 5G. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont déjà introduit une interdiction et les pays européens commencent à douter. De nombreux pays, dont la Belgique, ont déjà lancé une enquête.

Mais il y a un problème : ils n’ont aucune preuve tangible que Huawei a construit des portes dérobées ou qu’il est coupable de cyberespionnage.

Les soupçons ont commencé à naître en 2017 après que Trump a signé la nouvelle « stratégie de sécurité nationale » : elle oblige les entreprises chinoises privées à collaborer avec les services de renseignements chinois. Or il est difficile de déterminer la portée de cette stratégie. Huawei nie catégoriquement les faits.

Dans la situation actuelle, ces accusations pourraient tout aussi bien n’être que des motifs d’ordre économique. En effet, Huawei fait des progrès spectaculaires dans la 5G, au détriment de ses concurrents américains. Lors du développement de la 4G, les entreprises américaines, comme le producteur de puces électroniques Qualcomm, menaient la dance. Elles déterminaient les normes, disposaient du plus grand nombre de brevets et gagnaient des milliards de dollars. Si Huawei obtient le monopole, les États-Unis perdront leur position dominante.

Les États-Unis prennent la menace au sérieux et cela a pu se ressentir lors d’une intervention de l’État chez Qualcomm. En mars 2018, l’entreprise a reçu une offre de rachat de 117 milliards de dollars, mais le gouvernement américain a bloqué cette offre de peur que le rachat de Qualcomms affaiblisse leur position face à Huawei. Cette intervention frappante montre à quel point les Américains ont modifié leur tactique : si la Chine, en tant que rival stratégique, favorise déloyalement ses entreprises de technologie, tous les moyens sont bons pour les en empêcher.

Mais jusqu’où iront les États-Unis pour protéger leurs technologies ? En soi, de nombreux experts sont favorables à la politique de renforcement des contrôles et des investissements aux États-Unis. Néanmoins, ils préviennent que sa portée doit être strictement circonscrite. D’après leur nouvelle loi, les contrôles ne valent uniquement que pour les « technologies primaires et futures », mais ces concepts sont tellement vagues que les technologies IA et les réseaux 5G peuvent être compris dedans. Trump prend un marteau de destruction alors qu’un scalpel serait plus adéquat.

« Je ne pense pas que les États-Unis empêcheront totalement la Chine d’accéder aux technologies cruciales, mais nous assistons bien à une dissociation sélective entre les deux pays » affirme Alexander Capri. « Les entreprises chinoises ont désormais plus encore de difficultés à obtenir des technologies américaines. Je pense que nous serons témoins d’une fragmentation des chaînes d’approvisionnements dans le secteur des technologies. Que Trump reste au pouvoir ou pas, le processus est en marche. »

Signes avant-coureurs

Une dissociation des chaînes d’approvisionnement et des marchés : voici les prémisses d’une Guerre froide technologique. Maintenant, reste à savoir qui sera le vainqueur. Sur le court-terme, les États-Unis pourraient évidemment retarder les progrès technologiques de la Chine, mais sur le long terme, ils risquent de se mettre eux-mêmes des bâtons dans les roues. Les économies chinoises et américaines ainsi que les enquêtes mondiales sont tellement imbriquées qu’une dissociation pourrait causer des dommages inévitables aux deux parties.

Les entreprises américaines ont beau se plaindre des pratiques chinoises, elles seraient perdues sans leur marché et leurs chaînes d’approvisionnement. Apple dispose de 700 fournisseurs dans le monde dont la moitié vient de Chine. Qualcomm réalise 60 % de son chiffre d’affaires grâce aux Chinois et ceux-ci financent même ses activités de recherche et de développement. Même si le gouvernement américain est en confrontation avec la Chine, de nombreuses entreprises américaines continuent toujours de faire des affaires avec elle.

« Ces 30 dernières années, les entreprises américaines n’ont pas arrêté de déplacer leurs chaînes d’approvisionnement en Chine. Mais on leur dit soudainement que cela représente un problème pour la sécurité nationale. » s’exclame Triolo. « Les entreprises se font beaucoup de souci. Elles comprennent cette inquiétude pour la sécurité nationale, mais elles veulent savoir où elles en sont. C’est un peu comme si les règles du jeu venaient à changer en plein milieu d’une partie. »

Triolo se demande également quelle entreprise se chargera de développer le réseau 5G des Américains si Huawei finit pas être exclue. « Aux États-Unis, les fournisseurs télécom réagissent de la façon suivante : D’accord, nous ne pouvons utiliser aucune technologie de Huawei, mais qui va en payer les frais ? Nous devrons payer plus cher pour d’autres choses qui seront peut-être moins efficaces et nous ne savons pas clairement ce qu’elles nous apporteront en termes de sécurité. » Il faut peser le pour et le contre entre les intérêts économiques et la sécurité. »

Mais toute cette situation est incroyablement paradoxale : les États-Unis peuvent mettre en déroute la Chine en lui refusant l’accès à la technologie high-tech américaine, mais cela peut aussi motiver aussi les Chinois à intensifier leurs efforts. Le projet « Made In China 2025 » a beau disparu de l’avant de la scène, l’argent n’a jamais autant coulé à flots. L’année passée, les fonds européens pour la recherche de semi-conducteurs ont doublé.

« Sur le court terme, la Chine souffre beaucoup de la situation, mais sur le long terme, les effets positifs devraient peut-être arriver » suppose le professeur Xu. « Les tensions autour d’Huawei ont poussé le gouvernement et le public à tirer la sonnette d’alarme. Les semi-conducteurs sont sur toutes les lèvres. Même les non-spécialistes et les étudiants se renseignent en masse sur les études. Je n’ai jamais vu ça. Nous sommes en route vers un changement spectaculaire. »

Edward Tse, PDG de l’entreprise de consultation Gao Feng située à Hongkong, est lui aussi persuadé que la Chine sortira plus forte de cette crise. « Certes, les interventions américaines retarderont le développement de technologies en Chine. Néanmoins avec le temps, nous pouvons regarder en arrière et dire : c’est le moment où la Chine a accéléré, où elle a commencé à rechercher des innovations originales. Et je suis certain d’une chose : si cela se produit, la Chine a toutes les cartes en main. »

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