Alexandria Ocasio-Cortez © AFP

Taxer les riches, l’idée fait son chemin aux Etats-Unis

Le Vif

Taxer plus les riches et les entreprises pour améliorer le système de santé ou lutter plus généralement contre des inégalités? Longtemps taboue aux Etats-Unis, l’idée gagne du terrain, poussée par l’aile gauche du parti démocrate.

Dans un pays qui incarne l’esprit d’entreprise et compte le plus grand nombre de milliardaires au monde, le sujet est sur toutes les lèvres ces dernières semaines. Pas un candidat démocrate à la présidentielle 2020 qui n’en parle, encouragé par deux célébrissimes milliardaires, soucieux de la montée des inégalités: Bill Gates et Warren Buffett, respectivement deuxième et troisième fortunes mondiales au classement 2018 de Forbes.

Le sénateur très à gauche du Vermont Bernie Sanders s’était le premier distingué, lors de la présidentielle 2016, en prônant des hausses des impôts fédéraux pour financer la gratuité des universités et une couverture santé pour tous. Taxe de 2% sur toute fortune au-delà de 50 millions de dollars pour Elizabeth Warren, taxe sur les transactions financières pour Kirsten Gillibrand, impôt sur les successions allant jusqu’à 77% pour les riches chez Bernie Sanders: chaque candidat à l’investiture démocrate a déclaré sa proposition.

Ocasio-Cortez en pointe

Sans être candidate, la jeune star démocrate à la Chambre des représentants, Alexandria Ocasio-Cortez, est à la pointe du débat: elle préconise une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu au-delà de 10 millions de dollars, qui atteindrait 70%, afin de financer un ambitieux programme alliant conversion aux énergies propres, couverture santé pour tous et un emploi garanti à chaque Américain. La tranche la plus élevée actuellement plafonne à 37%, et un taux de 70% serait du jamais vu depuis les années 70.

Autre priorité des démocrates: taxer davantage les entreprises. La discussion a rebondi avec la polémique autour de la situation fiscale d’Amazon, qui a fait la fortune de son fondateur Jeff Bezos. Elle ne paie pas d’impôts fédéraux grâce aux crédits que lui valent ses lourds investissements, et alimente le débat sur les entreprises qui échappent à l’impôt sur les sociétés malgré leurs bénéfices. Plusieurs républicains ont attaqué les propositions démocrates, à commencer par celles d’Alexandria Ocasio-Cortez, leur bête noire.

Grover Norquist, président du centre Americans for Tax Reform et proche des républicains, mettait en garde dès janvier contre les propositions censées cibler les riches, mais qui finissent toujours par « descendre pour frapper » les classes moyennes. Mais pour Joseph Thorndike, spécialiste de l’histoire de la politique fiscale américaine, un retournement de la tendance qui poussait les impôts à la baisse depuis la fin de la Seconde guerre mondiale est désormais possible. « Je crois qu’il se passe vraiment quelque chose: une discussion a été lancée que nous n’avions pas eue depuis les années 60 ou même 50 », dit-il.

Au sortir de la guerre et du « New Deal » du président Roosevelt, les taux d’imposition étaient très élevés, avec une tranche d’imposition maximale à 94%. Ils ont baissé nettement d’abord dans les années 60, puis sous Reagan dans les années 80, explique-t-il. Et en 2017 encore, le milliardaire Donald Trump, qui a toujours refusé de rendre public ses déclarations d’impôts, et la majorité républicaine au Congrès entérinaient une baisse des impôts fédéraux, malgré l’opposition des démocrates.

Trump catalyseur ?

Les inégalités croissantes sont pour beaucoup dans ce changement de discours, souligne M. Thorndike. « Les gens peuvent tolérer quand les riches deviennent plus riches à condition que la classe moyenne en profite également. Mais quand les classes moyennes et travailleuses stagnent, cela crée des tensions sociales problématiques politiquement ». Mais Donald Trump pourrait aussi avoir un effet catalyseur. Si la plupart des inflexions majeures de la fiscalité américaine sont intervenues en temps de crise – guerre ou grave récession – la présidence anticonformiste de Donald Trump « pourrait constituer une rupture suffisante pour déclencher ce genre de changement », selon M. Thorndike.

Une enquête réalisée du 22 au 24 février par l’institut Morning Consult pour le site Politico semble confirmer l’assentiment croissant des Américains: quelque 74% des électeurs interrogés se disaient globalement favorables à ce que les riches paient plus d’impôt, et 73% à ce que les entreprises en paient plus, selon ce sondage en ligne, avec une marge d’erreur de deux points. Mais cet apparent consensus, qui cache d’importantes disparités entre démocrates et républicains, est à interpréter avec prudence, tant les questions d’impôts sont sensibles, soulignent plusieurs experts.

Les mesures les plus efficaces sont souvent difficiles à expliquer au public, et les arguments « anti-riches » brandis par certains démocrates pourraient braquer les électeurs, fait valoir M. Thorndike. Pour Kenneth Scheve, professeur de sciences politiques à l’université de Stanford, la taxation des riches « sera un thème clé du débat pour la primaire démocrate 2020 ».

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