Arnaud Zacharie

Taxer la finance pour la reconstruction post-Covid (carte blanche)

Arnaud Zacharie Secrétaire général du CNCD-11.11.11

La Commission européenne et le Parlement européen demandent aux Etats membres d’adopter un budget ambitieux alimenté par des ressources propres, parmi lesquelles la taxation des transactions financières. Les Etats membres doivent arrêter de tergiverser et accepter d’instaurer cette taxe sur la finance dès 2024.

La crise du coronavirus a provoqué un choc budgétaire inédit et la pire récession mondiale depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pour y répondre, la Commission européenne envisage d’emprunter 750 milliards d’euros pour financer un plan baptisé « Next Generation EU », dont 390 milliards sont destinés à être alloués aux Etats membres sous la forme de subventions. Si cette dette commune permet de réduire les taux d’intérêt et de soutenir les Etats membres les plus vulnérables, elle pose également la question de son remboursement – soit près de 13 milliards d’euros d’intérêts annuels à payer chaque année. Le projet de Green Deal européen nécessite par ailleurs de mobiliser des ressources suffisantes pour financer les investissements publics permettant d’atteindre la neutralité carbone.

L’enjeu des ressources propres

Le 16 septembre 2020, le Parlement européen a donné son feu vert à la proposition de la Commission européenne. Le Parlement demande que le Conseil des Etats membres accepte de lier l’emprunt commun à la mobilisation de ressources propres de l’Union européenne. Autrement dit : de permettre à l’Union de collecter ses propres revenus et de ne plus dépendre des seules contributions budgétaires des Etats membres. Non seulement cela permettrait à l’Union européenne de disposer de la marge d’action budgétaire pour financer des politiques communes bénéfiques à l’ensemble des citoyens européens, mais cela éviterait aussi aux Etats membres de devoir rembourser à terme un montant supérieur à celui reçu dans le cadre du plan post-Covid concocté par la Commission européenne.

Le Parlement propose plusieurs sources de recettes propres : la taxation des déchets plastiques non recyclés et la mise aux enchères des droits du marché carbone (dès le 1er janvier 2021), les revenus issus d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la taxation des services numériques (pour le 1er janvier 2023), ainsi que l’application d’une taxe sur les transactions financières (pour le 1er janvier 2024) et la mise en place d’une assiette commune consolidée de l’impôt sur les profits des sociétés (pour le 1er janvier 2026).

Parmi ces propositions, ce sont les deux dernières qui permettraient de générer le plus de recettes. Selon les estimations de la Commission européenne, la taxation des déchets plastiques générerait 7 milliards d’euros annuels, les revenus du marché carbone entre 3 et 10 milliards, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières entre 5 et 14 milliards et la taxation des services numériques entre 1,3 et 5 milliards. L’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés pourrait quant à elle générer plusieurs dizaines de milliards d’euros annuels de recettes, mais à une échéance qui risque d’être trop lointaine. Par contre, une taxe européenne sur les transactions financières pourrait générer, selon la proposition de la Commission, plus de 50 milliards d’euros annuels dès 2024. Or elle est négociée en vain par les gouvernements européens depuis près de dix ans.

Surmonter le « syndrome du gruyère »

L’idée de taxer les transactions financières internationales est proposée depuis des décennies depuis de nombreuses années. En 2011, la Commission a proposé d’introduire une taxe européenne sur les actions, les obligations et les produits dérivés sur actions et obligations. Le taux proposé était de 0,1% pour les actions et obligations et de 0,01% pour les produits dérivés, ce qui aurait selon les estimations de la Commission de mobiliser 31,5 milliards d’euros par an. Cette proposition, soutenue par l’axe franco-allemand, est discutée depuis 2012 dans le cadre de la « coopération renforcée » par une dizaine d’Etats membres, qui n’ont toutefois pas réussi à trouver un accord.

En mars 2017, les pays impliqués dans la négociation ont échoué à adopter un compromis pourtant moins ambitieux que la proposition initiale. Ce compris excluait du champ d’application de la taxe plusieurs types d’acteurs et de transactions. Le nombre d’exemptions concédées était tel que le ministre allemand des Finances de l’époque, Wolfgang Schäuble, a qualifié de « gruyère » la proposition de compromis finalement sur la table. Ce faisant, il mettait en garde les pays qui, comme la Belgique, revendiquaient de nouvelles exemptions. Le « syndrome du gruyère » engendré par les nombreuses exemptions offre en effet des opportunités d’échappatoires aux opérateurs financiers. C’est pourquoi l’estimation du produit généré par le projet de taxe issu du compromis de mars 2017 ne s’élevait plus qu’à 22 milliards d’euros.

Quoi qu’il en soit, le compromis sur la table n’a finalement pas été adopté. Outre les réticences de certains Etats membres, les élections en France puis en Allemagne ont changé la donne. Plutôt que le projet discuté dans le cadre de la coopération renforcée, pourtant déjà minimaliste, le projet envisagé ne concernait plus qu’une taxe extrêmement limitée, sur le modèle de la taxe de 0,3% appliquée en France sur les seules sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros et sur les seules opérations d’achat d’actions au comptant constatées à une fréquence journalière. Autrement dit, cette taxe ne s’applique ni aux produits dérivés, pourtant censés représenter les trois-quarts des recettes d’une taxe européenne, ni au trading à haute fréquence, qui est assuré par des logiciels répondant à des algorithmes à la nanoseconde et qui représente près de la moitié des transactions boursières européennes. Une telle taxe ne permettrait de mobiliser que des recettes dérisoires et consisterait dès lors à vider de sa substance le projet initial.

Le momentum du plan post-Covid et du Green Deal

La nécessité de mobiliser des ressources propres pour financer le plan Next Generation et le Green Deal a toutefois relancé le débat sur l’importance d’appliquer une taxe uniforme sur toutes les transactions financières, afin de générer des recettes suffisantes. En comptant sur une recette annuelle de 50 milliards d’euros, une telle taxe permettrait non seulement de rembourser l’emprunt commun du plan Next Generation, mais aussi de dégager plus de 35 milliards pour financer le Green Deal.

Une taxe sur les transactions financières n’aurait pas d’impact négatif sur l’économie réelle, car elle n’affecterait que marginalement les transactions productives à long terme, contrairement aux opérations spéculatives basées sur une multitude d’opérations à court terme, qui sont particulièrement risquées pour l’économie réelle. Bien qu’une taxe mondiale serait idéale, une taxe européenne n’entraînerait pas de fuite des capitaux hors de l’UE pour y échapper, car la taxe proposée par la Commission européenne repose sur le double principe d’émission (du titre concerné) et de résidence (d’au moins une des deux parties à la transaction). Ces deux principes garantissent que la taxe ne provoquera pas de délocalisation du secteur financier hors d’Europe, car cela ne permettrait pas de l’éviter.

La Commission et le Parlement ont pris position en faveur de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières dans le cadre du budget 2021-2027. L’Europe a une occasion historique de mettre la justice fiscale au service de la reconstruction post-Covid. Le Conseil, qui se réunit le 15 octobre, doit cesser de tergiverser et saisir l’opportunité de taxer la finance au service de la reconstruction post-Covid.

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