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Syrie: pressions accrues après une « attaque chimique »

Le Vif

Le régime syrien et son allié russe ont accusé Israël d’avoir mené lundi des frappes contre une base militaire en Syrie, où une attaque chimique présumée contre une ville rebelle a provoqué de nouveaux appels à une riposte.

Paris et Washington ont menacé le régime syrien de Bachar al-Assad d’une « réponse forte » après avoir confirmé « l’utilisation d’armes chimiques » samedi dans la ville de Douma près de Damas. Mais ils ont démenti avoir mené les frappes contre la base militaire T-4 dans le centre de la Syrie en guerre. Deux réunions sont prévues plus tard dans la journée au Conseil de sécurité de l’ONU à New York sur l’attaque chimique imputée au régime, et qui a tué, selon des secouristes, près de 50 personnes.

La réunion du Conseil de sécurité repoussée à 19H00 GMT

La réunion en urgence du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Syrie, réclamée par neuf pays sur les quinze membres de l’instance, initialement prévue en fin de matinée, se tiendra finalement à 19H00 GMT, a-t-on appris lundi de source diplomatique française.

Cette réunion sur l’emploi présumé d’armes chimiques samedi à Douma, initiée par la France, a été fusionnée avec une réunion réclamée par la Russie sur les « menaces sur la paix dans le monde », a indiqué cette source.

Dans ce contexte tendu, quand des missiles se sont abattus sur l’aéroport militaire T-4, connu sous le nom de Tiyas, dans la province de Homs, l’agence de presse officielle syrienne Sana a d’abord pointé du doigt les Etats-Unis, avant de se rétracter et de désigner Israël. « L’agression israélienne sur l’aéroport du T-4 a été menée par des avions F-15 qui ont lancé plusieurs missiles », a précisé une source militaire citée par Sana.

La Russie, qui aide militairement le régime syrien face aux rebelles et jihadistes, a elle aussi accusé Israël, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov dénonçant un « développement très dangereux ». En Israël, l’armée a décliné tout commentaire, alors que l’Etat hébreu a mené de nombreux raids contre des cibles en Syrie ces dernières années.

Une substance mortelle ajoutée au chlore dans la dernière attaque chimique

« Vers 16H30 il y a eu une première attaque chimique, essentiellement du chlore, avec des victimes telles qu’on peut les attendre dans ce genre d’attaques, beaucoup de victimes (par suffocation) mais peu de décès », explique ce responsable d’une ONG française, l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM). Selon lui, 400 à 500 personnes présentent alors des symptômes relativement légers, « problèmes de suffocation, troubles visuels avec irritation… ». Seule une personne a été tuée par le chlore et cinq autres sous l’effet du bombardement, dit-il. Lors d’une deuxième attaque, vers 21H00 locales, « on monte rapidement à 600, 700, 800 victimes arrivant à l’hôpital, présentant toujours la même symptologie respiratoire » mais on découvre aussi « dans des caves, des appartements des gens comme foudroyés par la mort », 42 au total, relève cet anesthésiste-réanimateur et ancien médecin militaire.

« Le chlore ne foudroie pas, même à haute concentration (…) Là, les morts sont couchés les uns sur les autres, donc quelque chose d’autre a été utilisé », du sarin ou un « autre produit caustique par inhalation », avance Raphaël Pitti. Selon lui, les auteurs de l’attaque ont voulu « camoufler l’utilisation du sarin » derrière le chlore ou « accroître la létalité du chlore » avec l’ajout d’une autre substance. Dans les deux cas, le bilan s’avère beaucoup plus lourd que lors de la première attaque. Le Dr Pitti s’est fait envoyer des photos des victimes sur lesquelles une feuille de papier mentionnant la date et le lieu de la prise a été apposée afin de prouver l’authenticité de la séquence. Il a aussi demandé des photos et vidéos des yeux des victimes pour examiner de plus près les symptômes qu’elles présentent. Dans tous les cas, il sera impossible selon lui de prouver l’emploi du gaz sarin autrement que par des prélèvements biologiques, ce qui s’annonce compliqué dans un secteur assiégé par le régime. « Le sarin entraîne un rétrécissement des pupilles (myosis, ndlr) mais ce n’est pas un produit qui brûle la peau. Sur les images, le caustique utilisé, chlore ou autre produit à haute concentration, a entraîné une brûlure des cornées. De ce fait, on ne peut pas faire le diagnostic de myosis qui signe éventuellement l’utilisation du sarin », souligne-t-il. « L’attaque chimique ne fait de doute pour personne, y compris pour les gouvernants. Le problème, cela reste de savoir qui est le coupable », déplore-t-il également.

– Ennemis d’Israël –

Israël et la Syrie sont officiellement en état de guerre. Les relations sont d’autant plus tendues que trois ennemis d’Israël opèrent sur le théâtre syrien: le régime lui-même, l’Iran et le Hezbollah libanais pro-iranien, deux autres alliés de M. Assad. Au moins 14 combattants, dont trois officiers syriens et des Iraniens, ont péri par la frappe sur l’aéroport T-4, qui selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), accueille des forces russes et iraniennes.

En février, Israël a visé cette même cible en affirmant qu’un drone avait été envoyé par l’Iran sur son territoire depuis cet aéroport présenté comme une « base iranienne ». Dimanche, les Etats-Unis et la France ont fait planer la menace d’une frappe en Syrie, après des affirmations de secouristes, non vérifiées de source indépendante, sur une attaque présumée aux « gaz toxiques » à Douma, dernière poche rebelle près de Damas que le régime cherche à reprendre pour parachever sa reconquête de la Ghouta orientale.

M. Trump a ainsi averti le régime et ses alliés, dont la Russie, qu’ils pourraient « payer le prix fort », et a qualifié M. Assad « d’animal ». Le chef de la diplomatie britannique Boris Johnson a lui aussi appelé à une « réponse internationale forte », lors d’une conversation téléphonique avec son homologue français, Jean-Yves Le Drian.

Selon M. Jonhson, l’une des réunions de l’ONU « constituera une étape importante dans la détermination de la réponse internationale ».

– Enquête internationale –

Il y a un an, M. Trump avait fait bombarder une base militaire syrienne, en représailles à une attaque au gaz sarin imputée au régime, qui avait tué en avril 2017 plus de 80 civils à Khan Cheikhoun (nord-ouest). Le pouvoir d’Assad a toujours nié sa responsabilité dans les nombreuses attaques chimiques qui lui ont été attribuées durant la guerre. Il a aussi démenti celle à Douma. L’allié russe a lui dit que des « spécialistes militaires » n’avaient trouvé sur place « aucune trace de chlore ou d’une quelconque substance chimique ».

Mais l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé l’ouverture d’une enquête « pour établir si des armes chimiques ont été utilisées ». L’OSDH a indiqué ne pas être en mesure de confirmer cette attaque chimique.

Selon les Casques Blancs et l’ONG médicale Syrian American Medical Society, 48 personnes ont péri dans l’attaque à Douma et des centaines ont souffert de « difficultés respiratoires ». Une vidéo postée par les secouristes et présentée comme tournée après l’attaque présumée montre un enchevêtrement de corps sans vie, dont ceux de femmes et d’enfants, allongés à même le sol, de la mousse blanche s’échappant de leur bouche. Grâce à l’appui militaire crucial de Moscou, le pouvoir syrien a réussi à reprendre plus de la moitié du territoire, au prix d’une guerre dévastatrice qui a fait plus de 350.000 morts depuis mars 2011.

Fort de ce même soutien, le régime a finalement fait plier le dernier groupe rebelle présent à Douma, l’obligeant à commencer à évacuer la cité. Des semaines durant, en février et mars, l’enclave rebelle dans la Ghouta orientale a été la cible de bombardements intenses qui ont tué selon l’OSDH plus de 1.700 civils.

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