La fusée géante Starship a été conçue pour transporter en orbite des charges lourdes et envoyer des hommes sur la Lune et sur Mars. © SPACEX

SpaceX: jusqu’où ira Elon Musk?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Il construit des fusées réutilisables, redonne à la Nasa un accès habité à l’espace, envoie des grappes de satellites en orbite, se lance dans le tourisme spatial, prépare le retour de l’homme sur la Lune… Jusqu’où ira Elon Musk, qui a pris de vitesse tous ses concurrents?

Mégalo im-pulsif, Elon Musk? Pas que. L’homme d’affaires américain, qui aura 50 ans le 28 juin, est aussi un entrepreneur visionnaire, qui a révolutionné l’accès à l’espace avec sa société SpaceX, créée il y a moins de vingt ans. Les sceptiques, nombreux au début de l’aventure de la start-up, raillaient la démesure de l’ingénieur fantasque, son rêve d’installer l’homme sur Mars, son ambition de créer ses propres fusées et de les rendre réutilisables. Aujourd’hui, les critiques se font rares. Et pour cause: SpaceX, société entièrement financée au départ par les fonds privés du milliardaire, affiche une insolente réussite et est devenue le partenaire privé privilégié de la Nasa.

La fusée réutilisable, solution qui vise à réduire le prix de la mise en orbite, s’est vite imposée comme la référence sur le marché.

La firme a, certes, essuyé des échecs. Qu’elle n’a jamais cherché à cacher. Elle a même compilé, dans une vidéo de 2017 aux allures de bêtisier, ses crashs spatiaux les plus spectaculaires: collisions, chutes, explosions, pannes, perte de contrôle… Une façon de souligner le chemin parcouru pour arriver à faire revenir sur une barge le premier étage de ses fusées Falcon 9. On connaît la formule choc du gourou: « Il y a, à la Nasa, cette idée idiote que l’échec n’est pas une option. Chez nous, l’échec est une option. Si vous n’échouez pas, c’est que vous n’êtes pas assez innovant. » Devenues cultes, les deux dernières phrases se retrouvent imprimées sur des tasses et des tee-shirts.

Après les échecs, la réussite

L’innovateur sans limites a connu des désillusions. En 2008, la Nasa a sauvé SpaceX de la faillite en lui attribuant le contrat du transport du fret vers l’ISS, la Station spatiale internationale. Il n’empêche, la succession d’exploits technologiques accomplis par la firme ces dernières années donne le tournis. En décembre 2015, soit cinq ans et demi après le premier tir de son lanceur moyen Falcon 9, elle réussit à faire décoller la fusée et à récupérer le propulseur, revenu atterrir après quelques minutes de vol. La fusée réutilisable, solution qui vise à réduire le prix de la mise en orbite, s’est vite imposée comme la référence sur le marché des lancements de satellites. La Chine développe aujourd’hui son propre lanceur de ce type, Longue Marche 8, qui ressemble étrangement au Falcon 9, tandis que l’Europe tremble. Car elle est à la traîne. Sa fusée Ariane 6, pas encore en service – le vol inaugural est reporté au deuxième trimestre 2022 -, est déjà dépassée. Non recyclable, elle risque de manquer de compétitivité.

Autre coup d’éclat du fondateur de SpaceX: son véhicule Crew Dragon, version XXIe siècle de la capsule Apollo, a redonné à la Nasa un accès habité à l’espace. Depuis le retrait des navettes spatiales en 2011, l’agence américaine et ses partenaires dépendaient des vaisseaux Soyouz pour acheminer leurs astronautes vers l’ISS. Ils ont retrouvé leur autonomie le 30 mai 2020, date du premier vol avec équipage du Crew Dragon. C’est ce « taxi » privé qu’a emprunté le Français Thomas Pesquet, le 24 avril dernier, pour rejoindre la station. Un troisième vol habité de la capsule qui s’est déroulé sans encombre, tandis que la récupération du premier étage de la fusée est devenue une routine.

La récupération sur une barge du premier étage du lanceur Falcon 9 est devenue une routine.
La récupération sur une barge du premier étage du lanceur Falcon 9 est devenue une routine.© SPACEX PHOTOS – CRS-8

Les milliardaires se disputent l’espace

Ces jours-là, l’attention d’Elon Musk se focalise déjà sur un autre défi: après quatre vols d’essai soldés par d’impressionnantes explosions, son prototype de lanceur lourd Starship réussira-t-il à se poser en douceur, à la verticale, sur la base texane de Boca Chica, son lieu de décollage? Mission accomplie le 5 mai. La performance ouvre une nouvelle page de la conquête spatiale. Elle rassure la Nasa, qui a sélectionné SpaceX pour construire le vaisseau appelé à déposer quatre astronautes sur la Lune dans le cadre de la mission Artemis. Ce contrat de 2,9 milliards de dollars est toutefois suspendu après une plainte de Jeff Bezos, le patron milliardaire d’Amazon. Sa société spatiale, Blue Origin, a été évincée du juteux marché. Bezos accuse la Nasa d’avoir modifié au dernier moment les critères de l’appel d’offres afin de favoriser son grand rival.

En attendant la décision du GAO, la Cour des comptes américaine, attendue le 4 août, Elon Musk poursuit le déploiement de son projet Starlink, censé donner une connexion Internet à haut débit à toute la planète. Depuis mai 2019, il place en orbite basse des constellations de satellites. Plus de 1 500 y ont déjà été envoyés. Vers 2025, la flotte devrait compter près de 12 000 satellites. SpaceX se lance aussi dans le tourisme spatial. La première mission de ce type, Inspiration4, est prévue dès la mi-septembre prochain. Quatre touristes tourneront autour de la Terre pendant trois jours à bord d’un vaisseau Crew Dragon dont le port d’amarrage sera remplacé par une coupole d’observation. Alors que la concurrence – Virgin Galactic et Blue Origin – promet des escapades commerciales suborbitales (à une altitude de 100 kilomètres), SpaceX va une fois de plus être pionnière: si tout se passe comme prévu, elle deviendra la première firme privée à envoyer des touristes au delà de l’orbite de l’ISS (environ 410 kilomètres).

Des jours sombres sur la Terre?

On peut ironiser sur le sérieux du projet fou d’Elon Musk de coloniser la planète Mars, d’y créer une cité autosuffisante pour un million d’humains à l’horizon 2050. Son idée de faire de l’humanité une espèce interplanétaire n’est pas pour autant une lubie. C’est le but de sa vie, la raison pour laquelle il s’est enrichi et a fondé SpaceX en 2002. A ceux qui lui opposent les obstacles techniques, financiers ou physiologiques à franchir avant de pouvoir envoyer l’homme sur Mars, il répond par une prédiction: des « jours sombres » nous attendent sur notre planète « du fait de l’avènement de l’intelligence artificielle et des robots intelligents ». La meilleure manière de raccourcir cette période noire de l’histoire est, selon lui, de s’assurer « qu’il reste ailleurs que sur la Terre une graine de civilisation humaine, de manière à pouvoir y ramener la civilisation ».

Le bon mot

Piètre orateur, Elon Musk a, en revanche, le sens de la formule drôle, inspirante ou provocatrice. Trois citations mémorables sur la conquête spatiale. « J’aimerais bien mourir sur Mars. Mais pas pendant l’impact. » « Le moyen le plus rapide [pour rendre Mars habitable] est de balancer des armes thermonucléaires sur les pôles de la planète. » « Le futur est terriblement déprimant si les humains ne deviennent pas une espèce multiplanétaire. »

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