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Scientologie : poursuivie en Europe, en disgrâce aux Etats-Unis

Stagiaire Le Vif

L’église de scientologie est vue comme une secte en Belgique et en France, où elle a souvent affaire à la justice. Aux Etats-Unis, c’est une religion exonérée d’impôts qui a pignon sur rue. Les critiques se font pourtant de plus en plus nombreuses outre-Atlantique et poussent la secte à réagir.

Les Américains rivés sur le Superbowl ont découvert une bien étrange publicité dimanche 3 février. Dans ce spot, une voix off masculine et chaleureuse en appelle aux « curieux », aux « artistes », aux « libres penseurs », sur des images de jeunes garçons et filles beaux et souriants. La question se pose alors : quelle marque se cache derrière cette pub ? Ce n’est qu’au bout d’une minute d’ode au savoir et à la liberté que la réponse s’affiche : « scientology.org ». Autrement dit, la très controversée église de scientologie.

Une secte mal-aimée en Europe

Cette campagne, mise en ligne en décembre sur le compte YouTube officiel de la scientologie, tombe à une période difficile pour la secte. Voilà des mois qu’elle accumule une mauvaise presse aux Etats-Unis. Les polémiques s’enchaînent, font du bruit, et les critiques se succèdent sur les plateaux télé. La scientologie serait même « la religion la plus stigmatisée aux Etats-Unis », selon le journaliste Lawrence Wright.

Pourtant, vu de Belgique, les Etats-Unis seraient le paradis des scientologues : outre leurs nombreuses et imposantes propriétés immobilières, ils bénéficient du statut de religion exonérée d’impôts depuis 1993, et peuvent donc communiquer librement. Certaines stars du cinéma et de la télé en font partie : Tom Cruise, John Travolta, Kirstie Alley, Elisabeth Moss (Mad Men), et la secte ne cesse de les courtiser via les « Celebrity Center ». Malgré tout, son image est de plus en plus mauvaise, et il n’est pas dit que la secte puisse s’en relever. D’autant plus que l’Europe ne lui fait pas de cadeaux.

En Belgique, bien que la qualification de secte n’existe pas noir sur blanc, le rapport parlementaire sur les sectes publié en avril 1997 relayait des témoignages inquiétants sur la scientologie : sociétés-écran qui recrutent en sous-main, prix exorbitant des cours, adeptes ruinés et menacés, pressions sur les journalistes, existence d’un service de renseignements interne. La scientologie avait porté plainte contre ce rapport en 2001, considérant qu’il entraînait des discriminations.

Côté justice, le parquet fédéral a décidé en décembre dernier de poursuivre la scientologie en tant qu’ « organisation criminelle » pour des motifs d’escroquerie, de pratique illégale de la médecine, d’infractions diverses à la loi sur la protection de la vie privée et d’extorsion. Selon La Libre Belgique, c’est la chambre du conseil de Bruxelles qui décidera du renvoi ou non de l’affaire devant le tribunal correctionnel, suite à des débats prévus dès mars prochain.

En France, « La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires » (MIVILUDES), organisme public d’action et de prévention, ne donne ni définition, ni liste de mouvements sectaires. Selon son site, elle ne s’intéresse pas aux doctrines et aux modes de pensée en tant que telle, mais aux « dérives sectaires c’est-à-dire aux pratiques, aux méthodes, aux actes et aux comportements qui portent atteinte aux personnes par la mise en oeuvre de techniques de sujétion, de pression ou d’emprise mentale ». Cependant, le rapport de la commission d’enquête sur les sectes de décembre 1995, qui cite la scientologie, utilise abondamment le terme « secte », sans la précaution du rapport belge.

La justice française a par ailleurs poursuivi plusieurs fois la scientologie, en commençant par son fondateur, L. Ron Hubbard, condamné en 1978 à une peine de quatre ans de prison qu’il ne viendra jamais purger. Les affaires qui suivent furent entachées d’irrégularités qui ont fait planer un risque de non-lieu à plusieurs reprises. Des rebondissements si nombreux qu’on a peine à ne les attribuer qu’au hasard, comme ce tome entier qui disparaît d’un dossier d’instruction en 1998. De plus, la scientologie affaiblit régulièrement les procédures en indemnisant les plaignants, qui se retirent un à un. Finalement, la France a condamné plusieurs scientologues depuis la fin des années 90, dont l’ancien directeur de l’antenne de Lyon suite au suicide d’un adepte. En février 2012, le Celebrity Center et sa librairie sont condamnés à un total de 600 000 euros d’amende pour escroquerie en bande organisée. A chaque affaire, les scientologues font appel aux droits de l’homme pour critiquer la chasse aux sectes en France.

Polémiques en série aux Etats-Unis

De l’autre côté de l’Atlantique, la série noire a commencé en juin 2012, avec le divorce de Tom Cruise et Katie Holmes. Selon la presse people, elle voulait récupérer la garde de leur fille Suri pour prendre en main son éducation, et empêcher Tom Cruise de l’inscrire à la Sea Org, le corps d’élite de la secte. Divorce people oblige, les médias se sont passionnés pour l’affaire et ont multiplié les articles, reportages et commentaires sur la scientologie, son rapport à l’éducation, et sur la sulfureuse Sea Org.

Reconnaissables à leur uniforme, les membres du clergé scientologue vivent en partie sur un bateau, le Freewinds. D’anciens membres ont critiqué la Sea Org, affirmant avoir été forcés de signer un contrat d’un milliard d’années. Ils parlent également de journées de travail interminables ponctuées de cours de scientologie, et dénoncent la répression extrême en cas de mauvais résultats : emprisonnement à l’écart du groupe, repas limités, éloignement de la famille.

En plein « affaire » Cruise/Holmes, les projecteurs se braquent ensuite sur un film qui fait déjà parler de lui, à plusieurs mois de sa sortie : The Master, de Paul Thomas Anderson. En effet, le nouveau long-métrage du réalisateur de There will be blood est alors présenté comme inspiré de la scientologie, et plus précisément de son fondateur, L. Ron Hubbard.

Cet écrivain de science-fiction a fondé l’église de scientologie dans les années 50, après avoir écrit le livre phare de la secte : « La Dianétique ». Dans The Master, à voir sur les écrans belges dès le 6 mars prochain, un certain Lancaster Dodd crée, toujours dans les années 50, son propre mouvement spirituel, « La Cause ». Le 8 juillet 2012, le New York Daily News rapporte que « PTA » aurait montré le film à Tom Cruise, qu’il a dirigé dans Magnolia, en 1999. Celui-ci aurait été choqué par une scène dans laquelle le fils du gourou prétend que son père invente tout au fur et à mesure. Malgré tout, le film est sorti sans une coupe.

La scientologie serait-elle fatiguée d’attaquer à tout va ? En mars 2006, la chaîne Comedy Central avait été accusée de céder aux pressions de Tom Cruise en déprogrammant un épisode de South Park. « Piégé dans le placard » présentait la scientologie comme une arnaque basée sur une mythologie extraterrestre farfelue. En octobre 2011, le scientologue dissident Marty Rathbun révélait sur son blog une note interne, suggérant que la secte cherchait de quoi salir les créateurs de South Park. Rien n’indique en revanche que Paul Thomas Anderson ait lui aussi été surveillé de la sorte.

Enfin, côté librairies, l’année 2013 commence très mal pour la scientologie. Les journalistes Lawrence Wright et John Sweeney sortent chacun leur enquête, « Going Clear » et « The church of fear ».Mais c’est surtout « Rescapée de la scientologie » qui risque de faire du bruit, pour une raison simple : il raconte l’enfer vécu par Jenna Miscavige, la nièce du chef de la secte, David Miscavige. L’Express a publié des extraits de la traduction française, en librairie le 14 février.

Née scientologue, éloignée de ses parents, Jenna s’enfuit avec son mari à 21 ans et fait désormais parti des critiques réguliers de la secte. Sur le plateau de la chaîne ABC, mardi 5 février elle déclarait « ne pas avoir peur de la scientologie ». Une parole courageuse au regard des nombreux ex-adeptes assurant être harcelés par la secte, une pratique issue d’une directive de L. Ron Hubbard appelée « Fair game », décrivant le droit qu’à tout scientologue de salir et harceler les critiques.

La dernière polémique en date montre enfin que la scientologie n’est pas si libre de communiquer qu’on le pensait. Le 14 janvier dernier, le site internet du mensuel américain The Atlantic a publié un article sponsorisé, payé par la scientologie. Cette longue publicité, annoncée par la mention « Sponsor Content » sur fond jaune, vantait « l’expansion sans précédent » de la secte en 2012. Cerné par cette polémique, le journal a d’abord temporisé en retirant le contenu, avant de publier un message d’excuse, le 15 janvier : « On a déconné ».

L’image se dégrade, l’influence reste

Alors, la scientologie est-elle vraiment en perte de vitesse ? Oui et non. Certes, l’Europe la poursuit, les USA la lâchent, mais elle conserve une partie de son influence. L’achat et la rénovation de bâtiments dans le monde entier prouvent que ses finances restent au beau fixe. Elle bénéfice aussi de soutiens politiques discrets, et domine toujours la ville de Clearwater en Floride, qu’elle a presque annexée. Le nombre de ses membres serait pourtant en chute libre, selon les critiques : dans quelques années peut-être, le pouvoir de la scientologie, faute d’adeptes, ne pèsera plus sur rien.

Lucas Godignon (stagiaire)

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