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Scandales sexuels dans l’Eglise: l’entre-soi en question

Le Vif

« Cléricalisme ». Pour le pape François, c’est un mot qui désigne bien des maux: cette habitude du clergé à vivre en vase clos, sans contre-pouvoir, est l’un des facteurs ayant contribué aux abus, notamment sexuels, affirment plusieurs responsables et chercheurs.

A partir de jeudi, les 115 présidents de conférences épiscopales et les responsables de congrégations religieuses du monde entier sont convoqués, pendant quatre jours, au Vatican pour plancher sur la lutte et la prévention des abus sexuels sur mineurs.

Ce cléricalisme, même s’il « n’explique pas tout à lui seul », est « une clé importante pour comprendre la crise des abus sexuels », estime le père Stéphane Joulain, prêtre et psychothérapeute.

« Beaucoup de ces hommes qui ont commis des abus dans l’Eglise pensaient avoir une espèce de passe-droit », ajoute ce spécialiste du traitement des agressions sexuelles sur mineurs, qui enseigne à Rome et en Afrique.

C’est un « usage tordu de l’autorité qui fait qu’on acquiert un pouvoir toxique et une emprise sur l’autre », témoignait lui aussi cette semaine devant le Sénat français le porte-parole de la Conférence des évêques de France (CEF), Olivier Ribadeau Dumas, en commentant la « Lettre au peuple de Dieu » du pape François demandant de lutter contre les « abus », à l’été dernier.

Pour le père Luc Forestier, enseignant chercheur en théologie à l’Institut catholique de Paris, la « culture du secret » en découle. « Parce qu’au fond, le problème dans les crimes sexuels, c’est tout autant les crimes que le silence qui les a entourés, et qui pour une part les entoure encore », estime-t-il.

« Il existe une vénération de l’Eglise qui est malsaine et peut empêcher la libération de la parole », a reconnu le patron des évêques de France, Mgr Pontier, dans un entretien au Journal du Dimanche.

Collégialité avec les laïcs

Face au poids de ce cléricalisme, quel changement de culture et comment réformer l’Eglise ?

Vaste chantier, rappelle le sociologue français spécialiste des religions Olivier Bobineau. « La curie date de 1089. Cela fait des siècles que cette institution ne pense qu’à se préserver ».

Depuis plusieurs années déjà, plusieurs voix se font entendre pour que les laïcs, dont les femmes, prennent plus de place au sein de l’Eglise, notamment dans les décisions. Pour le pape, c’est « toute la communauté des fidèles » qui doit se mobiliser pour inverser la pyramide. Il plaide pour plus de laïcs et de femmes dans des positions-clés.

« Une institution qui tient tout le pouvoir, comment peut-elle lutter contre elle-même? », s’interroge cependant Anne Soupa, fondatrice de la Conférence des baptisés francophones, un mouvement réformateur fondé en 2009.

Cela va être « lourd de s’en débarrasser », d’autant que « l’opinion publique catholique +de base+ est balbutiante. On est peu nombreux à porter une voix discordante à l’unisson que l’on entend », relève-t-elle.

Elle juge en particulier que « si les femmes étaient davantage associées à la gouvernance, on n’en serait pas là sur le cléricalisme et sur les abus ».

« Renforcer les pouvoirs des conseils pastoraux », instaurer davantage de collégialité dans les décisions, « travailler avec la communauté chrétienne pour que l’on cesse d’idéaliser le prêtre comme si c’était la huitième merveille du monde pour le ramener à un homme, un disciple, un serviteur », ou encore « travailler sur ces questions dans les formations », sont d’autres pistes avancées par Stéphane Joulain, qui souhaiterait que les clercs puissent « rendre des comptes ».

« Dans certains diocèses, tous les acteurs de la vie pastorale – prêtres, laïcs et femmes – prennent les décisions ensemble », se félicite le père Forestier. Mais concède: « est-ce qu’il y a des marges de progrès? Oui ».

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