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Rencontre avec Raphaël, fils prodigue de la chanson française devenu quadra intello

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Retour de Raphaël, fils prodigue de la pop française avec Somnambules, album dopé par une jeune chorale angélique qui rend le voyage onirique, mais pas seulement.

Sur le divan carmin de l’hôtel Métropole, cheveux lissés en arrière et lunettes, Raphaël Haroche – né le 7 novembre 1975 en banlieue parisienne – évoque davantage un intello quadra qu’un fantasme féminin ambulant. Cette maturité détachée viendrait volontiers d’une seconde paternité – Aliocha, né en décembre 2013 – et de ce Somnambules aux vertus musicales appuyées sur une chorale d’enfants. Un peu comme si les Poppys ressurgissaient quatre décennies plus tard pour parfumer la mélancolie profonde de Monsieur Caravane.

Le Vif/L’Express : Somnambules est-il une tentative de mixer des voix à la Poppys et une résurgence de votre propre enfance, évoquée notamment par les chants du Talmud ?

Raphaël : (surpris) Je n’ai pensé ni à l’un ni à l’autre. Non, les Poppys ne m’ont pas particulièrement plu. Quant au Talmud, j’en parlais dans une interview pour citer le chant entendu, tout gamin, à la synagogue : j’adorais la voix basse du chantre, les mélodies comme les harmonies de ces moments-là. Même si je n’ai pas eu d’enfance religieuse. Le projet a dû cristalliser pendant quelques années.

Fallait-il passer par la paternité, dont la naissance de votre premier garçon Roman en 2008, pour que cette madeleine musicale revienne de façon plus forte ?

Oui, il fallait revivre cette fantaisie de l’enfance avec les miens. L’idée de transmission est là, notamment quand j’ai des difficultés avec mes garçons, je peux poser des questions à mon père. L’idée était de balancer la mélancolie de ma voix avec la haute énergie des enfants. Ils rajoutent une légèreté ou même une gravité à certains moments : j’aime beaucoup ce disque.

Vous avez d’abord pensé travailler avec une chorale professionnelle, puis vous vous êtes tourné vers l’école Houdon et les enfants en classe de musique : pourquoi ce choix ?

Si je n’avais pas pu faire ce disque dans une école, avec des gosses qui sont comme des frères, des copains, je ne l’aurais pas fait. J’avais besoin que l’on sente cela, le brouhaha, cette vie comme dans L’argent de poche de Truffaut. Certains gamins étaient même là dans la pièce, sans nécessairement chanter, mais leur présence était importante.

Le choeur d’enfants est utilisé comme un instrument, et d’ailleurs mixé comme tel, à des degrés d’intensité variables : dans des titres tels qu’Arsenal ou Sur mon dos, il est très présent, ailleurs, parfois moins ou pas du tout. Quelle a été la méthode choisie ?

On a enregistré tous les instrumentaux en studio, sans les enfants, puis je suis allé en classe leur jouer les morceaux, avec ma petite guitare et au piano. Avec un mec qui faisait du beat box pour les faire marrer. On leur a juste passé les bandes et mis deux micros d’ambiance : ils ont fait une ou deux prises à chaque fois et c’était bon. Le tout a été réalisé en un après-midi, et hop.

Vous disiez que le choix de l’école était lié au fait que c’est une « école laïque de la République » : cette laïcité républicaine compte pour vous ?

Je trouve ça bien. J’adhère totalement au principe de la laïcité, d’ailleurs mon fils aîné, Roman, est à l’école publique.

Il a écrit un interlude sur le disque, Par ici les ailes d’oiseaux : la genèse de la chose ?

Un jour, j’avais une insomnie ; j’avais bu du vin, je crois, et me suis réveillé à cinq heures. Un peu vaseux, j’ai commencé à jouer dans la cuisine. Mon fils arrive, sous la couette, et se couche à côté de moi. Je cherche des mots et il propose de m’aider avec cette phrase : « Par ici les ailes d’oiseaux/Ça ferait du bien de s’envoler », un ravissant poème de cinq lignes. Il vient de signer son premier contrat d’auteur à la Sacem…

Ramène-moi en arrière est-elle une chanson sur le rêve impossible de redevenir enfant ?

C’est un peu plus second degré, sur l’inversion de choses, comme une bande mise à l’envers. Pas vraiment comme le désir de rentrer dans le ventre de ma mère ou d’autres trucs tordus (sourire). Je ne crois pas du tout au syndrome Peter Pan, je suis un père qui n’a pas envie d’être un jeune homme. Je n’ai aucune nostalgie de mon enfance, je suis très heureux d’être adulte et d’avoir une bagnole. Gamin, j’étais plutôt déconneur, je chantais tout le temps comme un petit oiseau, ce qui pouvait fatiguer mes parents…

Chanteur, métier forcément exceptionnel ?

Tout le monde peut être chanteur (sourire). Gamin, je chantais juste, les gens trouvaient que j’avais une jolie voix. J’ai appris le solfège et le piano mais cela m’emmerdait un peu. Je ne sais pas vraiment déchiffrer. Si j’adore une pièce de Wagner et veux la jouer au piano, cela me prend une semaine pour les trois premières pages. Les mains… c’est trop de travail. J’aurais aimé avoir une vraie formation au piano, jouer Bach : j’écoute beaucoup de choses, y compris compliquées comme Dutilleux. Le classique reste un mystère pour moi, ce qui est peut-être bien. Là, je fais pas mal de musiques de film et j’ai écrit trente minutes pour un orchestre symphonique.

Vous êtes fétichiste de votre carrière ? Vous gardez vos notes ?

Je ne jette pas mes trucs, je les mets dans un garage. J’écris beaucoup à la main dans des carnets Moleskine ou dans le gros carnet Hermès qui accueille mes aquarelles, cela fait gondoler le papier et c’est beau. J’ai le sentiment de faire de l’artisanat et me sens un peu largué par l’époque et l’assaut du numérique bruyant, ce maelström de voix  » vocodées » et de poumpoum menaçants. Même en concert, il en résulte directement quinze vidéos sur le Net. Le monde manque de secret. Je viens du monde ancien, celui d’avant le buzz : aujourd’hui, on réfléchit d’abord à la façon de vendre la musique, avant de la faire. J’ai l’impression que cette bulle hystérique finira par exploser.

Caravane, votre plus grand succès, est sorti il y a dix ans. Vous en avez vendu combien ? Deux millions ?

Oh, non ! (NDLR : Caravane s’est vendu à 1,8 million d’exemplaires). Mais de toute façon, les chiffres ne bougent plus beaucoup. En dix ans, tout a changé dans l’industrie du disque. Il n’y avait ni YouTube ni streaming. C’était la préhistoire. Mais j’étais déjà un peu à rebours : je faisais de la musique comme dans les années 1970, j’enregistrais sur bande. La musique est devenue gratuite, ce que je trouve dommage parce que cela bride le désir : l’idée de choisir une chose est plus excitante que de se servir à l’étalage. L’effort pour avoir les choses, c’est bien.

CD Somnambules, chez Warner.

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