Corneille Nangaa © AFP

RDC: élections reportées d’une semaine

Le Vif

La « première transmission pacifique » du pouvoir en République démocratique du Congo attendra encore au moins une semaine: les élections supposées désigner le successeur du président Joseph Kabila ont de nouveau été reportées de sept jours, au 30 décembre.

Fin 2017, puis le 23 décembre 2018, et maintenant le 30 décembre: c’est le troisième report de ces élections générales depuis la fin du deuxième et dernier mandat de M. Kabila le 20 décembre 2016, dans le plus grand pays d’Afrique sub-saharienne, connu pour son instabilité et ses richesses minérales.

La campagne électorale, rattrapée par la violence, s’arrête en revanche dès vendredi 21, a précisé le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Corneille Nangaa.

Après les élections du 30, les résultats seront annoncés « le plus rapidement possible », a indiqué M. Nangaa, sans autre précision. Plus question du délai d’une semaine pour la proclamation des résultats provisoires prévu initialement.

« Kabila n’a pas l’intention de quitter le pouvoir », s’est énervé Yannick Sadisa, étudiant en droit, et membre du parti historique d’opposition UDPS. « Après la fin de son mandat, il s’est tapé deux ans supplémentaires et aujourd’hui même si on donne sept jours supllémentaires, ça ne va pas suffire. Trop c’est trop ».

Au moins cinq manifestants réclamant des élections ont été arrêtés près du siège de l’UDPS où la police a tiré des gaz lacrymogènes, a rapporté un photographe de l’AFP.

Trois principaux candidats se détachent parmi les prétendants à la succession de M. Kabila: son « dauphin », le candidat du pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary, et les deux frères ennemis de l’opposition, Félix Tshisekedi (UDPS) et Martin Fayulu.

Corneille Nangaa
Corneille Nangaa © AFP

Les violences pré-électorales ont fait au moins six morts. Plusieurs ont éclaté lors de déplacements de l’opposant Fayulu, dont la popularité ne s’est pas démentie pendant la campagne.

Il est soutenu par deux poids lourds anti-Kabila, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba.

Machines à voter

Les élections sont officiellement reportées en raison des conséquences d’un incendie qui a touché un entrepôt de la Céni à Kinshasa le 13 décembre. D’après la Céni, l’incendie a détruit une bonne partie du matériel électoral destiné à la capitale (huit à 12 millions d’habitants, dont 4,4 millions d’inscrits sur les listes électorales, soit 11% du total). Ce matériel comprend les « machines à voter » fabriquées par la société privée sud-coréenne Miru Systems. M. Nangaa assure avoir réussi à remplacer les quelque 8.000 machines brûlées dans l’incendie, mais pas les bulletins de vote qui vont avec. « Il a donc fallu en commander auprès du fournisseur en Corée du Sud », a assuré M. Nangaa, avançant le chiffre de cinq millions. « Le dernier lot ne peut arriver qu’au soir du samedi 22 décembre ».

« Machine à voter », un an de polémiques

Les « machines à voter » sont au coeur du processus électoral depuis plus d’un an en République démocratique du Congo. A l’origine, la « machine » fabriquées par une société sud-coréenne se présente comme une technique de vote retenue par la Commission électorale (Céni) pour alléger le coût financier et logistique des élections. Pour convaincre ses visiteurs, le président de la Céni Corneille Nangaa a son rituel: déployer les immenses bulletins papier des élections de 2011 comprenant des dizaines de noms (pour les élections locales). « Pas d’élections sans machine à voter », répète-t-il.

– Des drôles de machines –

En février, la Céni dévoile le fonctionnement des drôles de machine: l’électeur introduit un bulletin cartonné dans la fente d’un écran tactile. L’électeur clique sur le nom et la photo des candidats aux élections présidentielle, législatives et provinciales. Puis il valide, imprime et récupère le bulletin de vote à glisser dans l’urne avant un comptage manuel.

Au total, la Céni prévoit d’acheter 107.000 machines à la société sud-coréenne pour ses quelque 80.000 bureaux de vote. Immédiatement, le débat devient politique, avec une confusion entre une imprimante et un vote électronique. L’opposition antiprésident Kabila dénonce « une machine à frauder, à voler, à tricher », non prévue par la loi électorale. Les opposants trouvent un soutien de poids avec l’ex-représentante des Etats-Unis aux Nations unies, Nikki Haley: « Nous sommes très préoccupés de voir l’insistance (en RDC) à vouloir utiliser un système électronique de vote », déclare-t-elle en février. Un tel recours représente « un risque colossal » et les Etats-Unis souhaitent l’utilisation « des bulletins papier pour qu’il n’y ait pas de doutes sur le résultat », avait ajouté Mme Haley, qui a démissionné depuis.

– Aucune garantie –

En avril, la commission électorale coréenne prévient aussi qu’elle n’apporte ni « soutien officiel » ni aucune « garantie » à son homologue congolaise sur l’utilisation des machines fabriquées par la société Miru System. Au fil des mois, la communauté internationale tempère ses critiques. La Grande-Bretagne accepte une expertise technique des machines.

En septembre, les experts de l’organisation britannique Westminster Foundation for Democracy formulent 15 recommandations, par exemple « désactiver » le dispositif des communications externes (carte sim et Wifi) pendant les opérations de vote. En octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies en visite à Kinshasa souhaite « un consensus » autour de la machine à voter d’ici aux élections encore prévues le 23 décembre.

Des paroles pieuses. Le débat politique redouble, d’autant que la « machine » de toutes les polémiques divise l’opposition. Le candidat du parti historique UDPS, Félix Tshisekedi, se résigne à des élections « avec ou sans machine », pour accélérer, dit-il, le départ du président Kabila.

L’outsider Martin Fayulu maintient l’ambiguïté pendant des semaines: pas de boycottage, mais pas de machines à voter. Le pouvoir l’accuse de vouloir saborder le processus électoral.

Martin Fayulu
Martin Fayulu© AFP/John Wessels

M. Fayulu ne sort de l’ambiguïté que très récemment: il refuse le « vote électronique », et reconnaît que « ces machines peuvent servir pour d’autres tâches, telle l’impression des bulletins de vote ». Leur vocation initiale d’après la Céni.

A l’aube du 13 décembre, une épaisse fumée noire monte dans le ciel de Kinshasa. Un incendie dans un entrepôt de la Commission électorale a brûlé 8.000 des quelque 11.000 « machines » destinées à la capitale, selon la Céni.

Une semaine plus tard, le président de la Commission électorale annonce un report des élections d’une semaine en raison de cette incendie. Les machines brûlées – que personne n’a jamais vues – ont été remplacées en puisant dans des stocks à l’intérieur du pays, mais pas les bulletins de vote qui vont avec. « Il a donc fallu en commander auprès du fournisseur en Corée du Sud », a assuré M. Nangaa, avançant le chiffre de cinq millions. « Le dernier lot ne peut arriver qu’au soir du samedi 22 décembre ». Trop tard pour organiser des élections le 23 décembre.

– « Aucun report n’est justifiable » –

Ces élections ont été reportées une première fois à l’expiration du deuxième et dernier mandat du président Kabila fin 2016, officiellement faute de moyens financiers.

Ce report avait suscité des protestations réprimées dans le sang en septembre et décembre 2016.

RDC: élections reportées d'une semaine
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Un accord in extremis sous l’égide des évêques le 31 décembre 2016 avait prolongé de facto d’un an le pouvoir du président Kabila, moyennant des élections en décembre 2017.

Elles ont une nouvelle fois été reportées, officiellement en raison du retard pris dans l’enregistrement des électeurs au Kasaï, région du centre de la RDC victime d’un violent conflit entre septembre 2016 et mi-2017.

« Plus de deux ans après l’expiration des délais constitutionnels, aucun report n’est justifiable », a prévenu la coalition Lamuka constituée autour de l’opposant Martin Fayulu.

Mercredi soir, M. Fayulu a été raccompagné sous escorte policière chez lui à Kinshasa après avoir été retenu par un barrage policier à l’extérieur de la capitale où il voulait tenir une réunion publique, a rapporté l’AFP.

Juste avant son arrivée, le gouverneur provincial avait suspendu la campagne électorale à Kinshasa pour des « impératifs sécuritaires », dans une lettre curieusement datée à la fois de mardi et mercredi.

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