Pour les JO 2024 de Paris, 93% des sites existent. Ici, l'installation éphémère construite en juin dernier pour promouvoir la candidature de la ville. © JULIEN MATTIA/BELGAIMAGE

Qui rêve encore des Jeux olympiques ?

Le Vif

Le CIO va désigner Paris et Los Angeles pour accueillir les olympiades de 2024 et 2028. Un accord politique qui cache mal une remise en question du modèle de désignation et la difficulté pour une ville de porter le projet jusqu’au bout. Fin du gigantisme ?

Un accord  » win-win-win « . L’invention de la formule reviendra à Thomas Bach, le président du tout-puissant CIO (Comité international olympique). L’arrangement en question date de juillet dernier et réduit pour une fois à une simple formalité la session du CIO qui se tiendra à Lima le 13 septembre. Son enjeu devait être l’élection de la ville hôte des Jeux olympiques de 2024. Plutôt que de désigner Paris ou Los Angeles, le CIO a trouvé la parade : forcer les deux villes à s’entendre, Paris héritant de 2024 et L.A. finissant par accepter les Jeux de 2028.  » D’une défaite annoncée, Bach a fait une victoire pour tous, à commencer par le CIO « , résume Kévin Bernardi, consultant spécialisé dans les questions olympiques.

Sans cet accord, le perdant pour 2024 se serait retiré de la compétition pour l’édition suivante. Or, ces deux villes présentaient les deux meilleurs dossiers et seule une autre, Brisbane, avait manifesté de l’intérêt pour 2028, qu’elle a reporté à 2032. Car, derrière le triple  » win « , la véritable hantise du monde olympique, c’est de se retrouver… sans candidat. On fabule ? Pas tant que ça. Rien que pour 2024, Boston, Hambourg, Rome et Budapest ont renoncé comme l’avaient fait, pour les JO d’hiver 2022, Stockholm, Oslo et Munich. Dans tous ces cas, la démocratie s’est opposée à ces candidatures, sous la forme de référendums, de pétitions d’opposants ou de refus du gouvernement ou du Parlement de cautionner les frais engendrés par des Jeux. Derrière le prestige planétaire et les exploits sportifs, les Jeux font moins rêver les populations des villes candidates qu’ils ne les inquiètent. C’est qu’elles ont en tête les scandales de corruption pour les attributions (Salt Lake City), ceux liés au dopage (la réintégration des sportifs russes exclus à Rio), les  » Jeux de Poutine  » (Sotchi 2014), le choix de Pékin à deux reprises, la crise financière grecque depuis les JO d’Athènes. Président du CIO, Jacques Rogge avait admis que  » 2 à 3 % de la dette grecque peuvent être attribués aux Jeux de 2004.  » Surtout, il y a les images spectaculaires des  » éléphants blancs « , ces installations sportives qui n’auront servi que deux semaines et qui sont déjà à l’abandon, à Athènes, Turin, Sotchi, Rio.

Pour les besoins à long terme

Thomas Bach, président du Comité international olympique.
Thomas Bach, président du Comité international olympique.© JAN WOITAS/REPORTERS

Alors, stop ou encore ? Thierry Zintz, titulaire de la chaire olympique en management des organisations sportives à l’UCL, veut voir dans la double attribution de Lima une  » opportunité, qui sera saisie ou pas, d’aller encore plus loin que l’Agenda 2020 « , adopté en 2014 et dans lequel le CIO recommande aux villes candidates potentielles de  » présenter un projet olympique qui correspond le mieux à leurs besoins sportifs, économiques, sociaux et de planification environnementale à long terme  » :  » Thomas Bach et le CIO ont compris qu’on ne peut plus continuer de la sorte. En attribuant les JO jusqu’en 2028, le CIO se donne 8 ans d’ici à la prochaine désignation, qui interviendra en 2025 pour les Jeux de 2032, pour revoir son système de candidatures. Il faut sortir des choix politiques et économiques pour aller vers un modèle plus vertueux.  »

Les JO de Londres 2012 étaient l’exemple à suivre, ceux de Rio 2016 le contre-exemple. Les dossiers de Paris et Los Angeles s’inscrivent dans la lignée des premiers.  » A Paris, 93 % des sites sont existants, à L.A., 97 %. Alors que pour 2020 à Tokyo, on n’était qu’à 56 %, ce qui était la proportion habituelle jusqu’ici « , rappelle Kévin Bernardi. Et Thierry Zintz de confirmer :  » Paris et Los Angeles sont des dossiers modèles parce qu’ils évitent le surdimensionnement. A défaut de supprimer des sports, on devra revoir les exigences à la baisse. Le format des Jeux doit faire partie de la réflexion. Si l’idée d’une candidature autour d’une ville n’est pas discutable, on va vers des organisations à l’échelle d’un pays ou de plusieurs villes, y compris de plusieurs pays, ce qui n’était accepté jusqu’ici qu’à titre exceptionnel.  » Alors, les candidatures jadis envisagées de Cracovie – Bratislava, Kuala Lumpur – Singapour ou San Diego – Tijuana pourraient revenir tandis que celle de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (15 villes de plus de 200 000 habitants !) est déjà sur la table pour 2032.

Afin d’encourager les candidatures, le CIO assume désormais une assistance aux villes envisageant de se présenter et prend en charge à la fois les déplacements de leurs représentants à Lausanne et ceux sur place de la commission d’évaluation.  » Jusqu’ici, le CIO a péché dans sa communication, pense Kévin Bernardi. Il n’a pas su assez faire passer le message vers les pouvoirs publics ou les populations que les choses changeaient. Des villes comme Boston ou Hambourg avaient de très belles candidatures mais leurs habitants avaient l’image de tout ce qui n’a pas fonctionné depuis tant d’années. On pourrait penser que Paris et Los Angeles sont le début d’une nouvelle ère, d’un retour à la normale après beaucoup d’excès, mais on n’y est pas encore.  »

Un enjeu démocratique

Car si les démocraties traînent des pieds, il peut paraître plus confortable d’installer les Jeux dans des pays où l’opposition interne est inexistante : même si, jusqu’ici, le CIO, au contraire de la Fifa (Fédération internationale de football), a résisté au Qatar en raison de la chaleur et de la taille du pays, la démonstration de force de Vladimir Poutine à Sotchi et l’attribution des Jeux d’hiver 2022… à Pékin, où il n’y a ni neige ni montagne, ont encore brouillé le message. Si les Jeux ne redeviennent pas plus éthiques, on risque bien de les voir filer à Doha, Bakou ou Istanbul.  » Le problème n’est pas que politique, rappelle Kévin Bernardi : ces pays sont aussi de nouveaux marchés. Quand la Chine dit au CIO « Si vous nous donnez les Jeux d’hiver, le lendemain, 300 millions de Chinois se mettront au ski », elle emporte le morceau !  »

L’enjeu du triple  » win  » est donc grand pour tout le monde. Paris et Los Angeles arborent des budgets normaux pour ce type d’événements (entre 5,5 et 6,5 milliards d’euros) qui, la plupart du temps, n’étaient pas respectés.  » Cette fois, s’il y a dérapage, ce sera sur un poste que personne ne peut prévoir si longtemps à l’avance : la sécurité « , souligne le consultant français. Athènes et tellement d’autres n’avaient pas préparé l’après-Jeux.  » Désormais, il y a une vision à long terme dans les candidatures prises en compte, affirme Thierry Zintz : s’il est difficile d’objectiver les dividendes économiques, l’impact social doit être prioritaire, comme à Paris.  »  » Plus vite, plus haut, plus fort  » est la devise des Jeux olympiques. Qui pourraient la troquer contre une profession de foi nouvelle :  » Plus durables, plus humains, plus éthiques « .

Par Jean-François Lauwens.

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