Qui arrêtera Marine Le Pen ?

La France sous le choc ? Même un enfant de huit ans aurait pu prévoir le succès du Front national aux dernières élections régionales. C’est plutôt l’étonnement des éditorialistes qui étonne. Tous les sondages, cette fois, avaient préparé le terrain.

Depuis 25 ans, un grand voile recouvre les problèmes liés à la délinquance, l’immigration, le chômage. En France comme chez nous.

Les fameuses « bonnes questions, mais mauvaises réponses » (Laurent Fabius) du Front national ont enfermé gauche et droite classiques dans le déni. Les partis traditionnels sont tétanisés par des thématiques qui renvoient aux « pires heures de notre histoire ». La fille Le Pen fait choux gras, qui les aborde sans complexe.

L’opinion publique a été enfumée par une presse aveugle et sourde voyant systématiquement une causalité exclusivement sociale dans les « incivilités » en développant une approche culpabilisatrice sur les épaules des seules autorités en place et refusant d’aborder les problèmes de front. Une nouvelle version du « Sanglot de l’homme blanc », pamphlet publié par Pascal Bruckner en 1982. La faute à la France, encore et toujours.

La diabolisation permanente du FN lui a donné une virginité de martyr. Laurent Joffrin le patron de Libération en a reconnu la contre-productivité. En parallèle, le FN a squatté les plateaux de télé sans réels contradicteurs, tel est le paradoxe de cette onde de choc. Marine Le Pen ne fait qu’une bouchée de journalistes connaissant mal leur dossier ou qui ont peur de l’affronter. A moins qu’ils ne partagent son avis, reproche fait à RMC notamment.

L’erreur diabolique de Nicolas Sarkozy dès 2007 a été de s’aventurer sur les terres du Front national, prétendant apporter des réponses à une opinion inquiète. Les frontières, la criminalité, les territoires perdus de la République ? Je m’en occupe. On connaît la suite. En l’absence d’améliorations quantifiables, les électeurs ont vite repris le chemin de l’original. Les promesses non tenues en matière de flux migratoires et le maintien en l’état des prébendes, des régimes spéciaux de retraite, des 35 heures et du très épais Code du travail ont détourné le peuple français du « rempart contre l’extrême droite » qui traîne aujourd’hui toutes les marques de casseroles. Une nuit des longs couteaux l’attend au siège de Les Républicains, un parti plus menacé que jamais d’implosion.

D’autant que dans le même temps, « Marine » a recentré le parti de son père pour le débarrasser de ses scories fascistes et antisémites. Les crânes rasés ont été priés de prendre la porte.

François Hollande, candidat improbable, profitant de la chute de DSK et du ras-le-bol qu’inspirait Sarkozy, pas du tout taillé pour la fonction présidentielle, s’est contenté d’observer le « suicide français », décidant de ne rien décider. Le chômage a poursuivi sa course (+ 40.000 sans-emplois, rien qu’en novembre). L’histoire ne se souviendra que du mariage pour tous. C’est dire la minceur de son bilan.

Le spectre des migrants et le fiasco de l’attentat du 13 novembre seulement 9 mois après Charlie Hebdo et la supérette kascher ont fait le reste. Chômage, terrorisme, sécurité et migration sont les trois premières motivations du vote de dimanche dernier. Ils correspondent aux tabous français autour desquels un débat serein semble impossible. Le FN s’y engouffre avec délectation. Marion Maréchal le Pen se fiche du « cordon sanitaire » idéologique. Elle l’a répété : un homme en djellaba n’a rien à faire en France. Elle n’a pas à surveiller son langage, c’est une force considérable. Comme Gilbert Collard qui propose de mettre les vrais républicains au zoo. Chez Les Républicains, justement, seule Nadine Morano a franchi le pas avec la « race blanche ». Elle a été privée de campagne régionale.

La faiblesse du programme économique du FN ? C’est un fait, mais ses électeurs ont d’autres préoccupations. Ils s’en fichent comme d’une guigne.

Marine Le Pen, qui veut récupérer les principales Souverainetés (monnaie, législation, frontière), a toujours un ou deux coups d’avance sur « l’UMPS ».

Les diatribes de « Marine la folle-dingue » contre Schengen depuis des années ? L’implosion du système sous nos yeux lui donne raison. L’UE admet l’indispensabilité de plus de contrôles aux frontières. On remonte les clôtures et les barbelés.

Un frein aux migrants ? Idée insupportable il y a quelques mois pour la France et l’Allemagne, voici que le couple franco-allemand s’y résout. Après que Berlin en ait enregistré 960.000 cette année sans contrôle suffisant, de l’aveu même du ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière. Les passeports syriens se vendent à l’encan.

L’Euro ? Les Français qui ont vu comme nous leur pouvoir d’achat fondre n’y trouvent plus leur compte. Après la longue nuit de la monnaie européenne si peu protectrice, ils rêvent comme la présidente du FN de leur ancien franc. Ah ! récupérons l’arme de la dévaluation compétitive et la croissance économique redémarrera…

L’Union européenne ? La crise grecque a achevé de convaincre le Français des errements de l’Europe. Le dumping social des Est-Européens est une réalité. Le marché de l’UE est un moulin pour les exportateurs émergents, sans réciprocité automatique. La super-technocratie bruxelloise n’apprend rien. Elle vient de conclure un jeu de dupe avec l’islamo-conservateur Erdogan, meilleur allié de l’EI qui lui vend du pétrole brut à bas prix. Le deal consiste à échanger le maintien de 2 millions de réfugiés syriens contre 3 milliards d’euros, des visas pour les Turcs et une énième promesse à la Turquie d’intégrer l’Union. De quoi alimenter le fantasme du Grand remplacement. Même si Erdogan n’a nullement l’intention d’arrimer son mini-Empire ottoman à l’UE, quel Français voudrait dans ces conditions d’une Europe encore plus fédérale ?

La comparaison avec la Corée du Sud, 55 millions d’habitants, tigre asiatique champion du high-tech, fait rêver. Pourquoi la France, avec 67 millions d’âmes, ses écoles d’ingénieur renommées, ses 300 fromages et son made in France, ne pourrait pas se débrouiller toute seule, sans l’UE ? Martin Schultz, le président du Parlement européen l’a compris : « L’Union européenne est en danger. Personne ne peut dire si l’UE existera encore en l’état dans dix ans », a-t-il déclaré dans une interview publiée mardi par le quotidien allemand Die Welt. Il estime à juste titre que la construction européenne n’est « pas sans alternative ».

Pourquoi nos dirigeants semblent toujours avoir un métro de retard ?

Même en géopolitique, le FN fait mouche. L’alliance avec Poutine contre Daesh ? Impensable jusque récemment pour Hollande, adepte de la religion des droits de l’homme contre le nouveau Tsar. 130 morts après, le Président français et son clone Obama fait un virage à 180°. Il collabore étroitement avec le despote pétersbourgeois. Principe de réalité. Là aussi, Marine Le Pen, forte d’une absence totale de scrupule, le recommandait depuis longtemps.

A chaque fois, il semble jusqu’ici que les événements donnent raison à la fille de Jean-Marie.

Qui arrêtera le Front bleu marine ? On a beau se frotter les yeux, la mine contrite des commentateurs politiques ne prêtent pas à l’optimisme.

Même si le FN ne remporte aucune présidence de Région dimanche prochain, la victoire est nette.

Soit on combat le FN sur son propre terrain et on se voit reprocher de faire son jeu, soit on garde sa « dignité » républicaine et on est accusé d’évacuer les vrais problèmes des gens. Un jeu perdant-perdant particulièrement toxique.

Ce dont les Français (et les Belges d’ailleurs) ont besoin, ce n’est pas d’un énième éditorial effarouché à propos d’un FN ne respectant pas les « valeurs démocratiques », mais des actes concrets.

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