Vladimir Poutine © REUTERS

Que se passe-t-il avec Vladimir Poutine?

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

Le Kremlin a bien camouflé le déclin de la puissance russe et peut-être un peu ralenti, mais ne l’a pas arrêté du tout, écrit Jonathan Holslag, professeur à la VUB.

La situation en Russie n’est pas rose. Après que le GRU, le plus grand service de renseignement russe, ait été tourné en ridicule aux Pays-Bas, la semaine dernière, le lancement d’une fusée Soyouz a encore plus mal tourné. Selon un sondage du bureau de recherche Levada, la confiance envers le président Vladimir Poutine est maintenant tombée à 39%. Le soutien à son parti, Russie unie, aurait diminué encore plus. Qu’est-ce qui se passe ?

La Russie reste avant tout une superpuissance sur le retour. Vladimir Poutine donne l’impression depuis 2000 que la puissance russe s’est accrue et son intervention en Ukraine a exposé la vulnérabilité de la Russie de manière très conflictuelle, mais le fait est que la Russie a depuis lors vu sa part dans l’économie mondiale, et même dans les dépenses mondiales de défense, diminuer. Depuis l’entrée en fonction de Poutine, Moscou a surtout dû faire face à l’expansion de l’Europe à l’Ouest et de la Chine à l’Est.

Le Kremlin a camouflé l’affaiblissement de la puissance russe et l’a peut-être un peu ralenti, mais pas du tout arrêté. Ces dernières années surtout, les choses sont allées de mal en pis. Si la production économique brute par habitant a atteint 11.600 dollars en 2008, elle s’est depuis réduite à 8.700 dollars, soit presque autant qu’en Chine. L’industrie manufacturière russe a perdu du terrain par rapport à presque tous ses concurrents. Les sanctions économiques occidentales qui ont suivi le conflit en Ukraine ont toujours un impact dévastateur sur l’économie russe.

Au début, le Kremlin semblait être en mesure de faire face à cette situation. Pour de nombreux citoyens, tout allait mieux que la période horrible qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique. La population vieillissante, qui compte de nombreux pauvres dans les petits villages ruraux, est moins encline à protester et s’avère être une proie facile pour la propagande. Un autre atout était la dépendance de l’Europe à l’énergie russe. Entre la prise de pouvoir de Poutine en 2000 et l’éclatement de la crise ukrainienne en 2013, les exportations énergétiques vers l’Europe sont passées de 20 milliards de dollars par an à près de 200 milliards de dollars. Poutine et ses fidèles tenaient ainsi un levier considérable entre leurs mains.

Aujourd’hui, la situation est quelque peu différente. Les manifestations de 2017 et 2018, au cours desquelles plus de 100.000 Russes sont descendus dans la rue, semblent avoir été un tournant. Depuis lors, les réseaux sociaux bourdonnent de rumeurs de corruption, et il y a eu de petites émeutes permanentes ici et là. L’agitation larvée est grande.

Poutine cherche ardemment des solutions économiques, par exemple en exportant davantage d’énergie vers la Chine et en imposant le nouveau pipeline, Nord Stream. Reste à voir si cela fonctionnera. Entre 2013 et 2016, les exportations d’énergie sont passées de 372 à 124 milliards de dollars, mais ont encore augmenté de 77 milliards de dollars entre 2016 et 2017. C’est donc un peu une bonne nouvelle pour Poutine – et les nouveaux pipelines ne sont pas encore terminés. D’autre part, le Kremlin se prépare à des émeutes. Les dépenses de sécurité intérieure ont été augmentées. Il semble également plus probable que le gouvernement suivra l’exemple de l’autoritarisme numérique de la Chine et qu’il voudra garder un oeil sur les fauteurs de troubles urbains grâce à un réseau avancé de caméras, de reconnaissance faciale, etc.

Il y a peu de chances que Poutine continue après les élections de 2024. Nombreux sont ceux qui considèrent le ministre de la Défense Sergueï Shoigu comme un successeur possible. Il est assez bien vu de la population et, en même temps, il peut assurer la position de Poutine et de ses fidèles. Mais cela reste incertain, et c’est cette incertitude quant à une transition de pouvoir acceptable qui rend la situation intérieure russe dangereuse.

Tant qu’une ouverture ne sera pas créée en Occident, l’incertitude interne poussera idéologiquement et stratégiquement Moscou plus loin vers la Chine, contre les Américains qui augmentent la pression sur les deux pays. L’autoritarisme dur devient donc presque une prophétie autoréalisatrice : autoritarisme dur à l’intérieur et guérilla contre l’Occident à l’extérieur. Bien que la Russie soit loin d’être en mesure d’égaler les dépenses de défense de l’Occident, elle dispose d’un large arsenal d’armes relativement bon marché qu’elle peut encore utiliser pour exploiter de façon vicieuse.

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