Le fleuve Han traverse Séoul, ville de dix millions d'habitants où les gratte-ciels modernes et la pop culture côtoient les palais et les marchés. © ED JONES/BELGAIMAGE

Quatre jeunes Belges installés à Séoul donnent leur vision du « modèle » coréen

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Musique, gastronomie, haute technologie… : la culture et le dynamisme du pays du Matin calme fascinent.

Ils s’appellent Julian, Frederik, Marie, Patrick. Points communs : ils sont jeunes, Belges et vivent en Corée du Sud. Les deux premiers sont des célébrités au pays du Matin calme. Julian Quintart, 31 ans, originaire d’Aywaille, est même une véritable star sous le 38e parallèle. Arrivé en Corée en 2004, à l’âge de 17 ans, dans le cadre d’un échange d’étudiants du Rotary, il s’est retrouvé dans une école d’une soixantaine d’élèves, à la campagne, au milieu des champs de riz.  » Ma famille d’accueil ne parlait pas un mot d’anglais, se souvient-il. Je me suis mis à apprendre le coréen, ce qui a facilité mon intégration.  »

Ce parcours original pour un jeune étranger a retenu l’attention d’une télévision coréenne. Elle a couvert la vie de Julian pendant plusieurs mois, séquences diffusées dans le JT de la chaîne. L’adolescent belge a poursuivi ses études à Séoul, mais a évité la fréquentation d’autres expatriés.  » Le fait que je parle couramment la langue du pays a épaté et charmé les Coréens. Cela m’a ouvert les portes des médias. J’ai été recruté comme chroniqueur dans deux émissions, ce qui m’a rendu populaire. J’ai alors décidé de rester en Corée, où j’ai animé jusqu’à six émissions par semaine ! J’ai notamment fait le guignol pendant deux ans dans un programme où je testais des plats coréens. Mais j’ai aussi participé à une émission sérieuse, qui traitait de sujets de société largement tabous ici, comme le mariage gay ou la peine de mort.  » Touche-à-tout, Julian multiplie ensuite les expériences professionnelles : mannequin, acteur dans des séries télés, DJ, producteur de disques, organisateur de soirées et autres événements.

Le taux élevé de pollution est l'une des faces sombres du
Le taux élevé de pollution est l’une des faces sombres du « rêve » coréen.© OLIVIER ROGEAU

Albums et concerts sold out

Le chanteur et musicien gantois Frederik Sioen (nom d’artiste : Sioen), 39 ans, se distingue, lui, sur la scène  » indé  » coréenne. Un succès dû au hasard : il y a dix ans, il a la surprise de constater, en cherchant son nom sur les réseaux sociaux naissants, qu’il a de nombreux fans en Corée. Explication : une boîte de pub coréenne a utilisé l’une de ses chansons, Cruisin, dans une publicité télé pour une marque de vêtements.  » Repris en radio, ce single est devenu un hit en Corée, raconte-t-il. Un manager coréen m’a alors organisé six concerts solo dans le pays, tous sold out. Assailli par des admirateurs qui me réclamaient des autographes, j’ai connu une vraie « Beatlemania » coréenne !  » Depuis 2010, Sioen passe plusieurs mois par an en Corée. Il y donne des concerts et a sorti quatre albums (le dernier en avril), dont un avec des musiciens locaux. En outre, il étudie le coréen à l’université.  » S’exprimer avec aisance en coréen est un atout pour se faire un nom dans la musique.  » Si son style musical alternatif n’a rien de commun avec la K-pop, l’usine à succès des boys bands coréens, Sioen est, aujourd’hui, beaucoup plus connu en Corée qu’en Flandre.

Arrivée en Corée du Sud en 2016, Marie Boes est originaire d’Ypres. Etudiante en design industriel à Anvers et Nottingham, elle a travaillé comme ingénieure de conception à Londres et a rencontré son futur mari, un Coréen, lors d’un périple asiatique de trois mois. Depuis 2017, elle est, pendant les mois d’hiver, monitrice de ski et de snowboard dans la station coréenne de Vivaldi Park, au centre de la péninsule.  » J’enseigne, en anglais, la pratique du ski aux touristes, venus pour la plupart de Hong Kong, de Singapour et de Malaisie, précise-t-elle. Le reste du temps, je sillonne la Corée du Sud pour alimenter mon blog Be Marie Korea. Mon objectif est d’inciter les étrangers à sortir de Séoul et Busan, car il y a dans le pays de superbes zones rurales à visiter.  » Si Marie a des connaissances dans le milieu des expatriés, elle avoue avoir peu d’amis coréens :  » La barrière de la langue est un obstacle aux relations sociales.  »

La cuisine de rue fait partie du paysage urbain à Séoul, où l'on trouve à manger à toute heure.
La cuisine de rue fait partie du paysage urbain à Séoul, où l’on trouve à manger à toute heure.© OLIVIER ROGEAU

Entre tradition et postmodernité

Formé dans une école hôtelière de Louvain, Patrick Asselborn est arrivé dans la capitale coréenne après un détour par Shanghai, où une société japonaise propriétaire de restaurants italiens l’a embauché.  » Mes débuts en Chine n’ont pas été faciles, reconnaît-il. J’avais appris le chinois, mais j’étais le seul Occidental de la boîte et je ne parlais pas le japonais. Je me suis adapté et j’ai grimpé les échelons en cuisine. La société m’a alors proposé un poste à Séoul, où elle ouvrait un restaurant. J’ai accepté. Quatre ans plus tard, j’ai rejoint un conglomérat coréen actif dans la restauration, la boulangerie-pâtisserie et le chocolat. Seul chef cuisinier belge de Corée, je gère la cuisine d’un restaurant et j’y développe de nouveaux produits.  »

Patrick se dit surtout impressionné par l’effervescence de la vie quotidienne à Séoul :  » Ici, tout le monde est connecté, tout est livrable à domicile et tout va très vite.  » Marie confirme :  » La ville ne dort jamais. De nombreux services sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre : dépanneurs, boutiques, restos, gymnases, salles d’informatique…  » Julian ne cache pas, lui aussi, sa fascination pour le dynamisme coréen :  » J’aime la vitalité et la créativité intenses qui règnent ici. Tout est en perpétuel mouvement. Dans le quartier où j’habite, de nouvelles enseignes apparaissent chaque mois. Et pour cause : en Corée, on peut monter un business en quelques heures.  » Sioen nuance :  » La Corée balance entre tradition et postmodernité : en ville, il n’est pas rare de voir une vieille herboristerie au pied d’un building high-tech.  » Julian estime que les Coréens sont les Italiens de l’Asie :  » A Séoul, on consacre beaucoup de temps à manger et à boire. Les jeunes font la fête jusqu’au petit matin dans les bars et les boîtes de nuit branchées.  » Lieux de rendez-vous phares de la vie nocturne : les quartiers d’Itaewon, de Hongdae et de Gangnam-gu, ou encore celui du Dongdaemun Design Plaza, le bâtiment néofuturiste de l’architecte Zaha Hadid.

Julian Quintart, DJ, organisateur d'événements, mannequin, est célèbre grâce à la télé.
Julian Quintart, DJ, organisateur d’événements, mannequin, est célèbre grâce à la télé.© DR

Les jeunes rêvent d’une vie différente

 » Pour les étrangers qui s’installent en Corée, dont beaucoup sont des professeurs d’anglais, le choc culturel est rude, souligne Marie. L’ambiance de travail, les structures des entreprises et les échanges avec les collègues et supérieurs sont très différents de ce qu’on connaît en Occident.  » Julian complète :  » Des expatriés sont parfois surpris par le comportement free style de certains de leurs interlocuteurs coréens, qui ont tendance à improviser, à se mettre à la tâche à la dernière minute, quand ils sont sous pression.  »

L’an dernier, après cinq ans de débats, la durée légale de travail hebdomadaire en Corée du Sud a été réduite à 52 heures, contre 68 heures jusqu’alors. Les Sud-Coréens ont droit à 15 jours de congé par an, mais ils n’en prennent en réalité que huit ou neuf en moyenne.  » Les habitudes sont en train de changer, remarque toutefois Julian : les jeunes souhaitent avoir une existence différente de celle de leurs parents et grands-parents, qui étaient obsédés par la survie et sacrifiaient tout pour la nation et la famille. La nouvelle génération estime que le bien-être et les loisirs doivent occuper une place importante dans la vie. La Corée a longtemps eu besoin d’employés obéissants, mais les relations dans le milieu du travail sont remises en cause par la jeunesse.  »

Marie Boes, monitrice de ski dans une station coréenne, sillonne le pays pour alimenter son blog.
Marie Boes, monitrice de ski dans une station coréenne, sillonne le pays pour alimenter son blog.© OLIVIER ROGEAU

La vague culturelle coréenne

 » Dans les secteurs de la musique, du cinéma, de la gastronomie, de la mode, de l’art contemporain, la Corée du Sud est au coeur d’un monde en ébullition, s’émerveille Julian. On ressent fortement cette énergie positive quand on vit ici.  » En quelques années, la hallyu, la vague culturelle coréenne, a submergé tous les continents. Cantonnée dans un premier temps à la Chine et au Japon, la pop culture coréenne fait désormais fureur dans toute l’Asie, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord, au Chili, en Europe… Principales composantes de cette vague : les séries TV (en Asie), la bande dessinée ( manhwa) et, surtout, la K-pop. Le phénomène provoque l’envie chez des jeunes de tous pays d’apprendre la langue coréenne et élève la Corée du Sud au rang de terre promise. Parallèlement, la cuisine coréenne rencontre un succès international croissant. Elle n’est plus seulement connue à l’étranger pour sa tradition du bulgogi (le barbecue coréen). Les produits fermentés, comme le kimch’i, sont désormais eux aussi appréciés.  » La Corée du Sud est devenue, par sa cuisine et sa musique, une puissance culturelle de premier plan « , poursuit Julian.

De fait, près de sept ans après l’apparition du phénomène Gangnam Style, le tube planétaire du chanteur Psy, les boys bands coréens aux chorégraphies millimétrées sont adulés à travers le monde et les concerts de K-pop font salle comble.  » Ces groupes ont une stratégie marketing ultrasophistiquée, relève Marie. BTS, les rois de la K-pop, interagissent avec le public sur scène, mais aussi entre les spectacles. Ils organisent de nombreux événements pour leurs fans.  » Les jeunes vedettes formatées et les exportations qui leur sont associées – vêtements, produits cosmétiques ou alimentaires – sont des atouts économiques majeurs pour le pays. A lui seul, BTS, premier boys band de K-pop à se placer en tête du classement américain Billboard, permet à la Corée du Sud de bénéficier de près de quatre milliards de dollars de retombées annuelles.  » Voilà pourquoi la culture coréenne, K-pop en tête, est soutenue par l’Etat « , signale Julian.

Patrick Asselborn, seul chef belge de Corée du Sud, gère la cuisine d'un restaurant de Séoul.
Patrick Asselborn, seul chef belge de Corée du Sud, gère la cuisine d’un restaurant de Séoul.© DR

Scandales sexuels dans la K-pop

Toutefois, le milieu des boys bands est éclaboussé depuis quelques mois par plusieurs scandales sexuels – viols, vidéos porno diffusées sans le consentement de la partenaire, incitation à la prostitution… – qui ont pris la dimension d’affaires d’Etat. Des stars ont été inculpées, ont présenté des excuses publiques, ont annoncé leur retrait du monde du spectacle. En l’espace de quelques jours, ces célébrités deviennent les parias de tout le pays. Commentaire de Julian :  » Les jeunes fans divinisent leurs idoles. Les Coréens estiment que les membres des boys bands sont devenus des stars grâce au public, et qu’ils doivent donc être infaillibles.  »

 » Depuis la petite enfance, une compétition permanente imprègne le système éducatif et conduit de nombreux adolescents au suicide « , reprend Sioen. Autre phénomène : la jeunesse coréenne, consciente que la beauté est un critère de réussite dans le pays, voue un culte à l’apparence : il faut être mince, avoir une peau blanche, de grands yeux, un nez haut… Un tiers des Coréennes âgées de 19 à 29 ans ont déjà subi une intervention de chirurgie plastique – élargissement des yeux, rhinoplasties, augmentations mammaires… – et Séoul compte pas moins de 500 cliniques spécialisées.  » De nombreux parents n’hésitent pas à offrir à leur enfant une opération chirurgicale pour ses 16 ans ou la fin de ses études secondaires « , note Sioen.

Sioen, chanteur, musicien, s'est fait un nom sur la scène
Sioen, chanteur, musicien, s’est fait un nom sur la scène  » indé  » coréenne depuis dix ans.© JELLE VERMEERSCH

Contre les « poussières »

Pays occupé et humilié par le Japon (de 1905 à 1945), ravagé par la guerre avec la Corée du Nord (1950-1953) et dépourvu de ressources naturelles, la Corée du Sud est devenue la 11e puissance économique mondiale. Elle est passée, de 1953 à aujourd’hui, du niveau de vie du Soudan à celui des pays européens les plus avancés. Revers de la médaille : plusieurs décennies de dictature (jusqu’aux années 1980) et un capitalisme qui fait la part belle aux chaebols, les grands conglomérats familiaux (Samsung, Hyundai, LG…).  » Le capitalisme est, bien avant le christianisme et le bouddhisme, la première religion du pays « , conviennent Marie et Sioen. Autre conséquence de la croissance économique : le taux élevé de pollution.  » Une à deux fois par an, la pollution par les particules fines, appelées ici « poussières », est très alarmante à Séoul, constate Marie. On doit porter des masques et, de préférence, ne pas aller à l’extérieur !  »

Depuis le début du printemps, le ciel de la capitale est voilé par ces nuages de  » poussières « .  » Comme d’autres habitants, je me suis équipé d’un purificateur d’air « , avoue Sioen. Des médias et la population incriminent volontiers le voisin chinois et ses industries polluantes. Toutefois, des voix reconnaissent que la Corée devrait elle-même changer ses habitudes afin de réduire ses sources d’émissions : centrales au charbon, véhicules hors d’âge…  » La pollution dont nous souffrons vient à 50 % de Chine, à 50 % de Corée « , évalue Marie.  » Séoul a des transports publics efficaces, propres, pas trop chers, mais cela n’empêche pas un trafic routier intense en ville et des bouchons quotidiens « , déplore Patrick.  » Les autorités ont voulu interdire les gros camions et voitures les plus polluantes, mais cela a provoqué pendant plusieurs jours un chaos qui a mécontenté tout le monde, s’exclame Sioen. La pollution atteint des seuils inimaginables en Europe. C’est la face la plus sombre du « modèle » coréen.  »

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