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Qu’y a-t-il dans le plan de Trump pour le Moyen-Orient ?

Le Vif

Le président américain Donald Trump a dévoilé mardi un plan de paix qu’il qualifie d’historique pour le Moyen-Orient. Mais a-t-il des chances de succès au vu des réactions véhémentes qu’il a déjà suscitées et que contient-il vraiment? Le point.

Donald Trump avait confié au printemps 2017 à son gendre et conseiller Jared Kushner, novice en politique, l’épineuse tâche de concocter une proposition susceptible d’aboutir à « l’accord ultime » entre Israéliens et Palestiniens. L’objectif: réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué. 3 ans plus tard, ce fameux plan vient d’être dévoilé.

Depuis les salons de la Maison Blanche, Trump a vanté, sur une tonalité résolument optimiste, un projet « gagnant-gagnant » avec une solution réaliste à « deux Etats » et assorti d’un volet économique de 50 milliards de dollars d’investissements internationaux sur dix ans. L’accord – qui prévoit un Etat très conditionnel pour les Palestiniens, l’annexion des colonies en Cisjordanie par Israël et enterre le droit au retour des réfugiés palestiniens – a réjouit l’Etat hébreu à qui accorde nombre de concessions et a été rejeté avec véhémence par les autorités palestiniennes.

Qu'y a-t-il dans le plan de Trump pour le Moyen-Orient ?
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Que contient-il exactement ? Voici les principaux points du plan Trump

« Solution réaliste à deux Etats »

Les Palestiniens auraient droit à un Etat, mais sous conditions. Ils doivent reconnaître Israël comme « Etat juif », « rejeter le terrorisme sous toutes ses formes » et renforcer leurs institutions. S’ils acceptent de négocier et accèdent in fine à un tel Etat, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a accepté le principe, il sera « démilitarisé »: Israël resterait responsable de la sécurité et du contrôle de l’espace aérien à l’ouest de la Vallée du Jourdain, tandis que le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, serait « désarmé ».

Les colonies annexées

Les Etats-Unis sont prêts à reconnaître sans délai l’annexion par Israël à son territoire des colonies qu’il a implantées en Cisjordanie occupée. Quelque 30% de la Cisjordanie reviendrait ainsi officiellement au sein de l’Etat hébreu. Washington est notamment prêt à acter la souveraineté d’Israël sur la Vallée du Jourdain, langue de terre stratégique à la frontière jordanienne. Un futur Etat palestinien sur ces tracés serait donc nettement en deçà de ce à quoi aspirent les Palestiniens, à savoir la totalité des Territoires occupés depuis 1967 par Israël.

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Donald Trump a toutefois insisté, carte à l’appui, sur le fait que les Palestiniens verraient leur territoire « doubler » par rapport à aujourd’hui. Israël s’engagerait de son côté à geler le développement de toute colonie pendant quatre ans — durée pendant laquelle les Palestiniens pourraient donc revenir sur leur rejet actuel de ce plan.

Jérusalem, une ou deux capitales?

Le président Trump, qui avait déjà infléchi la ligne américaine en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’Etat israélien, a affirmé mardi que Jérusalem allait « rester la capitale indivisible d’Israël ». Mais il a semblé lui-même contredire cette promesse en assurant, d’un même souffle, qu’un futur Etat palestinien pourrait avoir sa capitale, Al-Qods, dans « Eastern Jerusalem ».

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Jerusalem est © belga

Si cela peut être compris comme Jérusalem-Est, c’est-à-dire la partie occupée et annexée par Israël en 1967 que les Palestiniens revendiquent comme capitale de leur Etat, il semble que l’administration Trump songe plutôt à leur laisser seulement des faubourgs dans l’est de la Ville sainte — c’est-à-dire des localités, comme Abou Dis, techniquement situées à Jérusalem, mais du côté oriental de la barrière de sécurité séparant Israël des Territoires palestiniens. Sur la question des lieux saints, le président américain a appelé au maintien du statu quo sur l’esplanade des mosquées, aussi appelée Mont du Temple par les Juifs, en maintenant le contrôle de ce lieu, où est notamment située la mosquée al-Aqsa, par la Jordanie.

Le futur état de Palestine tel que proposé dans le plan Trump
Le futur état de Palestine tel que proposé dans le plan Trump © AFP

Un Etat « d’un seul tenant »

Les Etats-Unis proposent un Etat palestinien « d’un seul tenant », ce qui peut s’avérer être un casse-tête pour ce territoire morcelé par les colonies israéliennes et surtout constitué de deux blocs séparés par Israël, la bande de Gaza côté mer Méditerranée et la Cisjordanie côté oriental. Le plan Trump propose donc « des réseaux de transport modernes et efficaces pour des déplacements faciles » aussi bien pour les personnes que pour les biens. Avec notamment une liaison ferroviaire à grande vitesse entre Gaza et la Cisjordanie.

Le très sensible sort des réfugiés

Donald Trump a voulu enterrer le droit des réfugiés palestiniens à rentrer sur le sol israélien s’ils appartiennent à des familles qui ont fui ces terres notamment lors de la guerre de 1967. Cette question était un vrai noeud dans toutes les tentatives précédentes de règlement pacifique, tant Israël n’en voulait pas.

« Les réfugiés palestiniens auront le choix entre vivre dans le futur Etat palestinien, s’intégrer dans les pays où ils résident actuellement, ou s’installer dans un pays tiers », affirme la Maison Blanche. Les Etats-Unis, qui ont cessé de contribuer à l’agence de l’ONU pour ces réfugiés (UNRWA) sous l’impulsion du milliardaire républicain, promettent de « travailler avec la communauté internationale » pour aider « généreusement » ce processus de réinstallation.

Le plan est-il voué à l’échec ?

Selon la plupart des observateurs, la réponse est oui, tant il favorise Israël et impose des conditions draconiennes à la naissance d’un Etat palestinien. Ce qui fait dire à certains que l’objectif stratégique américano-israélien est donc de modifier, sur le long terme, les paramètres pour un règlement pacifique du conflit dans un sens favorable à l’Etat hébreu. Et d’instaurer une politique du fait accompli.

« Ce plan de paix est comme tant d’autres aventures trumpiennes: il propose une solution à un problème que nous n’avions pas et, ce faisant, rend le problème initial beaucoup plus complexe », selon Aaron David Miller du cercle de réflexion Carnegie Endowment for International Peace.

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Beaucoup critiquent ainsi la mise en scène pour dévoiler le contenu des 80 pages concoctées dans la plus grande discrétion depuis près de trois ans par la Maison Blanche. Ainsi on a vu le président des Etats-Unis flanqué du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu tout sourire, prenant la parole l’un après l’autre comme pour en revendiquer la double paternité. En l’absence de tout représentant palestinien.

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« Les Palestiniens l’ont d’ailleurs rejeté d’un revers de la main, tout comme les colons israéliens qui s’opposent à toute forme de souveraineté palestinienne », dit à l’AFP Steven Cook, du cercle de réflexion Council on Foreign Relations. « Cela ne fait en aucun cas avancer la cause de la paix », ajoute-t-il. Pour Michele Dunne, du think tank Carnegie Endowment for International Peace, « rien ne montre que ce plan puisse mener à des négociations ». « C’était coordonné avec une seule partie, et semble n’avoir qu’un objectif politique », explique à l’AFP Michele Dunne: « il s’agit d’aider Netanyahu dans sa lutte politico-judiciaire (…) et de consolider le soutien pour Trump parmi les électeurs pro-Israël ».

Pour les spécialistes de ce conflit inextricable, tout n’est cependant pas à jeter dans la « vision » élaborée par Jared Kushner, conseiller et gendre du milliardaire républicain.

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« Au niveau tactique, il y a quelques bonnes idées », reconnaît Steven Cook. Robert Satloff, du Washington Institute for Near East Policy, « félicite » même les auteurs « pour l’injection d’un peu de réalisme dans la lecture conventionnelle de ce conflit ». « Il est réaliste de dire que la Vallée du Jourdain doit être la barrière sécuritaire d’Israël. Il est réaliste de dire que des milliers d’Israéliens en Cisjordanie ne doivent pas être forcés à déménager », estime-t-il sur Twitter. Mais selon lui, ces principes « réalistes » sont détournés par l’administration Trump pour répondre à toutes les exigences israéliennes: s’agissant de la Vallée du Jourdain, il n’est plus question de simple sécurité, mais de souveraineté israélienne; et toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie peuvent être annexées.

Mahmoud Abbas
Mahmoud Abbas© AFP

Autant de repoussoirs pour l’Autorité palestinienne. « S’il ne faut retenir qu’une chose, c’est que ce plan place la frontière orientale d’Israël sur la Vallée du Jourdain », insiste Michele Dunne. « Tout le reste, ce sont des détails. Tout ce qui est donné aux Palestiniens n’est que provisoire, conditionnel et éloigné dans le temps et donc probablement inatteignable ».

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D’autant plus qu’un état ne verrait le jour qu’en échange d’un renoncement aux armes et d’une reconnaissance d’Israël comme Etat juif — autant de conditions difficiles à remplir tant que le Hamas contrôle Gaza. « Le Hamas a un droit de veto », constate Henry Rome, de la société d’analyse des risques Eurasia Group. Le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, enclave palestinienne de deux millions d’habitants séparée géographiquement de la Cisjordanie, a d’ailleurs rejeté la proposition américaine.

Quel est l’horizon des Palestiniens?

« Aussi faibles soient-ils, ils peuvent toujours dire non », relève Michele Dunne. Mais selon cette ex-diplomate, le plan Trump risque d’accélérer la transition d’une lutte pour un Etat indépendant « à un combat pour les droits sur le modèle de l’Afrique du Sud » pendant l’apartheid.

« Les Palestiniens seront tentés de rejeter d’emblée ce plan, mais ils devraient résister à une telle tentation et accepter le principe de négociations directes pour plaider leur cause », prévient l’ancien diplomate américain Richard Haass. « Un rejet total pourrait saper les derniers espoirs d’aboutir à une solution à deux Etats, aussi modestes soient-ils. »

Mahmoud Abbas
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Martelant sa conviction que les Palestiniens méritaient « une vie meilleure », Donald Trump leur a aussi lancé une mise en garde. Il a annoncé avoir envoyé une lettre à Mahmoud Abbas l’exhortant à saisir « une chance historique », et peut-être « la dernière », d’obtenir un Etat indépendant. Pour Robert Malley, ancien conseiller de Barack Obama et président de l’International Crisis Group, le message adressé aux Palestiniens est clair et sans nuances: « Vous avez perdu, il va falloir vous y habituer ».

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Dans l’immédiat, la Maison Blanche compte sur les alliés arabes des Etats-Unis pour faire pression sur les Palestiniens. Et l’accueil est, à cet égard, plutôt positif. Trois monarchies du Golfe (Oman, Bahreïn et les Emirats arabes unis), qui n’ont pas de relations avec Israël, ont assisté à la présentation du plan par le duo Trump-Netanyahu. Et l’Arabie saoudite, d’ordinaire sourcilleuse lorsqu’il s’agit de défendre les aspirations palestiniennes, a dit « apprécier » les efforts américains, tandis que l’Egypte a appelé les Palestiniens à un « examen approfondi » des propositions de Washington.

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