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« Puigdemont n’est pas poursuivi pour ses opinions politiques »

L’Europe est-elle hypocrite quand elle ne soutient pas l’indépendance catalane ou quand elle ne juge pas les actions du gouvernement espagnol ?

Qu’attend l’Europe pour réagir? Même parmi les politiques qui s’opposent généralement à l’ingérence européenne, l’exigence de plus d’Europe se fait sentir. L’Europe ne doit-elle pas intervenir d’urgence contre l’Espagne, qui a édicté un mandat d’arrêt international contre le ministre-président catalan Carles Puigdemont? Ne doit-elle pas porter un jugement sévère sur l’arrestation des huit conseillers ?

En Belgique, c’est surtout la N-VA qui l’affirme. Ainsi, Bart De Wever, Jan Jambon et Theo Francken s’interrogent ouvertement sur le fonctionnement de l’état de droit espagnol. « Si vous vous taisez à un moment où des politiques sont jetés en prison parce qu’ils font valoir leurs arguments, parce qu’ils ont une opinion, c’est simplement de la non-assistance à personne en danger », estime Bart De Wever. « On n’enferme pas de gens simplement parce qu’ils exercent leurs droits démocratiques. Cela ne se fait pas. Nulle part, et certainement pas dans l’UE. »

Le professeur en droit international Jan Wouters (KU Leuven) est dérangé par les critiques contre l’État de droit espagnol. « Puigdemont n’est pas poursuivi parce qu’il a une opinion politique », souligne-t-il. « Il est soupçonné d’infractions à la Constitution espagnole. Il a fait des choses qui figurent dans le Code pénal espagnol et qui sont donc passibles d’une peine. » Wouters souligne aussi que, pour l’instant, Puigdemont n’a pas été condamné. « Nous partons trop facilement du principe que ces ministres voleront en prison pour trente ans. Je n’y crois pas un instant.  » Wouters conteste que la Justice espagnole soit politiquement motivée. « Je trouve extrêmement prématuré de crier avant même le procès que le montant de la peine est disproportionné et que l’Espagne n’est pas un État de droit. Il n’y a aucun fondement pour dire ça. Il y aura un procès que toute l’Europe suivra de très près. Je ne peux pas m’imaginer que dans un tel contexte les juges espagnols feront de la politique. Et en cas de condamnation, le gouvernement catalan pourra toujours se rendre devant la Cour européenne des Droits de l’homme. »

Yougoslavie

Cependant, les critiques contre l’Europe semblent d’une teneur différente, car l’Union européenne n’est-elle pas hypocrite d’ignorer la propension catalane à l’indépendance, alors que l’indépendance d’états tels que la Slovénie, la Croatie, le Monténégro ou le Kosovo a elle été reconnue ? Pourquoi cette indifférence face à la Catalogne ?

Quand la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance en 1991, l’Europe a initialement fait preuve de plus de réserve. L’Europe était en effet inquiète qu’une éventuelle reconnaissance mette le feu aux poudres. Pour cette raison, l’UE a fondé la commission Badinter pour formuler des avis. Les critères pour la reconnaissance étaient stricts : un état candidat devait respecter les droits de l’homme, organiser un référendum sur l’indépendance et offrir des garanties constitutionnelles pour la poursuite de l’État de droit. En outre, un pays ne pouvait être reconnu tant qu’il était en guerre avec un autre pays.

Ce n’est que le 15 janvier 1992, plus de six mois après leur déclaration d’indépendance, que la Slovénie et la Croatie ont été reconnues comme État indépendant après un avis positif de la commission Badinter. L’Europe ne s’est guère montrée enthousiaste. Ainsi l’Europe a refusé – malgré un avis positif – de reconnaître la Macédoine, parce que la Grèce s’y opposait. L’indépendance de la Croatie, entre-temps impliquée dans une guerre contre la Serbie, était davantage controversée. « L’Europe souhaitait éviter qu’on touche aux frontières des États fédérés yougoslaves », explique le spécialiste des Balkans Raymond Detrez (Université de Gand). « En reconnaissant la Croatie, on voulait décourager les Serbes de poursuivre leurs actes de guerre. Malheureusement, ils ne l’ont pas écouté. »

Contrairement à la Catalogne, la Slovénie, la Croatie, la Macédoine et le Monténégro ne sont devenus indépendants qu’après de larges consultations populaires, où une majorité écrasante a voté pour l’indépendance. Au référendum monténégrin de 2006, une majorité claire (55%) a choisi l’indépendance. Tant en Slovénie (90,7 %), qu’en Croatie (83,6 %), en Macédoine (75%) et au Monténégro (86,5%) la grande majorité des votants sont venus voter. Seule l’indépendance kosovare – que l’Espagne ne reconnaît toujours pas – a été proclamée sans référendum. « L’Europe a reconnu le Kosovo sur base de ladite « just cause theory », explique Detry. « Elle affirme qu’une province a le droit de faire sécession s’il est question d’infractions de longue durée et sérieuses de droits de l’homme et des droits du citoyen. Cela valait pour le Kosovo, où les Serbes pratiquant l’épuration ethnique et avaient fait des milliers de morts, ce qui n’est absolument pas le cas de la Catalogne. »

« Pas de majorité »

Lors du référendum du 1er octobre, à peine 42% des électeurs catalans se sont présentés. « Il n’y a pas de majorité démocratique pour l’indépendance en Catalogne », souligne Francisco de Borja Lasheras, le directeur du département espagnol du Conseil européen des relations internationales. « Les soixante parlementaires catalans qui ont voté l’indépendance représentent à peine 45% des Catalans. En outre, le référendum a été tenu sans garanties de déroulement démocratique, ce qui a poussé plus de la moitié des Catalans à refuser de participer. Un tel référendum ne peut constituer la base de l’indépendance. »

Puigdemont n’est pas démocrate, poursuit Borja Lasheras. « Il a proclamé l’indépendance sans majorité électorale et a refusé tout débat parlementaire. Il ne prend pas de responsabilité pour ses décisions politiques. Puigdemont agit comme si le peuple catalan était puni alors que lui seul est poursuivi pour avoir délibérément transgressé la loi. Dans n’importe quel État de droit, les politiques doivent justifier leurs actes. Seul Puigdemont trouve manifestement que le gouvernement catalan a le droit de décider de l’application de la loi. »

Borja Lasheras, basque et ardent défenseur de l’autonomie pour les régions espagnoles, voit l’évolution au sein du mouvement catalan d’un mauvais oeil. « Le mouvement catalan a été récupéré par un petit cercle de purs et durs qui ont perdu tout bon sens. Le noyau dur du mouvement indépendant est convaincu du fait qu’une fois indépendants, ils deviendront un nouveau Danemark, même quand en un mois plus de deux mille entreprises ont déjà quitté la Catalogne. »

Dialogue

I ara què: et maintenant? Personne ne semble le savoir. De nouvelles élections ont été convoquées pour le 21 décembre. Bien que Puigdemont continue régulièrement à appeler au dialogue, il n’est pas question de négociations entre les dirigeants espagnols et catalans. « Il n’y a pas vraiment de volonté de dialoguer », soupire Borja Lasheras. « Quand il a proclamé l’indépendance le 10 octobre avant de la suspendre immédiatement, Puigdemont a clairement prouvé qu’il voulait uniquement parler d’indépendance. Avec un tel point de départ, on ne peut négocier. »

Malgré les critiques de plus en plus virulentes, Borja Lasheras trouve que l’Europe joue un rôle positif dans le conflit. « L’Europe confronte autant le gouvernement espagnol que le gouvernement catalan aux principes de l’État de droit. C’est bien que l’Europe confronte les irréductibles Catalans au fait qu’une Catalogne indépendante ne puisse pas simplement adhérer à l’UE. En même temps, il serait bien d’avoir une enquête européenne sur les violences policières excessives de la Guardia Civil durant le référendum. »

Cependant, pour Borja Lasheras, ce serait aller trop loin que de faire appel à une médiation européenne. « Ce serait une catastrophe pour la démocratie espagnole. Nous devons résoudre ce problème nous-même. »

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