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Printemps arabe: « Aujourd’hui, les Égyptiennes sont plus mal loties qu’avant la révolution »

Lotte Debrauwer
Lotte Debrauwer Collaboratrice Knack

Les attentes concernant les droits des femmes en Égypte étaient élevées lorsque la Révolution de 2011. Aujourd’hui, à l’occasion du septième anniversaire des soulèvements, il n’y a pas beaucoup de raisons de faire la fête : « Aujourd’hui, l’État égyptien opprime plus durement que sous Moubarak », résume An Van Raemdonck, spécialiste du genre à l’Université de Gand.

En 2011, l’Égypte, comme beaucoup d’autres pays du monde arabe, a été le théâtre de grands soulèvements populaires. La population est descendue en masse dans les rues pour exiger le démantèlement du régime dictatorial existant. Les médias ont souvent fait référence à la forte présence des femmes et aux exigences en matière d’égalité entre les sexes, qui sont un élément fondamental de la résistance. La capitale égyptienne, Le Caire, est connue depuis des années pour ses violences sexuelles et ses intimidations. Étonnamment, les dix-huit jours de rébellion qui ont précédé la démission du président Moubarak ont été caractérisés par une absence de violences sexuelles.

Exclusion politique

Cependant, l’euphorie a été de courte durée, car sous le régime de transition militaire du SCAF (Conseil suprême des forces armées), les attaques contre les femmes sont devenues monnaie courante. Un cas bien connu est celui de la ‘Blue Bra Girl’. En novembre 2012, une inconnue a été tabassée par des agents de sécurité et ses vêtements arrachés jusqu’à ce qu’on ne voit plus que son soutien-gorge bleu. Les images ont fait le tour du monde et sont devenues symbole de la violence policière continue.

Les contre-révolutionnaires ont vilipendé la femme en prétendant qu’elle n’aurait jamais dû protester. C’est ainsi qu’on présente la présence des femmes dans l’espace public comme illégitime. Sous le régime du Président Morsi et des Frères musulmans (2012-2013), les agressions et les viols collectifs étaient également un moyen d’exclusion politique. On murmure également que l’État Morsi est responsable de ces crimes.

Droits des femmes: pas maintenant!

Pendant la lutte révolutionnaire, l’agenda féministe a souvent été déconnecté des revendications de démocratisation. An Van Raemdonck, spécialiste du genre à l’Université de Gand, reconnaît une tendance généralisée dans ce domaine, qui ne s’exprime certainement pas seulement en Égypte : « Au grand dam des féministes, on reprend régulièrement l’argument selon lequel on ne peut, à la fois, revendiquer les droits des femmes et la démocratisation. Partout dans le monde, les forces révolutionnaires donnent la priorité à la législation, en mettant de côté le thème des femmes ».

Comme il y a eu de nombreuses attaques contre les femmes lors des manifestations, le mouvement Operation Anti Sexual Harrasment (OPANTISH) est né au Caire. C’est un groupe d’activistes qui s’est rendu sur la place Tahrir pour protéger les femmes contre la violence sexuelle. Plusieurs révolutionnaires ont ouvertement refusé de soutenir le mouvement parce qu’ils ne voulaient pas calomnier l’esprit de la Révolution. Aussi beaucoup de féministes étaient-elles frustrées pendant la lutte révolutionnaire, car leurs actions et leurs préoccupations étaient souvent isolées de la lutte générale pour le changement.

Répression

Le 3 juillet 2013, l’actuel président et général de l’armée Sisi est arrivé au pouvoir par un coup d’État. Au cours de sa première semaine à la présidence, le nombre d’agressions a de nouveau augmenté, ce qui indique que le régime Sisi ne résoudra pas non plus le problème permanent du harcèlement sexuel. Le président a construit un culte de la personnalité qui reposait fortement sur sa masculinité. Sisi a maintenu le culte à travers toutes sortes de merchandising censé souligner sa virilité. Le nouveau président a également promis de prêter attention à la place des femmes dans la société. Très rapidement, cependant, il s’est avéré qu’il ne tiendrait pas ses promesses. Comme il a perdu le soutien de la population, il s’est cru obligé de renforcer la répression.

Van Raemdonck décrit le régime actuel comme suit : « Au fond, toutes les voix critiques font l’objet d’une répression. L’État agit également de manière répressive contre les initiatives qui tentent d’inscrire les droits des femmes à l’ordre du jour. Il y a même des indications que la situation s’est aggravée », dit van Raemdonck.

« Là où les actions individuelles des femmes sous Moubarak sont passées entre les mailles du filet, elles sont également criminalisées. Cela montre à quel point l’État égyptien est tombé bas », déclare-t-elle. Elle donne l’exemple de l’infortunée Amal Fathi. En septembre, cette Égyptienne a été condamnée à deux ans de prison pour avoir diffusé une vidéo dans laquelle elle raconte comment elle a été victime de harcèlement sexuel sur le chemin de la banque.

Elle critique l’incapacité du régime à protéger les femmes. Fathi aurait répandu de « fausses nouvelles » et discrédité l’État. En outre, selon le régime, elle est également active dans des réseaux terroristes. Selon Van Raemdonck, cette répression de l’État sur l’action d’une femme est un symbole de la détérioration des droits des femmes en Égypte.

Façade

Dans leur communication officielle, les membres du gouvernement et les fonctionnaires font souvent référence aux 90 femmes présentes au Parlement et aux quatre femmes ministres. Pour Van Raemdonck, il s’agit avant tout d’une façade : « Le régime veut donner au monde extérieur l’impression que l’on accorde de l’attention à ce problème ». De plus, il devient de plus en plus difficile pour les organisations féministes de survivre.

Aussi cynique que cela puisse paraître, sept ans après les impressionnantes manifestations sur la place Tahrir, les conditions de vie en Égypte se sont détériorées, tant en termes de droits civils en général que de droits des femmes en particulier. L’Égypte continue d’être dominée par un cadre de pensée caractérisé par un certain nombre de valeurs patriarcales, que l’État défend aujourd’hui avec plus de violence qu’auparavant. Ce cadre de pensée obstiné légitime, entre autres, les abus et l’intimidation.

Par ailleurs, l’Égypte bénéficie du soutien de nombreux gouvernements occidentaux sous Sisi, car elle est l’un des seuls acteurs stables de la région instable. Pour l’instant, il semble que le dictateur va continuer à gouverner l’Égypte pendant un certain temps. Au pays des pharaons, le changement ne semble pas pour tout de suite.

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