Marine Le Pen et Emmanuel Macron. © belga

Pourquoi Macron doit plus craindre Le Pen qu’en 2017

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Longtemps considérée comme inéligible, Marine Le Pen a décroché son billet pour le deuxième tour de l’élection présidentielle française, pour la seconde fois d’affilée. Cette fois, la candidate d’extrême droite semble être en meilleure posture qu’en 2017 pour rivaliser avec Emmanuel Macron. Plusieurs raisons poussent à le penser.

« Tout le monde sait que Marine Le Pen ne peut pas gagner l’élection, y compris elle-même », déclarait Eric Zemmour en septembre dernier, alors qu’il n’était pas encore officiellement candidat. Cette conviction était aussi présente dans l’entourage du président Emmanuel Macron : ce n’est pas pour rien qu’il a toujours préféré un duel avec Marine Le Pen au second tour plutôt qu’avec Valérie Pécresse.

Mais les premiers sondages sur les intentions de vote dévoilées dimanche soir montrent que Macron est loin de pouvoir envisager une nouvelle victoire aisée. Selon le premier coup de sonde d’Ipsos, Macron sortirait vainqueur au second tour à 54%, contre 46% pour Le Pen. Pour rappel, le président avait été élu en 2017 avec 66,10% des voix, contre 33,90% pour Marine Le Pen. Soit plus de 20,7 millions de voix pour Macron, contre 10,6 millions pour la candidate d’extrême droite. Le candidat LREM est pleinement conscient que, cinq plus tard, l’étau s’est resserré. « Rien n’est fait, je compte sur vous », a-t-il martelé hier à ses militants, après sa large victoire au premier tour (27,6%). S’il peut compter sur Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Anne Hidalgo, principalement dans l’optique de faire barrage à l’extrême droite plus que par réel soutien, Jean-Luc Mélenchon (22,2% des voix hier, à 0,8% de Marine Le Pen seulement) a lui répété « qu’aucune voix ne devait aller à Marine Le Pen », sans pour autant explicitement appeler à voter Macron.

Ce faisant, Macron semble réellement se mettre en campagne depuis hier soir. Le président-candidat devra tout mettre en oeuvre pour battre la candidate RN au second tour de l’élection présidentielle française le 24 avril. Voici trois raisons qui poussent à le penser.

1. La poussière sous le tapis grâce aux « Horaces », mystérieux groupe d’experts

Peu de temps après sa défaite face à Macron en 2017, Le Pen a décidé de tirer les leçons de ce qui n’allait pas. « Depuis cinq ans, j’ai régulièrement travaillé avec des experts constitutionnels, avec des hauts fonctionnaires, des magistrats, des policiers, des avocats et des PDG d’entreprises. Je pense que je suis plus prête que jamais », déclarait-elle vendredi dans une interview.

Elle fait ici référence aux « Horaces », un mystérieux groupe d’experts dans différents domaines, avec qui, selon plusieurs médias français, Le Pen s’est réunie chaque semaine durant ces dernières années. La composition de ce groupe changeait au gré de l’actualité, mais un personnage central était systématiquement présent : André Rougé. Cet avocat a travaillé pour Jacques Chirac et est député européen pour le RN depuis 2019.

Un membre anonyme du groupe a décrit les réunions au magazine Le Point comme des « séances de brainstorming et d’adrénaline » sur des thèmes tels que les retraites, le climat, la migration et la sécurité. « On parle de tout, de façon libre. Les discussions alimentent la réflexion et les activités au sein du groupe », explique ce témoin.

Les Horaces ont aidé à dépoussiérer le programme de 2017, et ils ont fait une croix sur les parties les plus controversées, comme un possible Frexit, l’introduction d’une monnaie parallèle à côté de l’euro ou le retrait partiel de la France de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce nouveau programme avait pour but premier de lui éviter une répétition du débat désastreux contre Macron en 2017, où la candidate d’extrême droite s’était décrédibilisée à maintes reprises.

2. Une image plus douce grâce à la « dédiabolisation »

La défaite de 2017 a également fait prendre conscience à Le Pen qu’elle devait travailler son image et celle de son parti. C’est pourquoi elle a changé le nom du parti en 2018, au grand dam de son père Jean-Marie. Le Front national, qui pour beaucoup de Français sentait l’antisémitisme et la xénophobie, cède la place au Rassemblement national, dont l’image se veut davantage fédératrice.

Toujours dans l’optique de cette « dédiabolisation », Le Pen adopte également une image plus douce. Sa réaction au changement de camp de Marion Maréchal-Le Pen, qui a rejoint Eric Zemmour, est une bonne illustration: « C’est cruel. C’est violent. J’ai une histoire particulière avec Marion, parce que je l’ai élevée « , avait-t-elle déclaré d’une voix craquante.

Et force est de constater qu’elle a réussi cette opération d’adoucissement. Dans un sondage réalisé par Ipsos auprès de 13.000 Français fin mars, 29% la qualifiaient de sympathique. En comparaison, 31% pensaient cela de Macron. Et en six mois, le pourcentage d’électeurs potentiels qui disaient que Le Pen les inquiétait était passé de 56 % à 50 %.

Derrière cette image polie se cache toujours un programme très radical. Elle veut par exemple sortir de l’Otan et mettre fin à la coopération avec l’Allemagne dans le domaine de l’industrie de défense. Dans sa lutte contre ‘l’afflux de migrants’, elle veut inscrire dans la constitution le principe de ‘priorité nationale’ lors d’un référendum, où ‘certaines prestations sociales sont réservées aux Français’. Dans cette même volonté, les Français seraient prioritaires dans l’attribution des logements sociaux. Le regroupement familial lui, devrait devenir une « rare exception ».

Le Pen voudrait également faire adopter un texte législatif qui modifierait la constitution afin que la France puisse empêcher les « juridictions supranationales », comme la Cour européenne des droits de l’homme, d’obliger la France à adopter des politiques contraires à la volonté du peuple français. Sur le plan écologique, elle souhaite un moratoire sur la construction de nouvelles éoliennes sur terre et en mer, et amorcer leur démantèlement progressif. Le « patriotisme économique » devrait déterminer la politique économique.

3. Pouvoir d’achat, nouveau fer de lance

Une dédiabolisation qui fonctionne. Malgré la nouvelle concurrence en la personne d’Eric Zemmour à l’extrême droite, Le Pen se retrouve une nouvelle fois au deuxième round de l’élection présidentielle. Estimée à 46% d’intentions de vote au second tour, Le Pen ferait alors 13% de mieux qu’en 2017. Lors de ses nombreuses visites sur le terrain, elle a été la première à capter les plaintes des Français, en faisant du pouvoir d’achat le fer de lance de sa campagne, face à un Emmanuel Macron à la campagne minimaliste, et dont la fonction de président l’a forcé à concentrer une grande partie de son énergie sur la guerre en Ukraine, notamment.

Le leitmotiv ‘pouvoir d’achat’ a propulsé Marine Le Pen dans les sondages. Macron, quant à lui, était tellement préoccupé par la guerre en Ukraine qu’il a presqu’ignoré ce thème et a été contraint à se mettre sur la défensive. Le Pen s’est ainsi érigée comme la seule politicienne qui sait ce qui se passe dans le quotidien des Français.

Macron doit désormais veiller à ne pas subir le même sort que le président américain George H.W. Bush en 1992, qui avait fait campagne sur sa politique étrangère après la guerre du Golfe en 1991. Il avait perdu face à Bill Clinton, qui avait fait campagne sous le slogan « C’est l’économie, idiot ».

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